L’Archiviste, François Schuiten, Benoît Peeters, coll. Les Cités obscures (Casterman, 1987)
Catégorie / BD
La BD « Moderne Olympia » ou comment se faire une toile avec Catherine Meurisse
Moderne Olympia, de Catherine Meurisse, aux éditions Futuropolis–Musée d’Orsay, est un brin foutraque, savamment conçu, une alliance de subtilité, de connaissance d’une cinquantaine de tableaux exposés à Orsay et d’un comique à haute déflagration.
Comment Olympia, femme exposée dans sa candide nudité, va-t-elle conquérir le cœur de Romain, et jouer pour de vrai Juliette avec son Roméo ? À cette question banale pour intrigue sentimentale, Meurisse répond par une autre question plus sophistiquée, plus intéressante : et si les toiles étaient des films avec leurs figures-acteurs, leur décor à l’air libre, leurs doublures ? Du coup, Olympia qui appartient au groupe des Refusés (par opposition aux Officiels) aurait toutes ses chances. Meurisse fait naviguer le lecteur dans l’intertexte de l’histoire de l’art au tournant des XIXe-XXe siècles comme s’il écumait les plateaux de tournages, de film en film. Catherine Meurisse tisse ses toiles comme autant de films et le lecteur se déploie en cinéphile, l’amateur d’art en détective, chargé de départager les têtes d’affiche des figurants dans une lutte des classes culturelle.
À travers l’histoire forcément drôle d’une héroïne qui sait quitter la cimaise où Édouard Manet l’a fixée en 1883 pour pérégriner et chercher l’âme sœur, c’est plus qu’un happy-end que nous offre Catherine Meurisse. Elle qui travaille à Charlie Hebdo depuis 2005, convoque la modernité de la BD pour restaurer notre regard sur des grands classiques de la peinture. Elle donne à ce regard un coup de jeune.
Une BD qui fera un tabac auprès des bolosses comme de la racaille tant les niveaux de lecture, les arguments et les registres sont divers.
N.B. : Les Refusés fait allusion aux peintres réunis dans le Salon des Refusés de 1863 : cette année-là, 5 000 œuvres avaient été soumises au jury du Salon [académique, officiel], 3 000 œuvres avaient été refusées. Source : Musée d’Orsay, Courbet, le contexte artistique.
Entretien avec Catherine Meurisse dans BDzoom.com
L’avis du Figaro : « On n’avait pas autant ri avec les classiques de l’histoire de l’art depuis la Rubrique à Brac Gallery de Gotlib (éd. Dargaud 1997). »
L’avis de Libération : « Une occasion marrante de réviser sa culture artistique. »
[Congo, J-1] : Faire sa valise…
À la veille d’une Rencontre internationale d’art contemporain, organisée aux Ateliers Sahm de Brazzaville et avant de s’embarquer pour un atelier de critique d’art, ce 4 septembre, donc demain, il s’agit de faire sa valise…
Valise muette :
Mot-valise :
En haut, la couverture de la BD de Shaun Tan, Là où vont nos pères (Dargaud, 2007), remarquable récit graphique mais muet sur l’exil. Ci-dessus, une photo-montage de l’artiste polonaise Beata Bieniak.
Grappe de valises :
Ci-dessous, la couverture du livre de Fabrizio Gatti, Bilal sur la route des clandestins (Liana Levi, 2008), le récit d’un journaliste infiltré parmi les clandestins de Dakar à Lampedusa.
La Boîte-en-valise, de Marcel Duchamp
Fred ou l’énergie poétique de la bande dessinée
La vitrine de la librairie des Buveurs d’encre m’arrête net. C’était donc hier en ce mardi 2 avril 2013, rue de Meaux, à Paris. Le dernier Fred est en vitrine. Le train où vont les choses. Le 16e de la série des Philémon. Et – coïncidence frappante – ce matin tombe le communiqué des éditions Dargaud sur la mort de Fred à l’âge de 82 ans. A peine lu hier, l’album se relit mentalement aujourd’hui comme la dernière histoire. Une locomotive à pattes qui marche à « la vapeur d’imaginaire ». Philémon et Barthélémy qui relèvent le défi : faire preuve d’imagination pour remettre la « lokoappates » dans le tunnel. Je pense aussi à Zétwal, le film de Gilles Elie-Die-Cosaque où le héros rêve d’aller dans l’espace en alimentant sa fusée par l’énergie des poèmes d’Aimé Césaire.
Même dans le tunnel avec Philémon, l’énergie poétique de Fred joue à plein régime. Qu’on imagine ! Il suffit d’un tunnel pour que la loco reprenne sa route. Pas besoin de rails. La loco va au train où vous les choses. Sinon, elle va nulle part. Elle rencontre une énorme toile d’araignée. Mais le temps se détraque. Heureusement. La cannibale faute de dictionnaire de rimes ne sera pas chagrine et ne les dévorera point. Final ? Non, car la boucle ne sera bouclée qu’avec Philémon qui repart à l’origine. De calembours en rimes, d’images mentales en images graphiques, les concaténations sémantiques s’enchaînent et se déchaînent pour notre bonheur. Fred invente les effets spéciaux à partir des lettres de l’alphabet et de ce trait reconnaissable entre tous, c’est l’énergie du poème graphique. Aujourd’hui, on peut dire avec ses personnages : « Le fond de l’air est frais. »
Communiqué de presse des éditions Dargaud (Hélène Werlé) :
Nous avons la douleur de vous faire part du décès de Fred, Othon Aristides, hier soir à l’âge de 82 ans. Il était depuis plus de soixante ans l’un des plus grands artistes, un créateur et un poète hors du commun. Aujourd’hui, l’ensemble de la bande dessinée est en deuil, et les éditions Dargaud ainsi que tous les auteurs s’associent à l’immense tristesse de sa famille.
Othon Aristides, dit Fred, naît le 5 mars 1931 à Paris. Tout môme, il remplit des cahiers entiers de bandes dessinées bourrées de fôtes d’ortografe. Il publie son premier dessin humoristique dans le courrier des lecteurs d’un journal pour enfants.
Un peu plus tard, il fait ses premiers pas vers l’absurde, l’envers du décor et le dérapage contrôlé en dévorant Edgar Poe, Charles Dickens et Oscar Wilde.
Vers 18 ans, il fait timidement le tour des rédactions. À sa grande fierté, il finit par placer un dessin à Ici-Paris ; à sa grande déception, sa signature est coupée. À son retour de l’armée, il dessine pour France Dimanche, Paris Match, Le Hérisson et Quartierlatin, un modeste journal vendu à la sauvette par Georges Bernier, connu plus tard sous le nom de professeur Choron. C’est avec le même Georges Bernier et François Cavanna (rencontré à Ici-Paris) que Fred crée Hara-Kiri en septembre 1960. Promu directeur artistique, il exécute les soixante premières couvertures, touche un peu à tout, s’aperçoit qu’il aime bien écrire, et revient à la bande dessinée avec Les Petits Métiers, Le Manu-Manu, Tarsinge, l’homme Zan et Le Petit Cirque.
En 1966, après six mois de labeur, il propose quinze planches d’une nouvelle histoire au journal Spirou, qui les refuse : le dessin n’est pas bon, l’histoire non plus… À la lecture des mêmes planches, René Goscinny, alors rédacteur en chef de Pilote, s’enthousiasme et publie La Clairière des trois hiboux, premier épisode des aventures de Philémon. Mais cette fois-ci, ce sont les lecteurs qui n’apprécient pas le dessin. Fred décide donc de s’en tenir à l’écriture ; il propose toute une série de scénarios qui seront mis en images par d’autres – ce qui ne l’amuse pas du tout… sauf quand il imagine Time is Money pour Alexis. Et puis, il commence à ruminer dans ses moustaches l’idée d’envoyer Philémon sur les lettres de l’océan Atlantique – idée qui lui est venue dans son bain : où va-t-on quand on se laisse aspirer par le tourbillon de la baignoire qui se vide ? (Fred trouve toujours ses idées dans son bain. Quand l’idée ne vient pas, il prend cinq bains par jour ; il est donc très propre…)
Il écrit le scénario, le fait lire à Goscinny et déclare assez fermement qu’il veut le dessiner lui-même. Goscinny accepte, et la grande aventure de Philémon, dont le quinzième album paraîtra en 1987, commence.
Dans les années 1970, tout le monde s’arrache Pilote, même Jacques Dutronc qui demande à Fred de lui écrire des chansons. Fred tente le coup avec une fraîcheur absolue, à l’instinct : Le fond de l’air est frais entre très vite au hit-parade. Devenus copains, ensemble deux livres-disques pour enfants : La Voiture du clair de lune et Le Sceptre.
En 1993, après quelques expériences autoéditées, dont le magnifique Magic Palace hôtel, Fred imagine pour l’imagerie Pellerin d’Épinal La Magique Lanterne magique, puis pour Futuropolis un superbe portfolio intitulé Manège. C’est alors que Le Matin de Paris lui offre une pleine page hebdomadaire qu’il occupe avec Le Journal de Jules Renard lu par Fred, une histoire qui sera publiée en 1988 chez Flammarion.
En 1991, Fred signe trente-cinq scénarios de courts-métrages, réalisés, entre autres, par Daniel Vigne (Le Retour de Martin Guerre), Jacques Ruffio et Gérard Zingg. Tournés en trente-cinq millimètres dans des conditions extrêmement luxueuses – pour deux minutes de pellicule, ils partent par exemple à trente personnes dans le désert avec des Land Rover –, courts films sont des merveilles de poésie et d’humour. Pris au jeu, Fred signe ensuite pour Gérard Zingg le scénario d’un long-métrage, L’Autobus de la haine. Le projet est malheureusement abandonné.
Après Philémon – réédité en trois gros volumes dans une édition millésimée en mars 2011 – , Fred explore d’autres univers et signe plusieurs albums considérés (à juste titre) comme des chefs-d’œuvre : L’Histoire du corbac aux baskets, L’Histoire de la dernière image et L’Histoire du conteur électrique. À la fin de l’année 2010, Dargaud regroupe d’ailleurs ces trois albums dans un coffret, auquel est ajoutée l’histoire du Magic Palace hôtel, pour la première fois mise en couleurs !
Deux recueils de dessins d’humour – Le Noir, la couleur et lavis et Fredissimo – voient également le jour. Mais Fred se fait rare ; il se prête pourtant au jeu de la confidence dans une rubrique régulière, « Un magnéto dans l’assiette de Fred », publiée dans La Lettre (l’officiel de la BD). Cet auteur majeur de la bande dessinée a tant de choses à raconter que Dargaud lui consacre une biographie ; l’ouvrage, intitulé L’Histoire d’un conteur éclectique, sort au mois de mars 2011.
Rédigée par Marie-Ange Guillaume, cette monographie de deux cents pages rassemble de nombreux documents inédits, dont les toutes premières pages du prochain Philémon, un épisode auquel Fred travaille depuis plusieurs années.
En attendant la sortie de ce nouvel album, Dargaud réédite toute la série sous la forme de trois intégrales, mais présente aussi une nouvelle édition du superbe Petit Cirque. Cette version, remasterisée à partir des originaux et agrémentée de quatre pages supplémentaires, paraît en janvier 2012, à l’occasion de la grande exposition rétrospective que le festival d’Angoulême consacre à Fred. En février 2013, Fred publie son dernier Philémon, Le train où vont les choses, le tome 16 de la série qu’il avait commencée vingt-cinq ans plus tôt.
Mais l’aventure n’est pas finie : le producteur Roger Frappier travaille en ce moment à l’adaptation cinématographique de la série, ce que l’auteur avait, jusqu’à présent, toujours refusé.
En mai 2013 paraîtra Un magnéto dans l’assiette de Fred, un recueil de l’ensemble des entretiens présentés dans La Lettre.
Fred fait partie des géants de la bande dessinée et a influencé toute une génération d’auteurs. Dans chacune de ses oeuvres – de Philémon au Petit Cirque – l’auteur accomplit un numéro de funambule dans lequel son génie éblouit. Son langage résolument novateur, son inventivité, son imagination foisonnante ont ouvert une nouvelle voie à la bande dessinée.
Réactions d’auteurs, Joann Sfar, Florence Cestac, Enki Bilal et Marc-Antoine Mathieu sur le site du Monde.
Réaction de Gilles Ciment, directeur général de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême :
« Fred était un immense artiste, tenant une place prépondérante sur le versant du neuvième art tenant de l’imaginaire. Ses innombrables chefs-d’œuvre, des Aventures de Philémon sur les lettres de l’Atlantique, qu’il a tout juste eu le temps de boucler un quart de siècle après les avoir entamées, au Corbac aux baskets, du Petit Cirque au Journal de Jules Renard, son talent s’exprimait tout à la fois dans le registre du merveilleux et de l’onirique, dans un humour très particulier, pince-sans-rire et absurde, et dans l’invention de formes qui lui faisait explorer les potentialités de la bande dessinée par l’usage du collage de gravures ou par des constructions de planches jouant brillamment avec le médium. Dès qu’il s’éloignait de la bande dessinée, pour la chanson (avec Jacques Dutronc) ou l’audiovisuel (la pétillante série En un mot pour la télévision), c’était avec le même brio.
Il était parmi nous il y a peu, pour découvrir avec émotion la superbe sculpture en aluminium anodisé réalisée par l’artiste Valérie Brossard, représentant Philémon et son âne Anatole, commanditée et offerte à la Cité par l’Association des Amis du musée de la bande dessinée.
Dans son exposition de fin d’année, Nocturnes, consacrée au rêve dans la bande dessinée, le Musée de la bande dessinée d’Angoulême rendra hommage à ce grand magicien des songes, qui s’inscrit dans la lignée de Lewis Carroll plus encore que dans celle de Little Nemo.
Toute la bande dessinée est en deuil. Notre peine et nos pensées vont à ses proches. »
Revue de presse des réactions :
« Disparaît avec lui l’un des plus grands créateurs de l’histoire du 9e art (…) En 1965, il donne vie au personnage de Philémon, un adolescent aux pieds nus ouvert à toutes les rêveries. Le Journal de Spirou refuse sa toute première histoire, un récit d’une quinzaine de planches appelée La Clairière des trois hiboux. Pas Pilote, alors dirigé par René Goscinny. Le public tardera à suivre, avant de porter aux nues, cette série d’une poésie inoubliable, dont le premier tome se déroule sur la lettre A de l’océan Atlantique. Sous l’influence consciente (ou inconsciente) de Lewis Carroll et Winsor McCay (le père de Little Nemo), Fred s’amuse à bousculer les codes narratifs de la bande dessinée, détournant à son profit l’art du collage (de préférence des gravures anciennes) et celui du cadrage. » (Le Monde)
« Il a d’ailleurs poursuivi la série jusqu’à cette année – le dernier tome, Le train où vont les choses est paru en février, bouclant la boucle de cette série magique. Il nous avait ouvert ses tiroirs pour dévoiler quelques trésors, comme l’original de la célèbre planche Simbabbad de Batbad, représentant Philémon découvrant que l’île sur laquelle il se promène est un chien. “Celui-là je ne le vendrais même pas dix millions” avouait-il alors. “Il résume toute la bande dessinée. Souvent il est pris comme modèle pour expliquer la BD. Je ne l’expose pas.” » (Les Inrockuptibles)
Bibliographie
Aux éditions Dargaud
Philémon (15 tomes et une intégrale en trois volumes) 1972-2011
Le Petit Cirque (1973 ; édition remaserisée, 2012)
Le fond de l’air est frais (1973)
Hum ! (1974)
Ça va, ça vient (1977)
Y a plus d’saison (1978)
Le Manu-Manu (1979)
L’Histoire du corbac aux baskets (1993)
L’Histoire du conteur électrique (1995)
Le Noir, la couleur et lavis (1997)
L’Histoire de la dernière image (1999)
Fredissimo (2000)
Biographie : L’Histoire d’un conteur éclectique,
par Marie-Ange Guillaume (2011)
Entretiens : Un magnéto dans l’assiette de Fred (2013)
Aux éditions de l’auteur
Cythère l’apprentie sorcière (1980)
Magic Palace hôtel (1980)
Parade (1982)
Aux éditions Flammarion
Le Journal de Jules Renard lu par Fred (1988)
À l’imagerie Pellerin
La Magique Lanterne magique (1983)
Aux éditions Futuropolis
Manège (portfolio ; 1983)
Aux éditions Vents d’ouest
– dessin Alexis –
Timoléon (1992)
Les prix et les distinctions honorifiques
1969 – prix Phénix du meilleur scénario
1972 – Crayon d’or décerné par l’ensemble de la presse
1973 – prix Yellow Kid ; grand prix du meilleur auteur étranger
au festival de Lucca 9 neuvième festival de Lucca (Italie)
1977 – prix Haga pour l’ensemble de son oeuvre
1977 – grand prix Loisirs jeunes
1980 – grand prix de la Ville d’Angoulême
1983 – chevalier des Arts et des Lettres
1992 – officier des Arts et des Lettres
1994 – prix du meilleur album du festival d’Angoulême pour
L’Histoire du corbac aux baskets
1995 – Immagine Roma a life for comics (grand prix du festival
de Rome, décerné pour l’ensemble de son oeuvre)
1995 – grand prix du meilleur auteur étranger du festival d’Amadora (Portugal)
1997 – grand prix du meilleur auteur étranger du festival d’Amadora (Portugal) pour L’Histoire du conteur électrique
Schuiten fait don de ses originaux
À l’occasion des 30 ans des « Cités Obscures », François Schuiten, l’un des plus grands artistes belge contemporain de bande dessinée, a choisi de faire une donation de la quasi totalité de ses planches originales de bande dessinée à cinq instances françaises et belges afin de protéger ses travaux de l’usure du temps et de l’argent.
Les originaux et les documents sont répartis entre la Bibliothèque Nationale de France (BNF), la Fondation Roi Baudouin (avec la création d’un fonds Schuiten), la Maison Autrique (Commune de Schaerbeek), le Musée de la bande dessinée d’Angoulême, le Centre de l’Image de La Louvière et le Centre Belge de la bande dessinée (CBBD).
À cette occasion, un colloque est organisé à la BnF : « Les Cités obscures. Du numérique au papier : allers/retours ».
Chronique Culture du 27 avril 2012
1.
Le Retour d’Ataï, scénario Didier Daeninckx, dessins Emmanuel Reuzé.
Ataï, l’un des chefs de la rébellion de 1878 en Nouvelle-Calédonie. Sa tête devenue trophée pour musée. Sa restitution est annoncée depuis peu.
Dans la BD, un vieux kanak fait le voyage depuis sa tribu de Tendo dans la province Nord de la NC. Il vient à Paris pour enquêter sur la tête, dans les musées, les salles de ventes et dans les collections privées.
La narration est assez succincte, mais ce qui fait la force de la BD est son graphisme qui nous plonge dans une atmosphère mystérieuse, de non-dit, sur la marchandisation officielle des têtes ou sur la perversité de certains collectionneurs privés. Le trait d’Emmanuel Reuzé réussit à donner une gravité et une dignité aux têtes kanak.
2.
Le Secret de l’enfant fourmi, premier long métrage de Christine François, qui sort le 2 mai, film dont le principal intérêt est de lever un tabou sur l’assassinat des enfants-sorciers par toute une communauté, les Baribas du Nord-Bénin.
(c) Agat films et Cie
Dans le film, basé sur des faits réels, une jeune femme en mal d’amour débarque chez son ancien amant qui vit en Afrique, se perd dans la nuit de la brousse, se voit confier de force un enfant abandonné par une mère en plein désarroi.
Bande-annonce :
Reportage réalisé par Sabine Godard, (France 3 Amiens), tant sur l’objectif de la réalisatrice-documentariste Christine François, que sur la musique (très originale) composée par Jean-François Hoël, l’un des musiciens du groupe picard Zic Zazou :
3.
En Afrique du Sud … au temps de l’apartheid avec The Suit, (Le costume), une pièce de théâtre du Sud-Africain Can Themba, adaptée, mis en scène et en musique par Peter Brook, Marie-Hélène Estienne et Franck Krawczyk.
C’est l’histoire d’un homme amoureux de sa femme qui rentre chez lui et la découvre avec son amant qui part en courant et laisse son costume dans la place.
La suite de The Suit raconte comment ce couple va vivre avec ce costume… entre comédie et tragédie…
C’est une pièce où tout fonctionne à merveille, y compris l’anglais sur-titré en français. La violence sociale ou conjugale est sublimée par les chants de la comédienne Nonhlanhla Kheswa dont voici un avant-goût :
Vous avez reconnu Feeling Good de Nina Simone. The Suit, ce n’est pas une comédie musicale mais du théâtre chanté avec trois musiciens sur scène et qui interprètent des rôles de figurants, où Miriam Makeba côtoie Franz Schubert.
The Suit se joue à Paris, au théâtre des Bouffes du Nord jusqu’au 5 mai.
Jean Giraud est mort, Mœbius est vivant !
Au fond, le travail de Blueberry c’est de mettre des barbelés dans la prairie, d’installer le télégraphe et de faire en sorte que les trains arrivent à l’heure. Mœbius, c’est le nuage de sauterelles, c’est Geronimo qui égorge tout sur son passage : femmes, enfants, bétail et surtout les clichés et les idées reçues. Mœbius, c’est un solo de jazz, l’improvisation totale, la liberté de dessiner une case sans savoir ce qui va suivre. Giraud a besoin d’un cadre, Mœbius travaille main dans la main avec son inconscient… Evidemment, c’est moins populaire et Mœbius a longtemps été la danseuse de Giraud.
extrait de Télérama, entretien de Mœbius (Jean Giraud) à Stéphane Jarno, octobre 2010
Recommandé : Habibi, de Craig Thompson
Édité par Casterman : حَبِيبِي
Voir Entretien avec Craig Thompson sur XeroXed.be. Réalisé antérieurement à Habibi, il donne néanmoins des orientations de travail reprises d’album en album, comme le choix du noir et blanc, de l’espace graphique dans la page ou sa lecture du Petit Prince (personnages, désert, fable philosophique), qui a de belles résonances dans Habibi.
Page 24, la mer de sable et un navire où se sont réfugiés Dodola et Habibi (édition allemande : « Flottant sur une mer de sable ») :
On reviendra sur l’usage et l’ampleur de la langue arabe dans ce roman graphique à l’ambition affirmée, mais il est certain de San Francisco au pays tchouktche, via les Arabies, qu’on s’en réjouit…
À l’île Maurice, Tintin et Kapitenn Mirenn reprennent du service
Après un premier album des aventures de Tintin en créole mauricien (Le Secret de la Licorne, Papalagui, 31/08/09), Shenaz Patel récidive en traduisant Le Trésor de Rackham le Rouge, toujours chez l’éditeur réunionnais Epsilon éditions.
On retrouve avec plaisir la plume de l’auteur du Silence des Chagos (L’Olivier, 2005) et de Paradis blues (Théâtre, 2009) donner vie et répliques et jurons au Kapitenn Mirenn (Haddock alias Sounouk à La Réunion devient donc Murène à Maurice), alors que les Dupondt sont baptisés Zimo et Zimaz.
Rakam Ti-Rouz, devient le 17e titre en créole (réunionnais ou mauricien) de l’éditeur Éric Robin à La Réunion.
À lire, Papalagui, 30/10/11 : Tintin en créoles, des traductions pleines de trouvailles.
Tintin en créoles, des traductions pleines de trouvailles
Avec la sortie concomitante de Tintin en créole aux Antilles et à la Réunion, s’affirme la force d’entraînement du blockbuster de Steven Spielberg.
Caraïbéditions comme Epsilon éditions publient deux coffrets composés chacun des deux titres qui ont inspiré le cinéaste américain Le Secret de la Licorne et Le Trésor de Rackham le Rouge. L’occasion d’entretiens croisés avec leurs traducteurs dans deux créoles différents. En exclusivité pour Papalagui.
[Robert Gauvin (retraité, ancien professeur d’allemand) est le traducteur en créole réunionnais du Secret de la Licorne, pour qui « traduire Tintin en créole c’est assez facile, le créole a été inventé il y a trois siècles, et il correspond bien au style imagé, direct et vivant de Tintin ».
André Payet (aidé de Nicolas Séry) est le traducteur en créole réunionnais du Trésor de Rackham le Rouge .
Robert Chilin est le traducteur en créole antillais des deux albums, Le Secret de la Licorne et Le Trésor de Racham le Rouge.
À ces Tintin créoles s’ajoutent ceux de l’écrivaine Shenaz Patel pour le créole mauricien, traductrice du Secret de la Licorne (Papalagui, 31/08/09), Guy Ramos pour le créole capverdien, traducteur d’un Coke en stock, selon le site Objectif Tintin, et d’une version en papiamento ou créole des Antilles néerlandaises de L’Affaire tournesol, dont voici la couverture :
1. Qu’est-ce qui a été le plus difficile à traduire ?
Robert Gauvin : Le plus difficile a été réalisé lors des premières traductions des albums de Tintin, Les Bijoux de la Castafiore et Le Crabe aux pinces d’or. J’ai traduit et coordonné la traduction du Secret de la Licorne, pour lequel nous connaissions ces difficultés : pour les expressions vigoureuses du capitaine Haddock, on a cherché des expressions qui sonnent haut et fort.
Dans les gros mots, la sonorité est le plus important, comme « mille milliards de mille sabords » [le « sabord » est une ouverture sur le flanc du navire pour laisser passer le fût d’un canon.] On a cherché des termes équivalents aujourd’hui. On a pensé au « crapaud de mer » (un poisson dangereux) ou à « mille millions de requins chagrins« . (Voir notice Wikipédia Vocabulaire du capitaine Haddock).
Dans Les Bijoux de la Castafiore, quand le capitaine Haddock se fait pincer par un perroquet, on a traduit par « mille millions de papangs rapiangs » [« papang » = oiseau de proie ; « rapiang » = avare].
Robert Chilin : Comme on n’utilise plus « sabords » dans la marine aujourd’hui, j’ai cherché un terme courant. J’ai trouvé « boîte à crabes », crabier. D’où l’expression «mille boîtes à crabes» (bwét a krab).
Robert Gauvin : Autre exemple : « doryphore » traduit par « chikungunya ». Et on a fait entrer Sitarane dans le vocabulaire de Tintin [célèbre criminel du début du XXe siècle].
On a créolisé le vocabulaire pour assurer une complicité entre le lecteur et le texte.
Autre difficulté : les noms des personnages, comme le capitaine Haddock, devenu « Sounouk » [brochet au goût de morue, « snoek » en néerlandais] qui présente le double avantage du sens (un poisson familier qui entre dans la composition du rougail sounouk, et de la sonorité avec sa terminaison en « k »).
André Payet : Le plus difficile a été de rendre en créole réunionnais l’humour et les jeux de mots des expressions françaises. Exemples :
En français : … Où je sens remonter en moi les instincts belliqueux de mon aïeul !…
En créole réunionnais : … Ousa mi san lo sang sho mon layèl i arbouiy dann mon vène.
En français : Il trouvera à qui parler
En créole réunionnais : Li va trouvé ki koté brinjèl i sharge (brinjèl : aubergine)
En français : Faire contre mauvaise fortune bon cœur
En créole réunionnais : Alon manj nout maniok amér
Robert Chilin : Ce qui est difficile à rendre sont les tournures de langue. Le créole n’a pas tous les outils du français.
2. De quelles trouvailles êtes-vous le plus heureux ?
Robert Gauvin : Les Dupont et Dupond sont devenus Voirau et Voireau, les patronymes Hoarau et Hoareau étant très répandus à La Réunion. On le prononce Warau dans certains régions de l’île. Je suis très heureux de cette trouvaille (détails sur Papalagui, 28/10/11).
On s’est inspiré aussi des trouvailles dans d’autres langues. En Allemand : Schulze et Schultze ; en anglais Thomson et Thompson ; en espagnol : Hernández et Fernández ; en néerlandais : Jansen et Janssen. (la notice Wikipédia au demeurant intéressante « Liste des noms de Tintin en langues étrangères » oublie les créoles.)
André Payet : Je prends toujours du plaisir à chercher dans notre créole les expressions du capitaine Haddock (kapitène Sounouk). Exemple :
En français : Cornichons ! Marin d’eau douce ! Ectoplasme ! Bachi-Bouzouks !
En créole réunionnais : Bilinbi ! Matlo d’rivièr ! Kordon moresse ! Nervisse !
3. Avez-vous adopté une norme particulière pour cette traduction ?
Robert Gauvin : La norme est en train de se créer. Mon frère, l’écrivain Alex Gauvin y travaille au sein de L’Office de la langue créole (Lire son article dans Le Monde diplomatique, « Le créole, l’hiver et la dinde aux marrons »).
André Payet : Oui, comme pour Tintin au Tibet ou Le vol 714 pour Sydney, la base de l’écriture, mise au point en 1977 par un groupe de créolophones réunionnais, est phonologique, avec les graphèmes du français. Mais nous avons rendu la lecture plus facile à un lectorat habitué à lire le français : adoption des ss entre voyelles ; du e muet en finale non prononcé an « kréol », comme dans l’exemple « tèt tout rod pous pas » (selon l’écriture 77), écriture adoptée : « tète toute rode pousse passe » ; de rares emprunts au français).
Robert Chilin : Ce qui prime c’est la beauté de la langue. Un créole qui satisfasse tout le monde. On a voulu un créole dont on ne puisse pas identifié l’origine, un pan-créole [créole internationale] avec la graphie du GEREC, le plus courant dans la Caraïbe. Quand je l’ai fait lire à Hector Poulet, l’un de grands spécialistes du créole, il m’a dit : « C’est un traducteur guadeloupéen qui a vécu à la Martinique.»
4. Quel est le lecteur que vous imaginez pour votre Tintin en créole ?
Robert Gauvin : Aux lecteurs de 7 à 77 ans, Créoles, créolophones dont les militants [de la langue], les touristes francophones. Le créole est la langue maternelle de neuf Réunionnais sur dix. Mais sur 800 000 habitants, on compte 120 000 illettrés. Ceux qui lisent Tintin en créole voient bien souvent le créole écrit pour la première fois. L’idéal serait de le mettre entre les mains de tous les Réunionnais, en particulier de ceux qui n’ont pas bénéficié d’un accès à l’éducation. Dans les classes bilingues, c’est très profitable car les élèves voient la différence entre les deux langues, alors que le créole est à base française.
André Payet : Il est destiné à tout public, bien sûr aux amoureux du « créole », mais aussi aux lecteurs au sein des médiathèques, aux touristes intéressés par la culture, aux fans de Tintin…
5. Qu’est-ce qu’apporte d’essentiel, selon vous, une traduction en créole d’une classique de la littérature, de la BD en particulier ?
Robert Gauvin : On rend service à la langue créole. C’est une revalorisation et une marque de dignité. Personnellement, pour moi dont le français n’est pas la langue maternelle, cela a été l’occasion de retravailler ma langue créole, d’affiner notre outil. Enfin, pour le lecteur, il redécouvre sa langue, dans la complicité entre auteur, traducteur et texte.
André Payet : C’est la découverte d’un même univers dans une autre langue avec ses jeux de mots, son imaginaire ; la reconnaissance du « kréol » comme langue écrite ; l’ouverture sur les richesses d’une culture universelle.
Robert Chilin : Je pense à la volonté de Frédéric Mitterrand, ministre de la culture, qui souhaitait «faire traduire des classiques français en langues créoles» (lire son discours le 12/01/11 pour le lancement de « 2011, Année des Outre-mers »). Je serai en Guyane pour les États généraux du multilinguisme dans les outre-mer, à Cayenne, en décembre prochain. Pour reconnaître dans les thèses universitaires que la langue créole à droit de cité, il faut des outils pour l’étudier. De telles traductions de Tintin contribuent à donner des outils aux étudiants.
6. Que pensez-vous de l’existence concomitante des Tintin en créole antillais ?
Robert Gauvin : C’est excellent que Tintin soit traduit dans les différentes langues créoles.
André Payet : Je suis de ceux qui aimeraient voir Tintin traduit dans tous les créoles (créoles de la Caraïbe, créoles de l’Océan Indien…)
Robert Chilin : Il y a une bonne synergie, une dynamique sur les langues régionales. Je me bats pour toutes les langues. Et les gens sont très fiers. Je l’ai vu pour Le Bistro du coin, un film doublé en six langues régionales dont le créole.
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Aux Antilles, pour des parents d’origine modeste, le créole était considéré comme la langue de l’échec. Aujourd’hui la langue a acquis ses lettres de noblesse. Je l’ai remarqué à la sortie de ma version en créole guadeloupéen du Petit Prince : les non-créolophones l’achetaient plus volontiers pour s’approprier la langue, comme un apprentissage scolaire.
À noter : Le Crabe aux pinces d’or en créole réunionnais est suivi d’un lexique français/créole.
Voir aussi le forum Babel et son groupe « Tintin et les langues ».
Consulter le site d’un collectionneur où Tintin parle 96 langues !
dont le monégasque, selon ce reportage :
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Découvrez Tintin parle Monégasque ! sur Culturebox !
Albums Tintin en différentes langues en vente sur le site des éditions Casterman.
Par ailleurs, consulter le site du Collectif pour le créole au bac dans l’Hexagone.