Un demandeur d’asile demande l’asile pour lui et sa bicyclette. Deux formulaires, un pour chacun. Il est Syrien, quant à elle, elle a appartenu à Michel Seurat (il la baptisée du nom d’ « Égalité ») mais la condition sera-t-elle suffisante pour qu’elle obtienne l’asile ?
Ainsi commence la pièce au titre éponyme, « Égalité », écrite, mise en scène et interprétée par Nawar Bulbul.
Bien entendu, le fonctionnaire stupéfait aura du mal à répondre favorablement à la demande. Et si pour Omar le nom de Michel Seurat est un viatique absolu, il ne dit rien au rond-de-cuir. Omar s’emporte et lance un « Allah akbar ! » du plus mauvais effet sur le préposé aux formulaires. Omar comprend et traduit en français courant : « Allah akbar, pour nous Syriens, c’est rien… c’est juste « putain de journée de merde » … »
Le spectateur du Lavoir Moderne Parisien – de nombreux Syriens, pour cette première parisienne – est plongé au cœur du sujet de cette tragi-comédie politique. Entre Syrie et France, le personnage alterne les deux langues, arabe syrien et français, l’arabe étant sur-titré avec précision par Vanessa Gueno.
Amoureux de sa bicyclette, Omar Abu Michel ne comprend pas pourquoi elle n’aurait pas droit à une demande d’asile en bonne et due forme. Il faut dire que l’exil les a rapproché l’un de l’autre et c’est tout ce qu’il reste à Omar, de cette amitié avec l’illustre chercheur français.
Nawar Bulbul, dans « Égalité » au Lavoir moderne parisien
Il la bichonne, lui dresse un joli paravent entre ses deux roues pour la rendre propre comme un sou neuf, l’embrasse… sur un pneu, enfin il essaie, elle s’y refuse… Nawar Bulbul déploie un registre infini qui ferait pâlir d’envie les comédiens en herbe : soliloque, monologue dialogué, mime. La dynamo du vélo sert à chauffer le thé, la fontaine se transforme en salle de torture, un mur de lamentations à la mémoire de l’ami perdu. Voir l’extrait vidéo.
Il semble se jouer de tout pour mieux convoquer la mémoire de la révolution syrienne et son « état de barbarie », titre du recueil d’essais du sociologue, enlevé au Liban en 1985, torturé et mort en détention et dont seuls les os ont été retrouvés.
En 2019, nous avions vu le travail réussi de la compagnie La Scène Manassa dans « Mawlana » au festival d’Avignon. Lire l’article dans Papalagui, 9/07/2019. « Égalité » semble être la suite en plus fort encore.
« Égalité », c’est une force centrifuge à l’œuvre. D’un bureau de demande d’asile aux geôles syriennes, antres des affres de la torture, des dialogues avec le chercheur disparu à la participation aux manifestations. Il faut voir cette scène de toute beauté où Omar et sa bicyclette brandie à bout de bras, tournoie en derviche sous les vivats d’une chanson révolutionnaire.
Nawar Bulbul dans « Égalité » au Lavoir moderne parisien
Le spectateur s’éprend d’un tel jeu où les détails du tableau vivant de la mémoire sont autant de catalyseurs : la chaîne du vélo n’est-elle pas une chaîne de transmission ? la dynamo, le symbole de cette énergie incarnée dans le jeu du comédien ? l’eau de la fontaine une source d’archives sur bande magnétique ?
Mémoire survoltée, active comme jamais alors que partout les Syriens ont fait depuis longtemps le deuil de cet élan qui les porta un certain mois de mars 2011. Un élan fondu dans l’abîme d’une répression sans fin, dont les chiffres s’affichent un temps en fond de salle, ces millions d’exilés et de morts. Et combien de souffrances et de deuils ?
En parcourant la page Facebook de Nawar Bulbul, je découvre cette interview (en arabe) donnée à deux enfants, où tout son engagement pourrait se résumer par ces quelques mots : « J’adore pleurer… si je crie dans la rue, on dit que je suis fou… la scène est le meilleur endroit pour crier la vérité et la beauté. »
Une pièce dédiée à « tous les prisonniers d’opinion à travers le monde ». En arabe, Nawar Bulbul exprimera sa solidarité avec l’Ukraine.
« Égalité », écrit, mis en scène et interprété par Nawar Bulbul, au Lavoir Moderne Parisien, Paris 18e, mercredi 27 à samedi 30 avril, 21h, dimanche 1er mai, 17h. Dans le Off du festival d’Avignon, au théâtre des Carmes, du 17 au 26 juillet 2022 à 10h, sauf le 20 (relâche).
Production de la compagnie La scène Manassa (Vanessa Gueno, Bassou Ouchikh), co-production théâtre Toursky, Marseille.
Des cris de mouettes en fond sonore. Deux petites maisons à la façade découpée montrent deux intérieurs simples, comme si le public était installé à la place du paysage marin. Côté jardin, des pêcheurs rigolards ; côté cour, la famille Fujita vient d’emménager, un homme veille sur sa mère sénile, sa fille prend le relais parfois.
Le Théâtre de Gennevilliers, le T2G, dans le cadre du Festival d’automne à Paris,présente La forteresse du sourire, écrit et mis en scène par le dramaturge japonais Tanino Kurô, 45 ans. Un double huis clos en un décor frontal, fixe, sans artifice, une scène réaliste de cuisine, riz à la vapeur ici, soupe miso là. Loin de l’archipel nippon, on imagine les arômes de la cuisine japonaise.
écume de sentiments
Les personnages mangent et boivent. Les pêcheurs fument beaucoup et parlent en connivence de dragues convenues, comme l’écume de sentiments chiches, copinages et horoscope sur le canal 8 de la télé. Le doublage en français, assuré par Miyako Slocombe, va jusqu’à distinguer les dialogues et les commentaires de la TV, en italique, sur-titres projetés sur les deux écrans géants de part et d’autre de la scène.
hyperréalisme de la décrépitude
De l’autre côté de la mince cloison, un espace comparable. Cuisine réduite à un réchaud en fond de scène. La mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Souvent allongée, elle ne marche que courbée. Son fils unique, on le devine cadre, il est fonctionnaire au bureau de poste. Il est parti se présenter aux voisins pêcheurs. Sakura est restée seule avec sa grand-mère. Celle-ci lui renverse ostensiblement sa tasse de café sur sa robe de sortie ou lui arrose le sommet du crâne. Hyperréalisme de la décrépitude : la grand-mère quitte les toilettes à l’avant-scène et son urine s’écoule sur toute la largeur de la pièce, vite nettoyée, sans effusion, par la petite-fille.
théâtre underground
[Tanino Kurô, 45 ans, fils de psychiatre a quitté ses études de psychiatrie pour le théâtre. « J’étais très fier d’être psychiatre et je m’épanouissais dans ce métier. Mais après le tsunami [à Fukushima, 11 mars 2011, une triple catastrophe a additionné un accident nucléaire, un séisme et un tsunami], j’ai ressenti le besoin de me donner des défis en me demandant lequel serait le plus intéressant. » (interview avec Brigitte Salino, Le Monde, 24/11/2021).
Il travaille dans la lignée du théâtre angura (abréviation de andaaguraundo engeki ou théâtre underground), d’avant-garde au Japon dans les années 60-70, en démarcation du théâtre moderne (shingeki), brechtien, loin des formes traditionnelles et célèbres du nô (pantomimes dansées, en vers) ou du kabuki (épique).]
Alors que dans la famille Fujita la petite-fille essuie les brimades de sa grande-mère gaga, le père est allé se présenter aux voisins.
« J’ai voulu montrer l’influence que ces deux appartements ont l’un sur l’autre, explique Tanino Kurô (dossier de presse). Dans notre vie courante, il est rare de penser qu’un événement apparu chez son voisin nous affecte directement. Mais, quand on le voit dans une pièce de théâtre, nous sommes obligés d’en prendre conscience. Ceci est l’effet indéniable du théâtre. »
« La porte d’à-côté, des étrangers ? »
Avant la première des deux rencontres entre voisins, la grand-mère avait demandé à son fils : « La porte d’à-côté, des étrangers ? »
Fujita leur offre des œufs de morue soigneusement emballés, l’emballage sophistiqué étant une marque relevée de l’étiquette japonaise. Et le sourire… une forteresse dans le royaume des conventions sociales.
Ashida Takeshi, surnommé Také, le patron pêcheur, le reconnaît : ils ne s’étaient pas aperçus qu’ils avaient de nouveaux voisins.
L’échange est très cordial. Le superficiel est néanmoins révélateur :
Les pêcheurs parlent fort à cause du vent et du moteur du bateau qui les rendent à moitié sourds, explique le patron pêcheur.
De son coté Fujita décline son identité sans façon : Il est fonctionnaire au bureau de poste, divorcé, sa fille a 21 ans.
Také se dit « jaloux » car il a pour seule compagnie ces « idiots » autour de la table .
⁃ C’est moi qui suis jaloux de vous, vous qui êtes entouré de rire tous les jours.
⁃ C’est juste du bruit, concède Také, ce sont tous « des animaux sales et bruyants : cochon, chameau et limace. » (L’un d’eux a le mot kani pour « crabe » écrit sur son paletot !)
Il se retourne vers ses compagnons, en les tapotant sur la tête : « Vous êtes juste des gardons de quai ».
⁃ Je vous envie, j’aimerais juste rire quand je partirai, conclut Fujita.
la solitude ponctuée de questions existentielles
« Notre vie de tous les jours est fragile, raconte Tanino Kurô. Elle est en évolution constante. Je ne fais pas appel à des événements dramatiques, mais à de petits éléments, à peine décelables, qui, par leur cumul, déclenchent un changement. C’est en effet le point commun avec mes pièces précédentes. » (Le Festival d’automne et le T2G avaient programmé en 2018 deux pièces de sa compagnie Niwa Gekidan Penino The Dark Master et Avidya).
Cet hyperréalisme sert le propos de l’auteur et metteur en scène. Montrer le quotidien pour pressentir l’essentiel… la solitude, l’entre-soi, ponctué – rarement – de questions existentielles : doit-on placer mamie dans une maison spécialisée ? faut-il continuer à travailler ? La solitude, Tanino Kurô connaît. Il a lui-même vécu avant sa vingtième année comme « hikkikomori », reclus ne voyant et ne fréquentant personne pendant plusieurs mois.
lecture impossible
Le parallèle entre les deux maisons en dit plus, sans souligner l’intention. Il suffit d’exposer. Ainsi Fujita lit à haute voix à la faveur d’une lampe de chevet Le vieil homme et la mer, d’Ernest Hemingway. Autour d’un repas délicieux au crabe des neiges (offert en contre-don par le patron pêcheur voisin), nous assistons à ce dialogue plein d’ironie et de dérision mêlées entre le père, lecteur, et la fille :
⁃ Quel est ce livre ? demande Sakura
⁃ Juste un livre que j’ai emprunté à quelqu’un, répond Fujita.
⁃ Le titre semble ennuyeux. Est-ce un livre étranger ?
⁃ Je ne sais pas qui l’a écrit, mais je ne pouvais pas comprendre un mot.
⁃ Typique.
⁃ Ce n’est pas trop long, alors j’ai pensé que j’allais tenter le coup, mais j’étais perdu dès le début. Quelque chose à propos d’un vieil homme qui est pêcheur, mais c’est à peu près tout ce que j’ai pigé.
⁃ Tu peux le savoir juste à partir du titre.
⁃ Je n’ai vraiment pas compris, alors j’ai essayé de le lire à haute voix comme un gamin.
⁃ Cool !
Dans la maison mitoyenne, un dialogue en écho, autour de la star des westerns Clint Eastwood oppose Také et l’un des jeunes pêcheurs qui se moque de sa prononciation du nom américain, transformé en… « Clinton ».
Le Japon serait-il réfractaire à la culture de l’étranger ?
pensée bouddhiste
Tanino Kurô ne semble pas intéressé par une satire sociale de son pays. Il considère que des liens gouvernent notre rapport au monde, et que ces liens restent à imaginer : « On ne peut pas trouver de lien direct entre le riz qui cuit et un déménagement, mais on ne peut pas non plus juger qu’il n’y en ait aucun. Notre imagination doit être libre, il faut avoir cette curiosité intellectuelle. »
Ces liens relèvent selon lui de la pensée bouddhiste au sens large : « Je crois en l’effet papillon au sens où il est impossible d’éliminer toute hypothèse. Ne pas pouvoir définir la cause d’un événement ne signifie pas qu’il n’en n’existe pas. Le fait de considérer que tout ce qui advient possède une cause, que tous les phénomènes sont en lien est peut-être proche de la pensée bouddhiste. Je ne considère pas le bouddhisme comme une simple religion. Non. Cette pensée m’attire parce que j’y vois des points communs avec la biologie moléculaire et la mécanique quantique. Par exemple, l’état de Satory (éveil) tant recherché par des bouddhistes est souvent exprimé comme « vide », un « état où se mélange le plein et le vide ».
effet papillon
Le théâtre du quotidien et du trop plein de détails présents est incarné par des acteurs excellents : Susumu Ogata, Kazuya Inoue, Koichiro F.O. Pereira, Masato Nomura, Hatsune Sakai et Katsuya Tanabe.
L’effet papillon est provoqué chez… le spectateur. Car on ressort troublé de La Forteresse du sourire, non des attentes validées (l’étrange des pièces précédentes) mais troublé par le vide existentiel que le réalisme du théâtre de Tanino Kurô laisse infuser, entre l’installation de la famille Fujita au début de la pièce et son départ du bord de mer à la fin de la pièce. Elle laisse la maison vidée de ces existences à l’étroit.
Jusqu’au 28 novembre au Théâtre de Gennevilliers (Métro Gabriel Peri). À 20h du lundi au vendredi. Le samedi à 18h et le dimanche à 16h. Durée 1H50. En japonais, sur-titré en français.
Dans un quartier de Damas, Abed-le-fou raconte ce qu’il est devenu au terme d’une éducation religieuse radicale. Mawlana (Notre maître) est une forme de conte initiatique, entre éducation rigoriste et rêves de liberté, une pièce qui révèle dans le Off d’Avignon un comédien et metteur en scène syrien, Nawar Bulbul. Interprétation tornade, comme le derviche qu’il devient après d’1h15 de spectacle. Un seul-en-scène, en arabe sur-titré en français.
Sur scène, Abed-le-Fou raconte sa vie. Il se souvient du quartier populaire de Damas, et de sa vie centrée sur la mosquée de Shaykh Mohayddin Ibn Arabi, de son peuple de petites gens ou de grosses légumes, tels Abou Ramez, l’éleveur de pigeons, ou Abou Nasser, le pédophile.
C’était au temps où » les gens faisaient la charité sans compter « , au temps où la religion était le nord et le sud de l’âme des Damascènes, au temps où Abed, avant d’être fou, était fils d’Imam tendance hanbalite, une branche rigoriste de l’islam sunnite.
Nawar Bulbul dans »Mawlana »
» Essaie juste une fois de dire non, non, non. «
Pour lutter contre les interdits qu’on lui opposait sans cesse, religieux, sociaux, familiaux, car tout est » haram » (illicite), Abed cherchera une voie de sortie. D’abord chez le peintre Omran, où il se transporte en transformant sur le plateau, en un tour de mains, un coffre-lit en chevalet. Ce mentor lui répond : » Si tu dis oui aux imams du pouvoir, ta vie entière tu leur diras oui, oui, oui. Essaie juste une fois de dire non, non, non. » Le » non » qui sortira difficilement de la bouche d’Abed est magnifique.
Puis il songe à une solution dans la fréquentation imaginaire de la jeune Marie, une Française aperçue depuis son balcon. Enfin dans ses visites aux derviches d’une compagnie soufie où on lui apprend à tourner, tourner, tourner, alors que lui ne rêve que de danser, danser, danser…
» La révolution par le théâtre «
Tour à tour conteur ou personnage, Nawar Bulbul sait incarner avec un égal bonheur les tourments puis la folie d’Abed, l’autorité de son père-la-morale, la force libertaire d’Omran, en jouant sur la puissance, la tendresse, le conseil fraternel, la narration des anecdotes de la vie quotidienne. On l’écoute avec le même plaisir que l’on éprouve à la lecture de l’écrivain Naguib Mahfouz dans Récits de notre quartier , au Caire.
» Pour moi, la révolution n’est pas finie. Elle se poursuit par d’autres moyens, comme le théâtre « , raconte-t-il entre deux bières fraîches, à l’abri de la torpeur avignonnaise. Une révolution que beaucoup de militants exilés en Europe disent » orpheline » mais que Nawar transporte en lui. Son décor minimaliste ne pèse que 21 kg. Il est fait de bricoles astucieusement agencées, d’un petit bassin, d’une louche, d’un coffre magique dont le rôle s’affirme magnifiquement à la toute fin de la pièce.
Si la liberté de ton de l’unique interprète, Nawar Bulbul, né à Homs (Syrie) en 1973, donne puissance et sensibilité au personnage d’Abed, c’est que lui-même a vécu son exil en comédien.
Son ami avignonnais, Paul Fructus, dit de la pièce Mawlana jouée dans la cité des Papes, marquée de la passion de liberté, de cette pièce nomade qui s’arrête le temps d’un festival dans la cité des Papes : » c’est du théâtre de guerre « .
» Je suis fier d’être français «
Sa détermination est inébranlable : « Quand je suis venu en France, j’ai dit » je suis Français « , j’ai le droit de dire ce que je veux, je fais ce que je veux. Mes limites, dit-il en levant la tête : le ciel. Je veux casser tous les tabous. C’est pour cela que j’ai fait Mawlana, Je suis fier d’être Français ».
Une pièce créée avec sa compagne Vanessa Gueno, professeur d’histoire ottomane à Aix-en-Provence où ils vivent avec leur deux enfants. Elle-même présente Mawlana comme un » dialogue entre Occident et Orient « . Ils l’ont présentée à Austin (Etats-Unis), Vienne (Autriche), Berlin (Allemagne), Helsinki (Finlande), Istanbul (Turquie). A chaque fois, les exilés syriens lui font un triomphe. Il rêve de la jouer à Paris et même dans un pays arabe…
Théâtre d’exil, exil par le théâtre
En Syrie, Nawar Bulbul était un comédien connu. Il a même été reconnu dans les images des manifestants en 2011 à Homs, sa ville natale. Des manifestants qui disaient « non au régime » de Bachar el-Assad. Menacé sous le chef d’accusation de « vendeur d’armes » (il aurait armé les manifestants à Homs [sic]), il n’a le choix qu’entre « des excuses ou la prison ».
« J’ai compris le message. » Il fuit par le Liban et s’exile en France, le 26 décembre 2012. En 2013, il crée Wala Shi (Rien) une adaptation de Jeu de massacre d’Eugène Ionesco. Puis, en famille, il passe quatre ans en Jordanie où il monte trois pièces « pour que les anciens détenus, les enfants de réfugiés réussissent à sortir d’eux-mêmes ».
Saltimbanque de guerre
D’abord, Shakespeare in Zaatari avec 120 enfants réfugiés dans l’un des camps les plus importants au monde, une ville de 80 000 personnes. Ensuite, Roméo et Juliette à Homs, jouée sept fois à Amman, la capitale jordanienne, qui a donné lieu à un documentaire de François-Xavier Trégan pour Arte : Yalla Homs ! Roméo et Juliette, un amour de guerre. Enfin, Nawar Bulbul, avec Love Boat, spectacle tragi-comique, installe un décor flottant, un bateau-scène pour imaginer la traversée des migrants de la Méditerranée, toujours grâce au théâtre : Goldoni en Italie, Aristophane en Grèce, Don Quichotte, Tartuffe en France, Goethe en Allemagne.
Après le festival d’Avignon, Nawar Bulbul poursuivra sa « révolution par le théâtre » en travaillant sur sa prochaine pièce Omar Abou Michel , surnom hommage de Michel Seurat, chercheur français enlevé et mort au Liban en 1986.
» Mawlana « , festival d’Avignon Off, Théâtre de la Bourse du travail CGT, 19h, jusqu’au 26 juillet, relâche les 8, 15, 22 juillet.
Adapter au théâtre le roman Anguille sous roche, de l’écrivain comorien Ali Zamir, est un beau défi : comment faire tenir en une pièce de théâtre d’une heure trente minutes ce monologue qui, sur le papier est une phrase unique de 318 pages ? Question qui nous taraude lors de cette répétition au Théâtre Gérard Philipe, de Saint-Denis (93), la première ayant lieu jeudi 10 janvier 2019.
Anguille est une jeune femme de 17 ans qui se noie entre deux iles de l’archipel des Comores, Anjouan et Mayotte. En une vingtaine d’années, 10 000 personnes se sont noyées entre ces deux îles, l’une faisant partie de la République des Comores, territoire indépendant depuis 1975, et l’autre étant un département français. Le trajet est fait de nuit clandestinement à bord d’un kwassa-kwassa, embarcation traditionnelle des pêcheurs.
Ali Zamir en avait fait un roman remarqué. Anguille sous roche a été récompensé en 2016 par plusieurs prix littéraires dont le Prix Senghor du premier roman francophone et francophile et la mention spéciale du jury du Prix Wepler.
Ce roman a la particularité d’être un fil tendu d’une phrase unique comme le souffle – le dernier ? – d’Anguille en train de se noyer. Ce moment est étiré par la grâce littéraire pour raconter en un ultime ressaut, sa vie jusqu’alors. Un récit testamentaire en quelque sorte, à l’âge où Rimbaud composait Voyelles.
Voici ce que nous en écrivions (Papalagui, 16/08/2016) lors de sa sortie : « Anguille… est un roman ambitieux à la glose précieuse mais coulante comme une houle, travaillée à l’ombre des badamiers, mi-jactance intérieure mi-suavité des dictionnaires les plus fins. Un roman à l’unique phrase de 318 pages à la langue singulière, aérienne et captivante.»
Le défi de l’adaptation théâtre était donc immense. Il a fallu en passer par quelques étapes clés dont l’une à laquelle on aurait aimé assister : la lecture intégrale du roman à voix haute, quinze heures de lecture par l’interprète d’Anguille, unique personnage de la pièce de Guillaume Barbot. La performance a permis au tandem metteur en scène/comédienne de choisir les extraits pour le théâtre. « J’ai cru que je n’y arriverai pas », nous a confié Déborah Lukumuena, 24 ans, qui joue Anguille. Or, elle y arrive [Déborah Lukumuena a reçu en 2017 le César de la meilleure actrice dans un second rôle pour son premier film, Divines, de Houda Benyamina.]
Lors des répétitions, elle a dû trouver son rythme, son souffle, dans cette longue phrase, même réduite à une heure trente de théâtre, comme le lecteur doit, lui, trouver sa respiration dans sa lecture du roman, alors qu’Anguille se noie et raconte sa vie passée.
Le metteur en scène Guillaume Barbot, 36 ans le jour où l’on assiste aux répétitions, a reçu carte blanche pour adapter le roman par Frédéric Martin, l’éditeur, et par Ali Zamir, l’auteur : « Pour moi, ce qui était le plus important c’était le parcours initiatique de cette jeune fille. Il fallait donc raconter son histoire d’amour et le fait qu’elle se fasse chasser par son amant et par son père, et comment elle décide de partir, et comment garder cette sensation d’asphyxie, alors que le roman et le théâtre ne sont pas dans la même logique.»
Pour avoir une adresse directe au spectateur les temps ont été placés au présent.
« Quand j’ai lu le roman, j’ai été dérouté au début, raconte le metteur en scène (assisté par Patrick Blandin). J’ai failli arrêté mais j’ai fait l’effort de continuer et ça ne m’a plus lâcher. Le livre a une force orale très puissante. Ce n’est pas ma langue et en même temps, elle est très intime.
Comme le roman, le théâtre accepte les formes multiples d’écriture, les registres différents. La musique est présente « 98% du temps », interprétée par Pierre-Marie Braye-Weppe (au violon électrique, côté jardin) et Yvan Talbot (bolon mandingue et longa burkinabé, côté cour).
Nous reviendrons sur la pièce quand nous l’aurons vue, lors de la première le 10 janvier. Mais sachez d’ores et déjà que le décor est magnifique : dans le recoin d’un cube, de l’eau au sol, son reflet au ciel et deux murs comme les cases d’un espace mental. Scénographie Justine Bougerol, Lumière Kelig Le Bars, création sonore : Nicolas Barillot.
À noter la double actualité d’Ali Zamir, qui sera présent pour une rencontre avec le public au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, dimanche 13 janvier 17h30 : il publie en ce mois de janvier un troisième roman (le deuxième avait pour titre Mon Étincelle) : Dérangé que je suis (éditions Le Tripode).
À noter aussi la double actualité de Déborah Lukumuena : outre son rôle d’Anguille au théâtre, elle joue dans le film Invisibles, de Louis-Julien Petit (sortie 9 janvier 2019).
Un dimanche au cachot, un superbe récit roman de Patrick Chamoiseau (2007) sur la reviviscence de la mémoire par la langue. Un écrivain sur de nombreuses scènes (migrations, théâtre, mémoire).
Il faudra maintenant compter avec l’adaptation théâtrale du « Dimanche… », signée José Pliya, qui prend en compte le seul personnage de l’Oubliée, chabine enceinte et magnifique.
Une mise en scène par Serge Tranvouez qui focalise efficacement sur le non espace d’un cachot esclavagiste.
Une interprétation à la fois fine et puissante de Laëtitia Guédon accompagnée avec justesse par le musicien Blade MC Alimbaye. Pieds nus sur des galets disposés en silhouette humaine, la comédienne (par ailleurs directrice des Plateaux sauvages, dans le XXe arrondissement de Paris) réussit à faire de la langue de Chamoiseau une superbe « matière de l’absence » (titre de son livre de 2016) pour aujourd’hui, en écho aux enfermements contemporains.
Dans la salle des Plateaux sauvages accueil enthousiaste et public lycéen captivé en ce 22 mai, jour de commémoration de l’esclavage en Martinique.
Prochaines dates au Théâtre des Quartiers d’Ivry et au Tarmac à Paris.
La voix magnétique d’Angélique Kidjo impose sa présence de charme et de frissons depuis une fenêtre nichée dans le mur de la Cour d’honneur du Palais des papes. Un diamant dans la nuit d’Avignon, une voix de cathédrale dans le plus grand édifice gothique. Ainsi commence « Femme noire », titre d’un poème de Léopold Sédar Senghor (1906-2001) et du spectacle de clôture du festival d’Avignon.
« Vêtue de ta couleur qui est vie… » La diva chante dans l’une des multiples langues africaines qu’elle affectionne, du fon au yoruba, en passant par le douala. C’est une figure de proue qui fait honneur à la Cour autant qu’une « Femme noire », sans doute le poème le plus célèbre du poète président sénégalais, l’un des instigateurs du mouvement de la négritude avec le Martiniquais Césaire et le Guyanais Damas.
« Vêtue de ta couleur qui est vie »
Comme la négritude chante la fierté noire, et plus généralement la dignité d’être homme parmi les hommes, « Femme noire » chante la femme comme jamais jusqu’alors en Afrique : « Femme nue, femme noire / Vêtue de ta couleur qui est vie,/ de ta forme qui est beauté/J’ai grandi à ton ombre… » Du pur lyrisme.
C’est une Marianne universelle qui va s’adresser au public. Elle l’a dit la veille lors de la répétition générale, cette nécessité d’aller au-delà « de nos différences culturelles ». Mieux, pour cette première représentation publique : Angélique Kidjo fait reprendre « Chez mama, chez mama Africa » aux 2000 spectateurs de la Cour d’honneur. Elle les fait se lever. Les fait applaudir quand elle dit « Applaudissez ! » Le public réagit de bonne grâce. Et se lève. Et chante. Et pourrait presque danser lorsqu’elle monte dans les gradins. Et dire avec elle : « Nous sommes tous des Africains » (car les ancêtres de l’Homme viennent d’Afrique).
« La grande famille humaine »
C’est un concert bon enfant, joyeux, « familial » comme la « grande famille humaine » qu’elle appelle de ses voeux, un chant accompagné par la douce présence du vénérable saxophoniste camerounais Manu Dibango, lui aussi aérien aux côtés du guitariste Dominic James. La joie et la grâce de ce duo de charme contrastent avec le texte du poète président sénégalais Senghor dit avec pesanteur et hésitations par le comédien Isaach de Bankolé. La Cour d’honneur l’a-t-elle intimidé à ce point ?
Une « Prière de paix » dans l’ancienne résidence papale
Plus tard, la photo géante de Senghor s’affiche sur l’immense mur de la Cour d’honneur. Elle est utilisée par le metteur en scène Frédéric Maragnani pour l’autre partition de « Femme noire ». Isaach de Bankolé dit un poème de Senghor de la même fenêtre-niche, tout petit, comme incrusté au coin de l’immense photo du poète.
C’est « Prière de paix », extrait du recueil « Hosties noires« , dédié lors de sa publication (1948) à « Georges et Claude Pompidou », Pompidou futur président de la république française. « Au pied de mon Afrique crucifiée depuis quatre cents ans et pourtant respirante / Laisse-moi te dire Seigneur, pardonne à l’Europe blanche… » Une prière au creux de l’ancienne résidence papale… Mais une prière ambivalente à l’égard de la puissance coloniale d’alors : « Oui Seigneur, pardonne à la France qui hait les occupants et m’impose l’occupation si grandement. »
Ce lyrisme qui peut paraître daté est loin de l’emportement salutaire du Congolais Sony Labou Tansi ou du Malien Yambo Ouologuen, auteur d’un « Devoir de violence » radical… contre tous les pouvoirs en Afrique comme en Europe.
Le sommeil d’une poésie, le soleil d’une diva
L’emphase surannée du poète et le phrasé atone du récitant ensommeillent la Cour. Le public est indulgent en ce soir de léger mistral. Le sommeil de la poésie ne provoque aucune réaction, comme si le public acceptait de faire révérence. Il est même ravi : à la sortie de ce spectacle de clôture du festival, nombre de spectateurs préfèrent garder à l’esprit la puissance d’un soleil nommé Angélique Kidjo.
Dans la tête de Basquiat
Reportage : Christian Tortel, Mourad Bouretima, Rael Moine. Montage : Jérémy Vellela. Mixage : Sylvie Lemaire.
Les génies vous tendent un piège, malgré eux, tant ils débordent du cadre. Comment par exemple mettre en scène Basquiat, figure de l’artiste underground new-yorkais, mort en 1988 à 27 ans, lui qui signait ses graffitis sur les murs de New-York du nom de SAMO (« Same old shit ») ?
En proposant un théâtre « indiscipliné » répond la Compagnie 0,10…
C’est du théâtre mais aussi un concert de jazz. Reconnaissons au dramaturge Koffi Kwahulé qui signe le texte d’être grand amateur de Thelonious Monk, et la clarinette de Nicolas Baudino fait des merveilles.
C’est aussi de la danse… ce qui flatte les émotions du corps.
Quant à la vidéo, trop souvent un simple gadget sur d’autres scènes, elle est ici frontale et vivante comme le sont les réminiscences d’un paysage urbain, Brooklyn vu de la chambre du jeune Basquiat… un quartier flouté par les gouttes dégoulinant à l’envers. Bravo au vidéaste Benoît Lahoz …
Quant à Basquiat, il ne repose pas que sur les épaules et le corps sculpté de Yohann Pisiou, impeccable en boxeur, rhéteur, malaxeur d’identités d’artistes. Il se démultiplie en trois avec aussi le danseur Willy Pierre-Joseph et le musicien Blade Mc Alimbaye qui pratique la beat box comme un art de la percussion par la bouche.
Cette polyphonie d’expressions est redoublée par l’usage de deux micros en fond de salle, encadrant les images frontales qui montrent outre des gouttes d’eau remontant la vitre, remontant le temps à courir après la jeunesse perdue… un éléphant marchant au ralenti ou des visages de jeunes filmés à Caen où la troupe était en résidence. Une manière pour la metteure en scène, Laëtitia Guédon, d’ouvrir la voie à un public jeune qui n’est pas censé fréquenter intensément les théâtres. Une voie déjà ouverte par Basquiat et qui trouve sur scène un prolongement réussi. Au sortir du spectacle, les réactions du public en témoignent comme on le découvre dans le reportage mis en ligne en ouverture de cet article…
Pas un biopic mais un hommage par l’imaginaire
De multiples aspects de la mise en scène de Laëtitia Guédon enchantent le spectateur comme le critique. Les uns retrouvent l’atmosphère underground d’un New-York des années 80, les autres entrent dans la tête de SAMO, le jeune Basquiat… « Il ne s’agissait pas de faire un biopic explique la nouvelle directrice des Plateaux sauvages, scène du XXe arrondissement de Paris, ni d’un spectacle transdiplinaire, plutôt de proposer une scène « indisciplinée », un hommage à un artiste (d’où le titre « Samo, a tribute to Basquiat ») par des artistes d’aujourd’hui à l’image du rebelle qu’était Basquiat. »
La typographie aux lettres blanches sur fond noir utilise quelquefois l’écran de fond de salle pour signer la scène et marquer ainsi l’un des enjeux de cette performance théâtrale : l’identité de l’artiste en mouvement. Les énumérations dans le texte de Kwahullé soutiennent ces interrogations. La scénographie d’Emmanuel Mazé les décuple.
Pour adapter Basquiat au théâtre, Laëtitia Guesdon a ainsi eu l’idée d’associer vidéo et musique, et de réunir trois comédiens. Un dispositif sophistiqué mais parfaitement maîtrisé. Une réussite qui fait entrer les spectateurs dans l’imaginaire du peintre new-Yorkais d’ascendance porto-ricaine et haïtienne.
La pièce intitulée « Samo, a tribute to Basquiat » est un hommage sensible à cette figure de l’Underground américain.
« Je voudrais enfoncer en chaque mot la douleur de ces hommes vivants sous les griffes d’un siècle qui bâcle ses espérances et qui entretient avec l’avenir des relations de panique », Sony Labou Tansi en ouverture de la préface de Antoine m’a vendu son destin (théâtre de La Colline, 21/02 au 18/03/2017)
Dans un pays où l’on compte un Syrien pour quatre Libanais, ‘The Caravan » est un théâtre itinérant qui montre sur le toit d’une voiture des scènes qui appuient là où ça fait mal : droit d’asile, amour ou discriminations à l’encontre des réfugiés Syriens.
Sabine Choucair, activiste culturelle à Beyrouth, documentariste, co-fondatrice d’une compagnie de clowns, Clown Me In, est la directrice artistique du projet The Caravan (cf son portrait [en anglais] sur le site culturel Fanack).
Sabine Choucair en clown (photo Fanack)
La presse européenne a rendu compte de ce théâtre itinérant en reprenant l’AFP. Lire La Libre belgique, La Croix. D’autres expériences au Liban utilisent le théâtre à des fins thérapeutiques comme le relate Orient XXI. Et la chaîne Al-Jazeera a réalisé un infografilm :
Un engagement qui rappelle en France le travail de Winter Guests [Papalagui, 26/06/2015]
Sur Mohammed Ali, le dramaturge congolais Dieudonné Niangouna a écrit cette pièce. M’appelle Mohamed Ali qui a été écrite pour Étienne Minoungou, qui l’a interprété lors de la création en 2013, dans la mise en scène de Jean Hamado Tiemtoré.
Réaction d’Étienne Minoungou sur le site de la radio burkinabé, Radio Oméga :
« Mohamed Ali est une des figures fortes du 20ème siècle. Je peux même dire qu’avec sa disparition, on a quitté définitivement le 20ème siècle et il était aussi grand que Nelson Mandela, Martin Luther King, Malcom X qui ont marqué le 20ème siècle et l’histoire contemporaine de la lutte des peuples pour l’affranchissement, la liberté, la dignité et Mohamed Ali l’a revendiqué à travers son art, son sport. »
Extrait de la pièce de Dieudonné Niangouna (Éditions Les Solitaires Intempestifs) :
« Debout Frazier et moi nous contemplons Manille pour un long moment encore. Les tambours et les gongs, les chansons festives, les clairons qui libèrent la nuit de ses angoisses, le bruit de la ville qui crache son cœur. Un rêve de titans. Les hommes ne peuvent s’y prêter qu’en étrange chose. Même les spectateurs ne sont pas des Hommes. Ce qui est au-delà des dieux n’a pas de couleur. Beaucoup plus loin que les religions, beaucoup plus loin, beaucoup plus loin que la gloire et la mort, beaucoup plus loin, beaucoup plus loin que la terre, le ciel, les arbres, les mers, beaucoup plus loin que les quatre cent quarante coups que j’ai reçu à la tête, beaucoup plus loin que Joe Louis, le silence des inondations, l’ogre des dimensions, la peur du jour dernier, beaucoup plus loin que le ring et les hourras des spectateurs, les lumières, la chaleur, l’étouffement, les remugles des excitations, beaucoup plus loin que Manille elle-même et son frisson tropical… Salam ! Paix ! Salam ! Paix ! Salam ! Paix ! Quatorzième round, beaucoup plus loin que quatorze rounds dans le frisson de Manille j’ai vu la mort. Je me suis approcher de la mort. Elle n’a pas de couleur. J’ai frappé la mort. Elle m’a mordu à la manière d’une bête enragée. Je l’ai frappée, je lui ai rossé des coups beaucoup plus loin que Smoking Joe Frazier qui est un excellent challenger, tout compte faits. Beaucoup plus loin que Georges Foreman que je salues de tout cœur. J’ai cogné la mort pour sortir de l’enfer. Je l’ai repousser, mais j’ai traversé la frontière de la vie. Et j’ai su que la mort c’est comme la vie, elles n’ont pas de couleurs. Nous n’avons pas de problème de couleur, c’est une illusion de la mémoire. Il n’y a pas d’homme de couleurs. Il nous faut sortir du théâtre, c’est tout. On aura jamais plus le même visage après avoir raconter son histoire. J’ai toujours rêvé de jouer Mohamed Ali. Et le cœur est le parfait champ des morts, là où coulent toutes les obsessions, les prières d’enfance, les rêves de jeunesse, les projets de l’adulte, les peurs du vieillard, la mort de l’oubli dans l’onde, et le châtiment des boniments non exaucés. Et maintenant j’ai vu. Je pardonne à mon cœur de frapper si fort dans l’œil du spectateur. »