Déwé Gorodé, la disparition d’une intellectuelle kanak

© photo Eric Aubry, Nouméa, 2004

Déwé Gorodé s’est éteinte ce 14 août 2022 à l’âge de 73 ans des suites d’une longue maladie à l’hôpital de Poindimié (Nouvelle-Calédonie). Figure politique indépendantiste kanak de Nouvelle-Calédonie et femme de lettres (romans, nouvelles, poésie, aphorismes), une œuvre écrite essentiellement en français, quelquefois en langue paicî, elle incarnait ce double engagement, féminin et féministe, politique et littéraire, pour son pays.

Première femme kanak titulaire d’un diplôme universitaire national (une licence de lettres modernes), elle a été membre du gouvernement de Nouvelle-Calédonie et sa Vice-présidente à deux reprises.

À lire l’article Le Monde avec l’AFP.

À lire sa biographie littéraire sur le site Île en île.

Une rencontre à Sète, lors d’un festival de poésie avec Déwé Gorodé et Imasango, co-autrices du recueil de poésie « Se donner le pays, paroles jumelles » (ed. Bruno Doucey), sur le site FranceInfo:culture

Parmi les premières réactions à sa disparition :

Roch Wamytan, président du congrès de Nouvelle-Calédonie a salué « un parcours exceptionnel » :

« Deux dossiers lui tiennent à cœur : l’enseignement des langues kanak et les signes identitaires. Sa volonté de faire connaître la culture et les traditions kanak, pour les faire connaître au monde, a poussé Déwé Gorodey, conteuse traditionnelle, à écrire de nombreux poèmes, contes et nouvelles, romans et pièce de théâtre. »

Philippe Gomès, ancien président du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie : 

« C’était une femme passionnante, une femme de conviction,une femme d’autorité aussi.

Combien en ai je vu battre en retraite quand Déwé prenait la parole pour affirmer ses positions sur tel ou tel sujet….Et il en était de même dans les différents cénacles indépendantistes. »

Maison du livre de Nouvelle-Calédonie :

« Femme de lettre engagée dans la culture, les arts et particulièrement le livre et la lecture. »

Gilbert Bladinières, éditions Madrépores, Nouméa :

« Avec la disparition de Madame Déwé Gorodé, la Nouvelle-Calédonie perd sa plus grande figure culturelle. 

En Nouvelle-Calédonie, elle laisse le souvenir d’une femme vraie, engagée pour ses convictions, ouverte à la multiculturalité et à son affirmation artistique et culturelle dans le bassin Pacifique. »

Éditions Bruno Doucey, Paris :

« Cette militante, qui n’abandonna jamais le combat pour la culture et la défense de son peuple, était porteuse de fraternité et d’espérance. » 

Un extrait de Utê Mûrûnû, petite fleur de cocotier, nouvelles, éditions Grain de sable, Edipop, 1994, p. 21 :

« Ces voix de la terre, enseignait donc ma grand-mère Utê Mûrûnû, n’étaient autres que celles de la mère, celles de la femme. Et elles s’adressaient, en premier lieu, à nous les femmes qui, mieux que personne, pouvions les comprendre. Porteuses de semences, nous étions lardées d’interdits, marquées de tabous comme autant de pierres pour obstruer la vie. Ornières de plaisir, nous devenions des Eva mordues par le serpent inventé par les prêtres de la nouvelle religion. Adi, perles noires du mariage coutumier, nous étions échangées comme autant de poteries scellant une alliance entre deux guerres. Voies et pistes interclaniques, nous survivions tant bien que mal à nos enfances et à nos pubertés trop souvent violées par des vieillards en état de lubricité. Prestige, virilité, guerre, des concepts mâles pour la grande case des hommes bâtie sur le dos large des femmes ! Partage, solidarité, humilité, paroles féminines conçues, nourries, portées dans nos entrailles de femmes battues ! « Auu ! Tu le sais déjà, petite soeur, ce monde érigé sur notre ventre, nos bras, notre tête, cet univers parasitant notre corps, n’est qu’un leurre qui nous force à la soumission. Mais il est tout aussi vrai, petite mère, que tous les hommes ne sont que nos fils ! Et si nous n’avons pas demandé à venir au monde, si nous n’avons pas choisi de naître femmes, nous n’avons qu’une vie, ici et maintenant, alors tentons au moins de la vivre au lieu de la subir ! Marchons sur les traces de Kaapo, notre princesse de légende kanake, qui ouvrit bien des brèches à ses risques et périls, qui se fraya tant de chemins contre vents et marées ! Soyons toutes des Kaapo ! »

Öyöyagl ! « Eh, toi, viens ici ! »

Il est encore des mots réfractaires à la googlisation. Prenez le mot « Öyöyagl ». Il nous vient d’une île du nord du Vanuatu, archipel du Pacifique voisin, de la Nouvelle-Calédonie, l’île de Hiw. Le linguiste Alexandre François (ses travaux qui ont inspiré l’article de Wikipédia consacré à la langue hiw) a dénombré 280 locuteurs de cette langue océanienne. Ce chercheur a appris la langue au risque de se faire moquer comme le raconte le film Le salaire du poète, d’Eric Wittersheim. Plus qu’un mot « Öyöyagl ! » n’est-il pas un symbole ? Sa traduction : « Eh, toi, viens ici ! »

De Nouvelle-Caldéonie, un air d’opérette…

Le théâtre subventionné existe aussi en Nouvelle-Calédonie. La distance qui sépare Nouméa et Avignon, le nombre d’interprètes – quatorse -, expliquent le budget important – 100 000 euros – nécessaire à la présence des artistes amateurs de « Pas sur la bouche » au Cabaret du Rouge Gorge.
Quatorze chanteurs et musiciens amateurs de l’atelier d’art lyrique du Conservatoire de musique et de danse de la Nouvelle-Calédonie ont fait le déplacement au festival d’Avignon pour interpréter « Pas sur la bouche », une opérette (théâtre musical et léger), écrite en 1925 par André Barde pour les paroles et Maurice Yvain pour la musique, qui avait été adaptée au cinéma par Alain Resnais en 2003 avec Sabine Azéma et Pierre Arditti.
Sur la scène du Rouge Gorge, les chanteurs professionnels et amateurs jouent un vaudeville chanté. Cette forme de théâtre musical est subventionnée par le gouvernement de la Nouvelle Calédonie, la Province-Sud, la Maison de la Nouvelle Calédonie à Paris, la Mairie de Nouméa et plusieurs mécènes privés pour offrir à ses interprètes l’occasion unique de se frotter au festival d’Avignon. On espère pour eux que le succès sera au rendez-vous : lors de sa représentation du jeudi 10 juillet, seuls une vingtaine avaient fait le déplacement.
Trois autres compagnies calédoniennes se produisent au festival d’Avignon : la compagnie « Cris pour habiter exils » avec la pièce « Eileen Shakespeare » de Fabrice Melquiot, la compagnie de danse contemporaine, dirigée par Sthan Kabar Louët avec « Le Berceau des Esprits », la compagnie Art’Scenic, avec « L’Avare » de Molière (du 5 au 12 juillet).

Pour aller plus loin, consulter le site du Rouge Gorge, du Conservatoire de la Nouvelle-Calédonie, de la Maison de la Nouvelle-Calédonie à Paris

Festival d’Avignon, jour de grève mais jour de répétition pour les danseurs calédoniens

Lors du premier jour du festival d’Avignon, le 4 juillet, jour de grève, jour d’annulation des deux spectacles d’ouverture du « In », il y a au moins trois positions différentes des artistes et techniciens. Ceux du festival « In » ont voté un jour de grève. Ceux de la coordination nationale, les plus radicaux, emmené par la CGT-spectacles, ont déposé un préavis de grève d’un mois, ceux du festival « Off » venus de très loin pour jouer, et qui n’ont même pas le statut d’intermittents, comme les danseurs calédoniens. Dans la rue et sur scène, voici leur première journée.

… créer dans un monde qui oblige les peintres à tuer les poètes

« Travaille, travailleur.
Fondeur du Creusot, devant toi,
Il y a un fondeur d’Essen,
Tue-le.
Mineur de Saxe, devant toi,
Il y a un mineur de Lens,
Tue-le.
Docker du Havre, devant toi,
Il y a un docker de Brême,
Tue-le.
Poète de Berlin, devant toi,
Il y a un poète de Paris,
Tue et tue, tue-le, tuez-vous,
Travaille, travailleur. »

Extrait de Tu vas te battre, poème de Marcel Martinet publié dans Les Temps maudits, en 1917. Réédité chez Agone en 2004.


Dans son livre Le tableau papou de Port-Vila (Cherche-Midi), Didier Daeninckx (avec Joe G. Pinelli) dialogue avec Olivier Faivrier, auteur d’un article sur la poésie pacifiste liée au Chemin des Dames. Il lui décode le poème Travaille, travailleur… en citant une source allemande digne de foi, qui précise que deux vers (concernant un poète français) sont de la main du peintre allemand Heinz von Furlau, sujet de la quête de l’auteur de polars mémoriels, de l’Océanie aux Chemins des Dames.
«En fait von Furlau commandait plusieurs pièces d’artillerie qui pilonnaient le secteur du Bois-des-Buttes et la route de Pontavert, à environ trois kilomètres de Craonne. Un an et demi plus tôt, le 17 mars 1916, au même endroit, un éclat d’obus avait transpercé le casque d’un soldat français qui s’appelait Guillaume Apollinaire. Heinz von Furlau n’a jamais pu se défaire de l’idée qu’il était en quelque sorte responsable… On a la copie d’une lettre à sa sœur Magda où il lui confie : « À quoi bon continuer à créer dans un monde qui oblige les peintres à tuer les poètes ? » (« Wozu noch langer künstlerrisch schaffen in einer Welt, die Maler zwingt, Poeten umzubringen. »)

[Centenaire Césaire] « Une Tempête » au Centre culturel Tjibaou de Nouméa

Début novembre, selon que vous serez en Martinique ou en Nouvelle-Calédonie, vous aurez le choix entre deux pièces de Césaire, proposées pour son centenaire. A Fort-de-France, le TNP de Villeurbanne met en scène et joue Une saison au Congo [Papalagui, 15/10/2013], à Nouméa, Pacifique et Compagnie met en scène et joue Une Tempête au Centre culturel Tjibaou, du 31 octobre au 03 novembre et du 07 au 10 novembre 2013.

Présentation par la compagnie Pacifique et Compagnie :

« Un navire sombre dans les eaux furieuses d’une tempête infernale. Depuis l’île où il a été exilé à la suite d’un funeste complot, le duc et magicien Prospero contemple le naufrage… et voit débarquer ses ennemis d’autrefois. La vengeance est proche !… Mais son esclave Caliban se révolte, et rien ne sera plus comme avant… Aimé Césaire a adapté pour un théâtre nègre « La Tempête » de Shakespeare.

Ce monument du théâtre est revisité par une écriture anticolonialiste. Exilé de force sur une île, Prospero devient le maître tyrannique de l’esclave Caliban et du docile Ariel. Les rouages de la domination coloniale sont décortiqués au fil de la confrontation des personnages, enfermés sur ce bout de terre sans horizon. »

Mémoires Vives du Pacifique (Musée d’Aquitaine)

Carte du nouveau monde. Collection Chatillon musée d’Aquitaine 2003.4.36

De la découverte du Pacifique par les Européens à la restitution de la tête maorie du musée de Rouen il y a peu. Une belle brochette de conférences sont prévues au Musée d’Aquitaine à Bordeaux. Première d’entre elles, le 3 octobre,  « La Nouvelle-Calédonie sur le chemin du destin commun. » par Sandrine Sana Chaille de Nere, Professeure de droit international privé à l’Université Montesquieu Bordeaux IV. L’exposition Mémoires Vives, qui accompagne ce cycle et qui sera inaugurée le 15 octobre, est consacrée aux expressions plastiques des Aborigènes d’Australie.