Au Festival Quais du Polar à Lyon, un instant de cinéma comme peu.
Max et les ferrailleurs, un des très grands films de Claude Sautet (1971) dans la belle salle du Comoedia, avenue Berthelot. Sur l’écran, Michel Piccoli (Max) et Romy Schneider (Lili, prostituée indépendante, compagne d’Abel, l’un des ferrailleurs).
Dans la salle, au milieu du public, Michel Piccoli, 84 ans.
Piccoli est accompagné de Michel Boujut, critique de cinéma pour qui » Max et les ferrailleurs est un film parfait « . Les deux complices nous font la grâce d’une discussion post-film. On oublie assez vite le fil du temps et les 38 ans qui séparent Piccoli-Max et Piccoli-dans-la-salle. On pense un moment à La Rose pourpre du Caire, le film de Woody Allen (1985) où Tom Baxter sort de l’écran et vient dans la salle pour conquérir le cœur de Cécilia, une jeune serveuse de brasserie, qui voit le film pour la cinquième fois. On y pense puis on passe à autre chose d’encore plus sidérant… La qualité de jugement de Piccoli, qui incarne le cinéma à l’écran comme dans la salle…
Max-le-policier rêve d’un flag, seule méthode selon lui pour mettre au trou des braqueurs. Et un flag, ça s’organise… Il deviendra Max-le-banquier qui ira – suprême délice – séduire par l’argent Lili la belle pute à la grande âme, qu’il manipulera froidement pour qu’elle entraîne la bande de son ami, Abel, de la ferraille de Nanterre à une petite agence bancaire, rue d’Argonne dans le XIXe, à Paris…
Tout le film nous tient dans cette double tension : la tension du suspense policier (Max réussira-t-il à monter le flag, » son » flag ? et la tension amoureuse (Max-le-banquier et Lili-la-prostituée fascinée par l’argent vont-ils s’aimer ?). C’est un film de maître et un duo admirable.
C’est Michel Boujut qui lance la loco Piccoli. Il faut dire que dans la dernière séquence de Max…, alors que Piccoli a joué pendant tout le film sur le registre du tragique-tendu-contenu, obsédé par la volonté très maîtrisée de monter le flag parfait, un événement survient. Et le duo Piccoli/Romy Schneider se métamorphose dans une bulle de regards croisés, absolument divins.
Alors Boujout dans cette salle du Comoedia demande à Michel Piccoli : » Qu’aviez-vous dans la tête à ce moment là quand on vous emmène, et que Lili-Romy Schneider est sur le trottoir, et que vous la regardez avec ce regard-là ? »
Et Piccoli qui lui répond tout de go (esprit plus rapide tu meurs) : » J’avais la tête dans le vide. Un comédien qui a été plein de beaucoup de sentiments, qui a été admirable de ce plein, il doit savoir faire le vide. « Et ce vide est vertigineux, tant il montre le désarroi d’une réussite. Le flag a réussi, il a gagné, mais il a tout perdu aussi. Max…, c’est la tragédie par le vide.
Et Piccoli – qui n’est pas que Max- sait où il se trouve, justement dans cette salle du Comoedia, 38 ans près. On a l’impression que dans son esprit le tournage c’était hier.

On lui a raconté toute l’histoire du cinéma de l’avenue Berthelot, créé il y a presque un siècle, dans la ville des frères Lumière. Et Piccoli est dans cette ville ce jour-là après avoir regardé parmi nous ce film-ci, Max et les ferrailleurs. Donc l’histoire d’un ciné racheté par le groupe UGC puis racheté par un indépendant qui lui redonne le nom de Comoedia, et UGC qui lui fait un procès, UGC qui ne veut pas que le nom soit maintenu (ils ont racheté la salle donc le nom). Finalement UGC sera débouté de son procès et le Comoedia a gardé son nom.
Donc Piccoli s’adresse aux spectateurs : » Je ne vous souhaite pas d’avoir la tête vide quand vous sortirez de la salle. D’ailleurs le cinéma nous donne la tête pleine. A la maison, avec cette chose qu’on appelle comment ? Oui, un DVD… on crois avoir vu un film, on le crois seulement… Ici rien n’encombre le film, à la maison on s’arrête, on est distrait. Ici il n’y a rien d’autre qu’un truc blanc, on est dans la vraie folie du cinéma, c’est-à-dire une salle.
Et Piccoli est toujours dans la salle. On l’a encore dans l’œil Max, l’obsédé : » Que ceux qui n’ont pas d’obsession dans cette salle, qu’ils osent lever la main ! « Personne ne lève la main.
La loco Piccoli, la loco de cinéma, continue : » La magie c’est le montage, mais quand on est pris par le film on ne voit pas le montage. Récemment, j’ai revu des films de Ferreri, dans ses films on voit la fragilité et l’importance fantastique du cinéma pour l’histoire du monde, pour notre histoire. »
On comprend pourquoi on voit les films, pourquoi on les revoit surtout.
Michel Boujout a vu Max et les ferrailleurs une dizaine de fois, nous dit-il. Dans la salle un spectateur invétéré dit les choses tout net : lui a vu le film plus d’une demi-douzaine de fois, il nous dit que ce film de Sautet est ce qui s’est fait de mieux sur un homme et son obsession.
Bien sûr Piccoli parle de Romy : » Moi je suis en vie, pourquoi n’est-elle pas en vie ? « Il le dit ainsi, avec ces mots-là, il le dit comme ça.

Et Boujut parle de la qualité des dialogues » au rasoir » (Sautet, Néron, Dabadie), de la musique de Philippe Sarde, du livre de Claude Néron (il nous apprend que La Grande marade va être réédité).
Avant de quitter la salle, Piccoli nous dit qu’il va tourner un film dont le titre est : » Ma femme va avoir une voiture « .