Chronique Culture du 11 mai 2012

La chronique du jour (France Ô) a réuni des écrivains qui aiment se coltiner le réel, que ce réel traverse la société d’aujourd’hui ou que ce réel reflète l’Histoire. Prenons trois auteurs et trois formes littéraires différentes, le roman au sens où l’entend la littérature générale, la bande dessinée et le polar. Ces trois genres traduisent la richesse d’un réel inépuisable comme source de fiction.

Le colloque consacré à l’archéologie de l’esclavage, a réuni des spécialistes durant trois jours au musée du Quai Branly : « L’archéologie de la période coloniale joue un rôle décisif pour documenter les conditions de vie des esclaves, leurs habitats, les rites d’inhumation, l’état sanitaire des défunts, leur âge, leur sexe. »

Or, le dernier roman de Gisèle Pineau, qui porte le joli titre de Cent vies et des poussières (Mercure de France) s’appuie sur un épisode douloureux de la Guadeloupe : un massacre de nègres marrons. Cette faute originelle est l’une des composantes romanesques du livre.

L’auteur de Morne Câpresse va plus loin en installant une communauté d’aujourd’hui sur les lieux-mêmes du massacre. En bout de chaîne : une femme en mal d’enfants qui a pour seule envie d’avoir des bébés, quitte à délaisser ces enfants grandis, vivant d’illusions, comblant le vide de son existence par le plein de bébés. Sur ce terreau, se développe la misère sociale et affective, bifurquent les mauvaises pistes pour une jeunesse déboussolée, s’égarent dans la voie de la sur-consommation les citoyens d’aujourd’hui.

Gisèle Pineau est une écorchée vive de la littérature guadeloupéenne. Elle nous interpelle : les enfants des illustres marrons vivent dans un ghetto social. La question de la responsabilité collective est posée par l’auteur, qui vit aujourd’hui à Marie-Galante : que sont devenus les enfants des nègres marrons ? Ce thème de la jeunesse en impasse était aussi traité par l’écrivain martiniquais Alfred Alexandre l’an dernier avec Les villes assassines et par le cinéaste Jean-Claude Flamand Barny en 2004 avec Neg’marron.

Une bande dessinée nous donne l’occasion de nous intéresser à la date du 8 mai qui est commémorée à la fois en France et en Algérie, dans un chassé-croisé de mémoires : l’Armistice dans un cas, le rappel d’un massacre dans l’autre cas.

Car la date de l’Armistice, c’est-à-dire de la capitulation de l’Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe est aussi la date d’un massacre à Sétif en Algérie, thème d’une bande dessinée signée Azouz Begag et Djillali Defali, Leçons coloniales (Delcourt).

La BD décrit l’installation d’une institutrice qui essaiera en vain d’ouvrir l’école aux autochtones musulmans et les préparatifs clandestins d’une manifestation d’opposants politiques. Les qui voulaient profiter de l’armistice pour mettre en avant leurs revendications d’indépendance et réclamer la libération de Messali Hadj, leader du Parti populaire algérien (PPA).

 

Bilan : un mort à Sétif puis des émeutes qui font une centaine de morts parmi les Européens puis des représailles qui vont causer la mort de plusieurs dizaines milliers de personnes.

3e page historique, 3e forme littéraire, le polar historique avec Le choix des désordres de Pierre D’Ovidio (éditions 10-18) qui s’attache à un autre massacre colonial, celui de Madagascar en 1947.

Voir l’exposition des photos de Pierrot Men à Paris. Ces insurgés, l’inspecteur Maurice Clavault va les croiser lors de son enquête sur la disparition d’un colon. Un polar qui vaut pour la description de l’atmosphère de survie dans la France d’après-guerre et sur la genèse d’une insurrection qui s’est soldée elle-aussi par plusieurs dizaines de milliers de morts en 47 et 48.

 

Chronique Culture du 4 mai 2012

Sur France Ô, la Chronique Culture du 4 mai 2012 :

1. À voir l’exposition, Le Corps découvert à l’Institut du monde arabe. Parmi les 70 artistes, 200 œuvres, je retiendrai le travail photo de l’artiste franco-marocaine Majida Khattari. Cette série a pour titre Les Parisiennes. Majida Khattari a déjà présenté des défilés performance sur le voile et la burqa. Voir le site de l’artiste.


Ces deux photos s’inspirent ouvertement de la période orientaliste d’Eugène Delacroix qui a peint en 1834 Femmes d’Alger dans leur appartement, un tableau exposé au Louvre, une vision réaliste du monde arabe, non fantasmée, une référence directe pour Majida Khattari, qui s’attache à un érotisme subtil à peine voilé.


Le Corps découvert est une exposition ouverte jusqu’au 15 juillet à l’Institut du monde arabe à Paris.

L’écrivain martiniquais Raphaël Confiant m’offre une transition évidente avec Rue des Syriens (Mercure de France), nom donné à la rue François Arago à Fort-de-France qui regroupe les commerçants levantins.


Ce n’est pas son meilleur roman, mais lui aussi tombe à pic, en résonance involontaire avec l’actualité du monde arabe. Il a le grand mérite de compléter sa « Comédie créole », (au sens de la Comédie humaine balzacienne) dont il nous avait déjà donné plusieurs composantes avec l’histoire des engagés indiens dans La panse du chacal et la présence chinoise (sa grand-mère paternelle était chinoise) avec Case à Chine.

À noter, à titre anecdotique, dans Rue des Syriens, la Guadeloupe est nommée par les candidats syro-libanais à l’exil, « Oued el-Houb », c’est-à-dire « la Rivière de l’amour ».

3. À quelques jours du festival de Cannes, voici un film présenté au festival l’an dernier, film du mexicain Gerardo Naranjo, Miss Bala. C’est l’histoire d’une miss beauté otage d’un cartel de la drogue, fléau qui a déjà fait 35 000 morts dans le pays.
Poignant ce portrait d’une femme belle emportée dans une logique de guérilla urbaine où chacun de ces choix peut être fatal, grand rôle mélancolique pour Stéphanie Sigman et superbe rôle de méchant intelligent Noe Hernandez, le chef de gang, deux comédiens impeccables.

Chronique Culture du 27 avril 2012

1.

Le Retour d’Ataï, scénario Didier Daeninckx, dessins Emmanuel Reuzé.
Ataï, l’un des chefs de la rébellion de 1878 en Nouvelle-Calédonie. Sa tête devenue trophée pour musée. Sa restitution est annoncée depuis peu.

Dans la BD, un vieux kanak fait le voyage depuis sa tribu de Tendo dans la province Nord de la NC. Il vient à Paris pour enquêter sur la tête, dans les musées, les salles de ventes et dans les collections privées.
La narration est assez succincte, mais ce qui fait la force de la BD est son graphisme qui nous plonge dans une atmosphère mystérieuse, de non-dit, sur la marchandisation officielle des têtes ou sur la perversité de certains collectionneurs privés. Le trait d’Emmanuel Reuzé réussit à donner une gravité et une dignité aux têtes kanak.
2.

Le Secret de l’enfant fourmi, premier long métrage de Christine François, qui sort le 2 mai, film dont le principal intérêt est de lever un tabou sur l’assassinat des enfants-sorciers par toute une communauté, les Baribas du Nord-Bénin.

(c) Agat films et Cie

Dans le film, basé sur des faits réels, une jeune femme en mal d’amour débarque chez son ancien amant qui vit en Afrique, se perd dans la nuit de la brousse, se voit confier de force un enfant abandonné par une mère en plein désarroi.

Bande-annonce :

 

Reportage réalisé par Sabine Godard, (France 3 Amiens), tant sur l’objectif  de la réalisatrice-documentariste Christine François, que sur la musique (très originale) composée par Jean-François Hoël, l’un des musiciens du groupe picard Zic Zazou :

 

3.

En Afrique du Sud … au temps de l’apartheid avec The Suit, (Le costume), une pièce de théâtre du Sud-Africain Can Themba, adaptée, mis en scène et en musique par Peter Brook, Marie-Hélène Estienne et Franck Krawczyk.
C’est l’histoire d’un homme amoureux de sa femme qui rentre chez lui et la découvre avec son amant qui part en courant et laisse son costume dans la place.
La suite de The Suit raconte comment ce couple va vivre avec ce costume… entre comédie et tragédie…
C’est une pièce où tout fonctionne à merveille, y compris l’anglais sur-titré en français. La violence sociale ou conjugale est sublimée par les chants de la comédienne Nonhlanhla Kheswa dont voici un avant-goût :


Vous avez reconnu Feeling Good de Nina Simone. The Suit, ce n’est pas une comédie musicale mais du théâtre chanté avec trois musiciens sur scène et qui interprètent des rôles de figurants, où Miriam Makeba côtoie Franz Schubert.
The Suit se joue à Paris, au théâtre des Bouffes du Nord jusqu’au 5 mai.

Chronique Culture du 2 mars 2012

1. Exposition Tim Burton qui commence le 7 mars à la Cinémathèque française à Paris. L’homme a l’esprit plein d’images et autant de dessins. A noter un coffret de 15 films sort en attendant son prochain Dark Shadows.

2. Patrick Chamoiseau, L’Empreinte à Crusoé, Gallimard. Son dernier roman s’inspire de Robinson Crusoé, classique de Daniel Defoe publié en 1719.

Patrick Chamoiseau raconte comment Robinson sur son île tombe un jour sur une empreinte de pied, et comment cette découverte après 20 ans de vie solitaire va le bouleverser. Et si cet Autre lui redonnait vie ? Et si cette empreinte était la sienne ?

C’est un roman qui remet en question la notion même de récit, en une longue phrase de 220 pages où le seul signe de ponctuation est le point-virgule, qui symbolise l’exploration permanente de l’île par Robinson comme l’exploration même de son esprit tourmenté…

3. Phil Darwin, humoriste que nous vous avons présenté comme tragédien il y a peu dans la pièce de théâtre Des Ruines, de Jean-Luc Raharimanana, mise en scène par Thierry Bédard. Dans sa 1ere activité celle d’humoriste, il interroge les identités des renois, rebeus, reblancs. Phil Darwin est à Paris à L’Archipel ce soir et demain.

Chronique Culture du 27 janvier 2012

Dans la chronique Culture hebdomadaire sur France Ô,  le 27 janvier 2012 :

Race est le titre d’une pièce de théâtre de l’Américain David Mamet, adaptée et mise en scène par Pierre Laville, jouée à la Comédie des Champs Elysées. Un homme riche et blanc va être jugé pour le viol d’une femme noire dans une chambre d’hôtel. La pièce a été écrite avant l’affaire DSK. Elle met en scène quatre personnages,  les deux avocats, un blanc joué par Yvan Attal, un noir joué par Alex Descas, le client blanc Thibault de Montalembert, une avocate assistante noire, Sara Martins.

La pièce évolue du procès du viol au procès du racisme, et les personnages sont rattrapés par les préjugés. Un théâtre terriblement efficace, des acteurs portent un texte pas politiquement correct sur un sujet qui va troubler les personnages et finalement leur échapper.


Pour réfléchir sur les situations de domination raciale et sociale, je vous propose cet essai de Nicole Lapierre, Causes communes, sous-titré Des Juifs et des Noirs (éditions Stock).

Cette directrice de recherche au CNRS a écrit un livre de sociologie historique très documenté non pas sur une prétendue concurrence des mémoires mais sur les relations nouées entre Juifs et Noirs durant le XXe siècle. Causes communes de Nicole Lapierre retrace l’empathie des leaders des deux causes juives et noires pour la liberté et la dignité.

L’une des figures de la BD est l’Américain Art Spiegelman, président du festival de la BD d’Angoulême jusqu’à dimanche. Son livre majeur est Mauss, réédité 25 ans après sa 1ere édition en français, l’un des premiers livres graphique sur l’histoire d’une famille, la sienne, pendant l’Holocauste.

Et un second livre, MetaMauss raconte le processus de création de sa BD et comment sa vie entière a été dévorée par cette aventure d’un livre.

Les victimes sont dessinés en souris, les nazis en chats. Vous savez que dans leurs caricatures les nazis représentaient quelquefois les Juifs comme des rats. Chez Spiegelman la souris renvoie à un personnage emblématique de la culture américaine : Mickey Mouse.

Au festival d’Angoulême, on retrouve Doriane Allain et Stéphanie Depierre avec l’illustrateur Brunö (scénariste Nury) pour la BB Atar Gull, esclave, héros méconnu, qui confirme que la vengeance est un plat qui se mange froid.

Dans la chronique Culture du 20 janvier 2012

En prolongement de la chronique Culture de France Ô, vendredi 20 janvier 2012, à 18h30, les liens des événements cités :

Théâtre (Comores) : Un dhikri pour nos morts, de et par Sœuf Elbadawi,  Confluences

Théâtre (Madagascar) : Des Ruines, de Jean-Luc Raharimanana, mise en scène Thierry Bédard, interprété par Phil Darwin Nianga, et le dimanche : Excuses et dires liminaires de Za, Maison de la Poésie.

Lire les interviews de J.L. Raharimanana et Phil Darwin Nianga dans Jeune Afrique du 5/11/2010 et du 25/10/10. Et de l’auteur, « La langue comme une arme », La Terrasse, janvier 2012.

Exposition Orphelins de Fanon, de Mathieu Kleyebe Abonnenc à La Ferme du Buisson, Marne-la-Vallée et des tables rondes les 21 et 22 janvier.

La revue Mwà Véé du Centre culturel Tjibaou, Nouméa, et son numéro spécial « 40 ans de culture kanak ».

Dans la chronique Culture du 13 janvier 2012…

Dans la chronique Culture du 13 janvier 2012 (France Ô, 18h30), spéciale Haïti :

. Exposition Haïti 500 ans d’histoire, à l’ENS, Lyon, jusqu’au 24 février ;

. Exposition Haïti, les villes imaginaires, à Bordeaux, jusqu’au 17 janvier ;

. Revue numérique, Intranqu’îllités, en lien sur Papalagui du 12 janvier ;

. Concert de Jowee Omicil au festival Kreol jazz, Neuilly (Hauts-de-Seine), 14 janvier, 19h.

 

Fichiste, stabilo-bosser, pitcher, les petits métiers de la littérature à la télé

À lire si vous êtes curieux du backstage (coulisses) littéraire à la télé… l’article de Anna Topaloff dans Marianne du 7/01/12 où la journaliste a enquêté sur « le monde du survol » plutôt que de la lecture : « c’est surtout la façon dont les émissions sont bâties qui permet à leurs animateurs de zapper la case « lecture ». Concrètement, à la télévision, il est bien peu question de littérature, de style et de structure narrative. On y parle surtout de l’accueil qui lui a été réservé par la presse et du nombre d’exemplaires vendus ou mis en place. De plus, la multiplication des invités raccourcit le temps consacré à chacun et autorise un simple survol. Dix minutes, quinze à tout casser, c’est juste assez pour évoquer l’histoire du livre, et encore… »

Un monde qui a ses petits métiers :

Programmateur : « Quand un présentateur décide d’organiser un débat télévisé sur l’autofiction ou un focus « spécial rentrée littéraire », il fait appel à Marc pour qu’il lui déniche une brochette d’auteurs. Et il l’assure : « La qualité de l’ouvrage ne fait pas partie des critères de sélection. La première question que te pose l’anim, c’est : « Est-ce que c’est un bon client ? » Un « bon client », c’est un auteur célèbre qui fait des blagues. Si ce n’est pas le cas, il faut qu’il « passe bien ».

Fichiste : « Les fichistes, ce sont ces petites mains qui lisent les livres, notent les thèmes forts, recopient les noms des personnages et les citations chocs. »

Assistante : « Tous les animateurs ont une assistante, généralement une femme, qui est un peu leur « cerveau ». Elles lisent les livres et leur racontent : ils se comprennent si bien qu’après une demi-heure de conversation les animateurs peuvent te parler du bouquin comme s’il l’avait lu eux-mêmes ! » décrypte un programmateur, pour qui ces femmes, totalement inconnues du grand public, sont les véritables « âmes des émissions».

Geneviève Moll, journaliste littéraire (1942-2011)

La journaliste et biographe Geneviève Moll est décédée ce matin dans un hôpital normand, a annoncé France Télévisions où elle avait passé 26 ans de carrière.

Née en 1942, elle fait ses débuts à la télévision à Antenne 2, devenue France 2, dans l’émission « Aujourd’hui Madame », comme reporter puis chroniqueuse littéraire. Elle intègre en 1981 la rédaction d’Antenne 2, en tant que grand reporter au service Culture et Société, service qu’elle dirigera sept ans plus tard.

Geneviève Moll a notamment occupé les fonctions de rédactrice en chef du journal de 13 heures avant de retourner diriger le service Culture, puis de prendre sa retraite en 2007.

Parallèlement à son activité de journaliste, elle a écrit plusieurs biographies : Yvonne De Gaulle (1999), Françoise Sagan (2007) et François Mitterrand (1995). France Télévisions a salué dans un communiqué cette « grande figure de la rédaction de France 2« . (AFP)