Alger, 1980, cote 68261

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« Parfois dans cet univers cosmique des caravanes sortent bruyamment de l’horizon, et comme une vision mythologique prennent possession du ciel ; sur son énorme méhari blanc au col de cygne, un targui hiératique dirige la migration en psalmodiant la geste de sa tribu, derrière suivent les bergers, les esclaves, les chameaux et les chambellans, et plus loin trottinent les chèvres et les moutons soudanais à jambes d’échassier et à poil de veau, et puis les gosses tout nus bleus de peau et blancs de sable comme des sorciers animistes de la grande forêt du sud, et alors viennent les femmes lentes et dédaigneuses, grandes, effilées et souples comme des lianes, drapées de haillons et souveraines, accueillantes et faciles, puis soudain sans raison méprisantes et impénétrables.

Et il semble, tant l’espace à parcourir est insondable, que le ciel roule sans fin sur leurs têtes et que la caravane ne bouge plus. »

Ces deux phrases de Roger Frison-Roche sont citées par Henri Lhote dans Les Touaregs du Hoggar, livre édité par Payot en 1944, cote 68261 à la Bibliothèque nationale d’Algérie, où elles ont été recopiées en 1980, quelques jours avant une traversée entre l’Assekrem et Tamanrasset…

Contre Kamel Daoud, une curieuse « fatwa »

En Algérie,  une fatwa menace l’écrivain Kamel Daoud, journaliste et écrivain connu pour son roman finaliste du prix Goncourt Meursault, contre-enquête, édité par Barzakh en 2013, Actes Sud en 2014, inspiré de L’Étranger d’Albert Camus.
Décrit comme étant un « obscur salafiste » par le quotidien Le Matin, Abdelfattah Hamadache, un des « fondateurs d’un parti non agréé, le Front de la Sahwa islamique salafiste libre » a appelé à l’assassinat de l’intellectuel.
Dans une pétition, le journaliste Adlène Meddi, rédacteur en chef de Le Watan week-end, a réagi dans une pétition pour que « les ministres de la Justice et de l’Intérieur [enclenchent] des poursuites contre ces appels aux meurtres ».
Dans sa chronique quotidienne, Kamel Daoud réplique : « De quoi cela est-il le signe ? Du déni : rues sales, immeubles hideux, dinar à genoux, Président malade, une dizaine de migrants tués dans un bus sur la route du rapatriement, dépendance au pétrole et au prêche, niveau scolaire misérable, armée faiblarde du Golfe à l’océan, délinquances et comités de surveillance du croissant, corruption, viols, émeutes. Rien de tout cela ne gêne. Sauf le genou de la femme, l’avis de Kamel Daoud, le film « l’Oranais », dénoncer la solidarité assise et couchée avec la Palestine, l’Occident en général, le bikini en particulier et l’affirmation que je suis Algérien ou le cas d’Israël comme structure des imaginaires morbides.
Pourquoi cela existe ? Pourquoi l’âme algérienne est-elle encerclée par une meute de chiens aigus et des ogres pulpeux ? », conclut-il.

Des lignes qui rappellent Les ennemis, du nouvelliste syrien Zakaria Tamer :

الخطر
سُئِلَ عالِمٌ عَمّا سَيَحْدُثُ فِي المُسْتَقْبَلِ فَقَالَ دُونَ تَرَدُّدٍ :
– سَيَمُوتُ الكِبَارُ. سَيَمُوتُ الصِغارُ. سَتَمُوتُ القِطَطُ وَ الطُّيُورُ وَ الأَزْهارُ.

« Le danger. On interrogea un savant au sujet de ce qui se passerait dans l’avenir ;  il répondit sans hésiter : « Les adultes mourront. Les enfants mourront. Les chats, les oiseaux et les fleurs mourront. Les maisons et les livres seront brûlés. On mettra le feu aux écoles et aux photos. Le napalm effacera les rires, la langue arabe et les champs. Les hôpitaux seront détruits. Les usines seront anéanties. Les femmes marcheront dans la rue sans voile. » Lorsque cela fut écrit dans les journaux, tous ceux qui étaient dévoués à la nation tombèrent d’accord pour condamner ce qui arriverait à la femme ;  ils demandèrent aux gens de lutter pour repousser ce danger loin de la nation. »
extrait de la nouvelle « Les ennemis », fragment du recueil « Les Tigres, le dixième jour » (1978), de Zakaria Tamer, écrivain syrien, traduction du passage par Luc-Willy Deheuvels (Manuel d’arabe moderne, volume 2, P. 19, 2011).

Frantz Fanon : « Je n’aime pas les gens qui s’économisent. »

A signaler l’édition poche (600 pages quand même) de l’indispensable Frantz Fanon, une vie, par David Macey, aux éditions La Découverte (parution le 14/11 après la première édition grand format en 2011). C’est LA biographie sur Fanon, traduite par Christophe Jaquet et Marc Saint-Upéry, avec son chapitre sur Les Damnés de la terre, actuellement adapté au théâtre du Tarmac, à Paris, par Jacques Allaire.

Extrait p. 486 (Sartre n’a pas encore préfacé Les Damnés de la terre) :

« La conversation avec Fanon fut entamée lors du déjeuner et se poursuivit jusqu’à 2 heures du matin, à tel point que Simone de Beauvoir commença à s’inquiéter et signala de façon aussi polie que possible que Sartre devait dormir un peu. Fanon fut scandalisé et confia à Lanzmann : « Je n’aime pas les gens qui s’économisent. » Ils restèrent donc debout jusqu’à 8 heures du matin. Sur un ton plus conciliant, il ajouta qu’il paierait volontiers 20 000 francs pour pouvoir converser avec Sartre du matin au soir pendant quinze jours. De fait leurs échanges durèrent trois jours et ils se rencontrèrent de nouveau dix jours plus tard lorsque l’écrivain antillais repassa par Rome pour prendre l’avion en direction de Tunis. »

Pour mémoire : 17 octobre 1961, il y a 52 ans

« Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes », a déclaré le Président de la République dans un court communiqué en 2012. » (AFP)

Voir Papalagui, 17/10/12.

Un rassemblement a lieu à Paris au Pont Saint Michel ce jeudi 17 octobre 2013, à 18h

17 octobre 1961 – 17 octobre 2012

« François Hollande a officiellement reconnu mercredi au nom de la République la « sanglante répression » des manifestations d’Algériens le 17 octobre 1961 à Paris, rompant avec un silence de 51 ans de l’Etat sur les événements.

« Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes », a déclaré le Président de la République dans un court communiqué. » (AFP)

A cinq mois de la fin de la guerre d’Algérie, le 17 octobre 1961, Paris a été le lieu d’un des plus grands massacres de gens du peuple de l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale. Ce jour-là, des dizaines de milliers d’Algériens manifestent pacifiquement contre le couvre-feu qui les vise depuis le 5 octobre et la répression organisée par le préfet de police de la Seine, Maurice Papon. La réponse policière sera terrible. Des dizaines d’Algériens, peut-être entre 150 et 200, sont exécutés. Certains corps sont retrouvés dans la Seine. Pendant plusieurs décennies, la mémoire de ce épisode majeur de la guerre d’Algérie sera occultée. (Le Monde, 17.10.11)

Le film de Yasmina Adi, Ici on noie les Algériens – 17 octobre 1961, dont nous avions parlé il y a un an [Papalagui, 14/10/11], sort lors de cette commémoration en DVD. Production Shellac.

Chronique Culture du 11 mai 2012

La chronique du jour (France Ô) a réuni des écrivains qui aiment se coltiner le réel, que ce réel traverse la société d’aujourd’hui ou que ce réel reflète l’Histoire. Prenons trois auteurs et trois formes littéraires différentes, le roman au sens où l’entend la littérature générale, la bande dessinée et le polar. Ces trois genres traduisent la richesse d’un réel inépuisable comme source de fiction.

Le colloque consacré à l’archéologie de l’esclavage, a réuni des spécialistes durant trois jours au musée du Quai Branly : « L’archéologie de la période coloniale joue un rôle décisif pour documenter les conditions de vie des esclaves, leurs habitats, les rites d’inhumation, l’état sanitaire des défunts, leur âge, leur sexe. »

Or, le dernier roman de Gisèle Pineau, qui porte le joli titre de Cent vies et des poussières (Mercure de France) s’appuie sur un épisode douloureux de la Guadeloupe : un massacre de nègres marrons. Cette faute originelle est l’une des composantes romanesques du livre.

L’auteur de Morne Câpresse va plus loin en installant une communauté d’aujourd’hui sur les lieux-mêmes du massacre. En bout de chaîne : une femme en mal d’enfants qui a pour seule envie d’avoir des bébés, quitte à délaisser ces enfants grandis, vivant d’illusions, comblant le vide de son existence par le plein de bébés. Sur ce terreau, se développe la misère sociale et affective, bifurquent les mauvaises pistes pour une jeunesse déboussolée, s’égarent dans la voie de la sur-consommation les citoyens d’aujourd’hui.

Gisèle Pineau est une écorchée vive de la littérature guadeloupéenne. Elle nous interpelle : les enfants des illustres marrons vivent dans un ghetto social. La question de la responsabilité collective est posée par l’auteur, qui vit aujourd’hui à Marie-Galante : que sont devenus les enfants des nègres marrons ? Ce thème de la jeunesse en impasse était aussi traité par l’écrivain martiniquais Alfred Alexandre l’an dernier avec Les villes assassines et par le cinéaste Jean-Claude Flamand Barny en 2004 avec Neg’marron.

Une bande dessinée nous donne l’occasion de nous intéresser à la date du 8 mai qui est commémorée à la fois en France et en Algérie, dans un chassé-croisé de mémoires : l’Armistice dans un cas, le rappel d’un massacre dans l’autre cas.

Car la date de l’Armistice, c’est-à-dire de la capitulation de l’Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe est aussi la date d’un massacre à Sétif en Algérie, thème d’une bande dessinée signée Azouz Begag et Djillali Defali, Leçons coloniales (Delcourt).

La BD décrit l’installation d’une institutrice qui essaiera en vain d’ouvrir l’école aux autochtones musulmans et les préparatifs clandestins d’une manifestation d’opposants politiques. Les qui voulaient profiter de l’armistice pour mettre en avant leurs revendications d’indépendance et réclamer la libération de Messali Hadj, leader du Parti populaire algérien (PPA).

 

Bilan : un mort à Sétif puis des émeutes qui font une centaine de morts parmi les Européens puis des représailles qui vont causer la mort de plusieurs dizaines milliers de personnes.

3e page historique, 3e forme littéraire, le polar historique avec Le choix des désordres de Pierre D’Ovidio (éditions 10-18) qui s’attache à un autre massacre colonial, celui de Madagascar en 1947.

Voir l’exposition des photos de Pierrot Men à Paris. Ces insurgés, l’inspecteur Maurice Clavault va les croiser lors de son enquête sur la disparition d’un colon. Un polar qui vaut pour la description de l’atmosphère de survie dans la France d’après-guerre et sur la genèse d’une insurrection qui s’est soldée elle-aussi par plusieurs dizaines de milliers de morts en 47 et 48.

 

Alger, capitale de l’ennui (Pierre Puchot, Médiapart)

« Le jour, le centre-ville d’Alger fait encore illusion. Surtout en mars lorsque, vers 17 heures, la lumière, moins vive qu’en été, vient caresser puis se confondre avec la blancheur des immeubles aux balcons bleu roi, qui ont tourné la tête à tant de romanciers et cinéastes. La municipalité, elle aussi, continue d’être davantage fascinée par la ville que par ses habitants. Un plan pour l’hyper-centre, autour de la Grande Poste, a même été voté pour nettoyer les majestueux immeubles d’époque coloniale, que l’on aperçoit sur toutes les cartes postales. Mieux encore : depuis la fin de l’année passée, les Algérois ont enfin leur métro, promis par tous les chefs d’Etat en poste depuis vingt-cinq ans.

Il faut pourtant attendre la tombée de la nuit pour prendre la mesure du quotidien des habitants de la capitale algérienne. À cette heure-là (19 heures au printemps), la fascination laisse peu à peu place à l’étonnement, puis à la désolation. Des rues vides, un centre-ville désert, presque sans vie… Depuis la fin des années 2000, la tendance paraît s’amplifier, et Alger semble ne pas s’extraire d’un conservatisme étatique qui s’impose à tout ce qui se révèle le soir, la nuit. »

La suite de l’article de Pierre Puchot sur Médiapart.

Frantz Fanon, le cinquantenaire du 6 décembre 2011

 

6 Décembre 2011 : cinquantenaire de la mort de Frantz Fanon et des Damnés de la Terre, neuf ans après Peau noire, masques blancs, dont la supplique finale est restée célèbre : « Ô mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge ! ».

En deux mots :

Le Martiniquais Frantz Fanon s’engage à 18 ans contre le nazisme. Puis fait des études de psychiatrie. Ecrit Peau noire, masques blancs. Travaille 3 ans à l’hôpital de Blida en Algérie. S’engage au FLN. Devient Algérien. Ecrit Les Damnés de la Terre. Et meurt d’une leucémie aux Etats-Unis à l’âge de 36 ans.

De cette vie placée entre deux guerres dans les années 50, Fanon a développé une analyse du racisme : le racisme fait de l’homme un aliéné, qu’il soit colonisé ou colonisateur. Et une théorie de la violence : à la violence globale, s’oppose une violence légitime. Devenu ambassadeur d’une Algérie pas encore indépendante, il critique les bourgeoisies africaines au pouvoir. Après sa mort, Fanon est considéré aux Etats-Unis comme un auteur noir révolutionnaire, en France comme un auteur algérien tombé dans l’oubli, en Martinique, comme le 3e homme, à côté de Césaire et Glissant. Celui qui a fait du déplacement et du décentrement une philosophie de vie prônait la décolonisation de l’esprit et des savoirs.

Actualités Fanon :

France Culture rend hommage à Frantz Fanon, du lundi 5 au samedi 10 décembre.

France Ô, page spéciale le 6 décembre, dans le journal de 18h30, avec Louis-Georges Tin. Interventions de Pierre Chaulet, Claude Lanzmann, Françoise Vergès, Magali Bessone, Matthieu Renault, Benjamin Stora.

Sur Radio Ô, Terres d’outre-mer de Tessa son émission spéciale du 5/12 (à podcaster) « Les masques et les damnés ».  Rediffusion d’un reportage à Alger et Paris de Tessa Grauman.

Documentaire Fanon :

« Frantz Fanon, un héritage sans frontière », documentaire de Antoine Lassaigne, Jérôme-Cécil Auffret et Frédéric Tyrode (production Beau Comme une Image et Martinique 1ère). Diffusion Martinique 1ère, mardi 6 décembre, 20h. À Paris, projection le 8 décembre, à 19h, à l’auditorium de l’Hôtel de ville.

Comprendre Fanon (rencontres) :

À Paris, le 7/12 à 18h30, au Centre Wallonie-Bruxelles, Fanon, quel héritage ? organisé par la Plate-forme Migrants citoyenneté européenne

À Alger, les 5 et 6 décembre : Colloque Frantz Fanon

En Martinique, Rencontre internationale organisée par le Cercle Frantz Fanon, du 6 au 9/12, avec Olivier Fanon, Alice Cherki, Samir Amin.

Lire Fanon :

Œuvres de Frantz Fanon, un volume qui réunit pour la première fois Peau noire, masques blancs / L’An V de la révolution algérienne / Les Damnés de la terre / Pour la révolution africaine. Très belle préface d’Achille Mbembe et beau texte de Magali Bessone.
La Découverte, 2011, 884 p.

Frantz Fanon, Une Vie de David Macey, Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Jaquet et Marc Saint-Upéry, La Découverte, 2011, 598 p

Frantz Fanon. De l’anticolonialisme à la critique postcoloniale de Matthieu Renault
Éditions Amsterdam, 2011, 224 p.

Frantz Fanon, figure de dépassement. Regards croisés sur l’esclavage
Sous la direction de Christiane Chaulet Achour
Collection CTRF, Encrage, 2011, 146 p.

Frantz Fanon et les Antilles. L’empreinte d’une pensée d’André Lucrèce, Éditions Le Teneur, 2011, 166 p.

« Se souvenir de Fanon » : l’unité de la théorie et de la pratique,  (À propos du dossier « Frantz Fanon, 50 ans après… Une vie, une pensée de révolutionnaire », Contretemps, n° 10, juin 2011), Revue Mouvements.

Écouter Fanon : « Racisme et culture », Conférence de Frantz Fanon au Congrès international des écrivains et artistes noirs, à La Sorbonne le 20 septembre 1956 (durée 37min18s), accessible sur le site de l’INA :
http://www.ina.fr/video/ticket/PH909013001/65514/cab4c4404eb347f6f612064a64c4acd6
Le texte « Racisme et culture » est publié dans Pour la Révolution africaine (La Découverte). Photo [(c) Présence africaine] du Premier Congrès des écrivains et artistes noirs, Paris, 1956 : Fanon est à la troisième rangée, deuxième en partant de la gauche.

Voir Fanon : « Orphelins de Fanon », exposition-hommage jusqu’au 29 janvier 2012, du sculpteur Mathieu Kleyebe Abonnenc à la Ferme du Buisson à Marne-la-Vallée.

Liens :

« Se souvenir de Fanon », revue Mouvements, à propos du numéro spécial de Contretemps.

Fondation Frantz Fanon

Frantz Fanon, la cause des peuples colonisés

Frantz Fanon international

La biographie de Fanon par Kathleen Gyssels sur le site littéraire Île en île

Octobre noir, une BD pour prendre date

Dans Octobre noir, Didier Daeninckx au scénario et Mako au dessin retracent avec talent l’atmosphère poisseuse, pluvieuse et sanglante du 17 octobre 1961 à Paris, entre l’ambiance rock des tremplins du Golf-Drouot et de l’Olympia, et la manifestation des ouvriers Algériens venus de la banlieue de Paris, leur ratonnade boulevard Bonne-Nouvelle, et la litanie des disparus, matraqués puis jetés dans la Seine ou renvoyés illico en Algérie.

À l’heure d’un appel à la reconnaissance officielle de la tragédie, et d’une inscription de la date dans le récit national, une bande dessinée des éditions Ad libris apporte son éclairage sensible et douloureux [à noter l’erreur de la page Wikipédia intitulée 1961 qui évoque un « Massacre d’indépendantistes algériens lors d’une manifestation à Paris »].

La BD bénéficie d’une préface de Benjamin Stora. « Pourquoi un tel déferlement de brutalités policières à l’encontre des manifestants algériens, alors que six mois plus tard à peine vont être signés les accords d’Évian conduisant à l’indépendance de l’Algérie ? interroge l’historien. Pourquoi la direction de la Fédération de France du FLN a t-elle donné la consigne d’une manifestation pacifique ? N’y a-t-il pas eu de sa part sous-estimation ou tout simplement incompréhension des intentions du gouvernement français ? »

Dans le rappel du contexte politique de l’époque, l’universitaire de Paris 13 (voir le site de Benjamin Stora) prolonge l’analyse de Gilles Manceron dans La triple occultation d’un massacre (La Découverte) (cf. Papalagui, 14/10/10).

Dans la préface d’Octobre noir, Benjamin Stora écrit : « La nuit du 17 octobre s’est longtemps enfoncée dans les eaux boueuses de la mémoire française. Recouverte par l’autre nuit de Maurice Papon, celle du métro Charonne de février 1962. (…) Et puis les amnisties des crimes de la guerre d’Algérie sont arrivées très vite, contenues dans les accords d’Évian signés en mars 1962. (…) Les amnisties successives (quatre après 1962) consolideront le silence. »

L’intérêt de la BD Octobre noir est aussi dans cet accompagnement par l’analyse historique et mémorielle (par ailleurs, lire l’article de Pierre Nora, « La question coloniale, une histoire politisée », Le Monde, 15/10/11). Un livre qui rappelle en sa fin, la belle harangue de l’écrivain Kateb Yacine au peuple de la Commune : « Peuple français, tu as tout vu oui tout vu de tes propres yeux et maintenant vas-tu parler ? Et maintenant vas-tu te taire ? ».

La BD est complétée par un article de Didier Daeninckx, qui fait retour sur sa jeunesse, publié une première fois dans la presse algérienne à l’occasion du 25e anniversaire de la répression, contre une « amnésie volontaire, organisée », pour rappeler que des « dizaines de lignes [sont] à remplir pour rendre leur identité à chacune des victimes, afin que l’oubli ne soit plus possible. » (Médiapart l’inscrit dans une série intitulée 17 écrivains se souviennent).

Les éditeurs concluent la BD par la liste établie par l’historien Jean-Luc Einaudi, auteur de La Bataille de Paris (Le Seuil) : « Morts et disparus à Paris et dans la région parisienne ».

Débat avec les auteurs à l’Institut du monde arabe (IMA) de Paris, le 27/10/11 à 18h30.