Le goût des autres ? « Le plus dur reste à faire » (Syla, rappeur)

Pour son festival « Le goût des autres », Le Havre a voulu faire place aux « littératures de la négritude », pluriel ambitieux à cerner si l’on excepte le trio Senghor, Damas, Césaire. Césaire dont l’année 2013 est celle du centenaire de la naissance.

La belle idée des organisateurs est d’avoir lancé cette année du centenaire de Césaire la même semaine que Fort-de-France, en Martinique. Mais au Havre, en ce premier jour de rencontres, on a davantage évoqué le jumelage avec une autre ville, Pointe-Noire, capitale économique et principal port du Congo, avec la personne de l’écrivain Alain Mabanckou, qui publie Lumières de Pointe-Noire (Le Seuil), une forme de cahier d’un retour au pays natal.

Le programme du Goût des autres.

Dans ce reportage apparaissent successivement les rappeurs Syla, A-Kalmy et le député-maire du Havre, Édouard Philippe. Images : Leïla Zellouma, son : Bernard Blondeel, montage : Harold Horoks :

La lecture est un séisme

Un lecteur ? un auteur ? un écrivain engagé ? un extra-terrestre ? cette photo de Fabrice Poiteaux, prise en 2012, représente Charles Pennequin, dont chaque lecture est un séisme culturel…

Là, devant un panneau STOP, le poète hurlant lit profère débagoule transpire Comprendre la vie (P.O.L., 2010), et  « se livre à un massacre en règle de toutes les croyances, les habitudes, les illusions qui nous aident à vivre » (dixit l’éditeur).

Dans son manifeste qui préfigure un stage « quand tout pétarade », je lis : « Il faut en finir une bonne fois avec ça, cette façon de parler et saper le moral de tous ces gens « qui s’accordent à dire ». »

Kant : Prix et dignité

Entendu lors du séminaire de Georges Didi-Huberman, « Peuples en larmes, peuples en armes », ce lundi 14 janvier à l’École des Hautes études en sciences sociales (Paris), cet axiome philosophique d’Emmanuel Kant, extrait de Fondements de la métaphysique des mœurs, II :

« Dans le règne des fins tout à un PRIX ou une DIGNITÉ. Ce qui a un prix peut être aussi bien remplacé par quelque chose d’autre, à titre d’équivalent ; au contraire, ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n’admet pas d’équivalent, c’est ce qui a une dignité.
Ce qui rapporte aux inclinations et aux besoins généraux de l’homme, cela a un prix marchand ; ce qui, même sans supposer de besoin, correspond à un certain goût, c’est-à-dire à la satisfaction que nous procure un simple jeu sans but de nos facultés mentales, cela a un prix de sentiment ; mais ce qui constitue la condition, qui seule peut faire que quelque chose est une fin en soi, cela n’a pas seulement une valeur relative, c’est-à-dire un prix, mais une valeur intrinsèque, c’est-à-dire une dignité. »

Les émotions télévisées ont un prix, leur surabondance les annulent.

Où est la dignité ?

Liberté, Égalité, Fraternité

À Tunis, une journée nationale des embrassades (en arabe اليوم الوطني القبل, El-yaoum el-watani el qabil) était organisée samedi en solidarité avec un couple de Tunisiens condamnés à deux mois de prison pour s’être embrassés dans la rue.

À Paris, dimanche, une manifestation contre le mariage pour tous entendait faire nombre contre un projet de loi pour le mariage pour tous, donc y compris homosexuel.

Kiss-in à Tunis pour la LIBERTÉ, calicots roses-cathos à Paris défiant l’ÉGALITÉ.

À Tunis comme à Paris, un même combat s’impose pour la… FRATERNITÉ.

Cadavres très exquis ou C’est dans le monde qu’on fait les meilleures soupes de mots

« Le cari coco et le couscous du cornac cuisent dans la cocotte pour toute la caravane : casoar, caïman, civette, cacatoès, chacal, colibri, chimpanzé, canari. Seul le condor a le cafard de n’être pas convié. »

Extrait de Comptines polyglottes par Aurélia Moynot, édité à La Réunion par Epsilon.

Sauriez-vous retrouver l’origine des mots ? Du tamoul, portugais, arabe, cinghalais, néerlandais, persan, malais, caraïbe, arabe, malais, arawak, tshiluba (langue bantoue de RD Congo), espagnol, quechua.

Voir le site d’Aurélia Moynot, petite-fille de papetier et créatrice de sculptures de papier et carton.

Avec Vassilis Alexakis, la langue française c’est pas du Grand-Guignol

Vassilis Alexakis vient d’être désigné lauréat du Prix de la langue française 2012. Doté de 10.000 euros, sa récompense sera remise lors de la Foire du livre de Brive, le
vendredi 9 novembre 2012.

Écrivain grec de langue française, il publie L’enfant grec (Stock) qui met en scène la littérature dans les flâneries au jardin du Luxembourg. Parmi les héros du roman, les marionnettistes du théâtre de Guignol dont il nous dévoile les coulisses : « Les figurines à fil sont des princesses, Guignol est un paysan. Je le trouve en même temps plus vivant : il est aussi vivant que ma main. C’est une main qui parle. »

Le dernier descendant du théâtre de Guignol Jean-Guy Mourguet vient de mourir. Les gazettes nous apprennent avec l’AFP que « le créateur de Guignol, Laurent Mourguet, était un canut (ouvrier indépendant travaillant la soie) poussé à trouver des activités complémentaires pour nourrir sa famille alors que le travail sur métier à tisser est arrêté à la veille de la Révolution française. Reconverti en camelot, puis arracheur de dents, il attire les clients en utilisant des marionnettes représentant Arlequin ou Polichinelle. Puis il crée une nouvelle marionnette de canut, et c’est la naissance de Guignol, en 1808. 

Rapidement, Guignol, rejoint par sa femme Madelon et son compère, l’ivrogne Gnafron, connaissent le succès auprès du peuple pour lequel il prend fait et cause contre les autorités établies, à commencer par les gendarmes, les propriétaires et les concierges. »

Dans L’enfant grec, la fréquentation des marionnettes (à propos desquelles Jean Cocteau affirmait : « Il y a trop d’âmes en bois pour ne pas aimer les personnages en bois qui ont une âme »), Vassilis Alexakis vient à s’interroger (du moins son narrateur, mais on excusera le lecteur de les confondre) :

– Pourquoi écrivez-vous ? interroge-t-on aussi.

Est-ce une activité saugrenue, comme la cleptomanie ou le saut en parachute ? (…) J’ai découvert de bonne heure que la vie n’avait rien de plus beau à m’offrir que des mensonges. Je l’ai su grâce aux lectures que me faisait ma mère le soir. Je ne rêvais pas encore d’écrire; pour la bonne raison que je ne savais même pas lire, j’envisageais cependant de devenir un grand menteur. Je m’appliquais d’ailleurs à mentir le plus possible, ce qui me valait un certain succès. J’ai su très tôt en somme que la meilleure façon de raconter un événement était de l’inventer. »

L’enfant grec nous amène à relire le Théâtre de Guignol (qu’on n’a pas vraiment lu, mais vu, soyons net et honnête) :

GUIGNOL.

Oui, mais avec tous tes états… aujourd’hui, nous avons pas encore déjeuné… & v’là l’heure du dîner que s’avance.

GNAFRON.

Tiens ! (Il réfléchit.) Nous dînons !… Fais-toi dentiste.

GUIGNOL.

Est-ce que je connais la dentisterie ? te me prends pour une mâchoire.

GNAFRON.

T’as tout ce qu’il faut pour être dentiste… Faut un toupet d’aplomb, & être un bon menteur.

GUIGNOL.

Oh ! alors, ça te convient : t’as une dose de menterie que se porte bien.

GNAFRON.

Par exemple ! est-ce que je t’ai jamais dit un mensonge ?

GUIGNOL.

Allons ! pourquoi donc que te m’as dit l’autre jour que t’avais été au bois de Roche-Cardon chercher des nids, & que t’avais trouvé dans un nid dix œufs de lapin ? Est-ce que les lapins font des œufs ?

Nous lisons dans L’enfant grec, p. 78 : « »Gnafre » signifie cordonnier dans le jargon lyonnais.»

Que Vassilis Alexakis, tout récent lauréat du prix de la langue française, manifeste une telle maîtrise du patois lyonnais nous comble de joie.

“ Donner des yeux au langage ” (Octavio Paz)

Alain Freixe :
Le monde est. On ne le voit pas. On ne voit que du langage. On voit des mots. Regarder, c’est lire, épeler les choses. Si telle est la “ réalité ”, comment accéder au réel, comment éprouver la présence ? Arriverons-nous à la saisir ? La gardera-t-on ou nous échappera-t-elle toujours ? Octavio Paz disait qu’il fallait “ donner des yeux au langage ”, partagez-vous son approche de l’écriture poétique ?

Jacques Ancet :
J’ai beaucoup lu Octavio Paz et ses essais, surtout, m’ont beaucoup marqué. C’est lui qui nous dit, au début de son grand poème autobiographique Pasado en claro (regrettablement traduit par ce raide Mise au net) que “ voir le monde c’est l’épeler ”. Que percevoir c’est déjà nommer. Nous ne voyons pas les choses mais seulement leur nom. Alors, “ donner des yeux au langage ”, ce serait justement détruire ces “ mots qui sont mes yeux ” (Paz), qui me forcent à voir et donc m’empêchent de voir, pour, sur les ruines de la langue utilitaire et du sens institué, dans un langage qui ne me prendrait pas mes yeux mais me les donnerait, voir enfin. Ceci dit, j’ajouterais cette nuance importante : donner des yeux au langage, c’est lui donner une oreille. Car ce que je vois dans le poème (au sens large où il peut être roman, pièce de théâtre ou essai), en fait, je l’entends. À travers le passage silencieux d’une voix qui s’est mise à parler et qui, soudain, en sait bien plus que moi. À condition que mon encombrante identité se soit mise en veilleuse, pour que dans l’espace laissé libre par son retrait, autre chose puisse advenir. Cet autre qui est je (Rimbaud), ce “ latent compagnon qui en moi accomplit d’exister ” (Mallarmé) et avec lui le langage et le monde comme à l’état naissant. Le réel ? Je ne crois pas. Qui peut l’atteindre ? Mais en tout cas son pressentiment.

Extrait du Basilic n°41, mai 2012, gazette téléchargeable sur le site des éditions de L’Amourier, qui publient Comme si de rien, de Jacques Ancet.

En 2013, dans le match Larousse / Robert : 87 à 101

En cette rentrée littéraire, les dictionnaires grand public ont évidemment toute leur place, comme nous le rappellent les campagnes de publicité. C’est le moment choisi par le club d’orthographe de Grenoble pour publier son traditionnel travail critique. La dénommée Camille a épluché pour notre plus grand bonheur et celui des adhérents du club les deux éditions phares de l’année.

Et Camille nous rappelle à l’ordre. Elle s’en prend tant à la critique littéraire (qui s’en moque des dicos) qu’au marketing éditorial : « Pourquoi s’acharner à axer la publicité sur le pourcentage infime de mots nouveaux (…) ? Je milite pour une information plus complète sur le produit, car l’enjeu est énorme : c’est leur dictionnaire que les locuteurs d’une langue prennent pour référence. « 

Du coup Camille ne se crée pas que des amis. À commencer par Le Robert : « Cette publication [sa recension des mots nouveaux, cachés, sortis, réintégrés, l’examen des expressions nouvelles comme de l’évolution du prix] gêne considérablement les auteurs du dictionnaire, qui me l’ont fait savoir par la voix du juriste des éditions Le Robert, en août 2011 [On ne voit pas ce qu’on pourrait lui reprocher]. Mais m’est-il permis de faire autre chose (…) quand je vois que tous les médias, unanimement, célèbrent toute parution dictionnairique en reprenant sans recul et sans critique les éléments prémâchés par l’éditeur dans le dossier de presse du produit ? »

Camille nous apprend que parmi les 101 nouveautés du Robert 2013 « de nouveaux auteurs contemporains font leur entrée dans le dictionnaire par la voie de la citation : Caryl Férey (aux articles hacker et label), Fabrice Humbert (pack), Olivier de Kersauson (caillou, propulsif), Carole Martinez (crevé, ksar). »

Même travail à propos du Petit Larousse illustré 2013. Parmi les 87 nouveaux articles du dictionnaire, le club orthographique de Grenoble remarque que « les emprunts sont moins nombreux que d’habitude et, chose remarquable, ils ne proviennent pas majoritairement de l’anglais (cf. bissab et korité, du wolof, chibani, de l’arabe, dalit, du sanskrit, gaïta, de l’espagnol, gnawa, du berbère, kop, de l’afrikaans). « 

mot du jour : préquelle

Une préquelle (ou « antépisode » au Québec et au Nouveau-Brunswick) est une œuvre réalisée après une œuvre donnée, mais dont l’action se déroule précédemment d’un point de vue scénaristique, selon Wikipédia. Contrairement à son contraire, la suite, elle ne s’appuie pas sur des évènements déjà produits mais raconte les origines des événements et personnages.

Exemples : en littérature, Rabelais a écrit Gargantua (publié en 1534) après Pantagruel (publié en 1532), alors que Gargantua est le père de Pantagruel ; en cinéma, Indiana Jones et le Temple Maudit (préquelle de Les aventuriers de l’Arche Perdue).

À Brest, l’hospitalité en français, breton, arabe, wolof…

« Certains résidents m’appellent « ma merc’h ». Des collègues l’ont traduit par « ma mère », pensant que les personnes déliraient ou étaient désorientées. Sauf qu’en breton, ça veut dire « ma fille ». C’est affectueux. Ces personnes âgées parlent de façon sensée ! » explique la pétillante Marie Kerdraon, 52 ans, aide-soignante à l’hôpital brestois depuis 1993 (…)

Une satisfaction aussi pour Marie. Son parcours est original. D’origine libanaise, née au Sénégal avant l’indépendance (et donc de nationalité française), elle parle l’arabe et le wolof. Elle fait partie de la liste de l’hôpital qui recense des personnes parlant les langues étrangères. « Je suis l’unique référente pour le wolof ! ».

La suite de l’article sur Ouest-France.