Vassilis Alexakis vient d’être désigné lauréat du Prix de la langue française 2012. Doté de 10.000 euros, sa récompense sera remise lors de la Foire du livre de Brive, le
vendredi 9 novembre 2012.
Écrivain grec de langue française, il publie L’enfant grec (Stock) qui met en scène la littérature dans les flâneries au jardin du Luxembourg. Parmi les héros du roman, les marionnettistes du théâtre de Guignol dont il nous dévoile les coulisses : « Les figurines à fil sont des princesses, Guignol est un paysan. Je le trouve en même temps plus vivant : il est aussi vivant que ma main. C’est une main qui parle. »
Le dernier descendant du théâtre de Guignol Jean-Guy Mourguet vient de mourir. Les gazettes nous apprennent avec l’AFP que « le créateur de Guignol, Laurent Mourguet, était un canut (ouvrier indépendant travaillant la soie) poussé à trouver des activités complémentaires pour nourrir sa famille alors que le travail sur métier à tisser est arrêté à la veille de la Révolution française. Reconverti en camelot, puis arracheur de dents, il attire les clients en utilisant des marionnettes représentant Arlequin ou Polichinelle. Puis il crée une nouvelle marionnette de canut, et c’est la naissance de Guignol, en 1808.
Rapidement, Guignol, rejoint par sa femme Madelon et son compère, l’ivrogne Gnafron, connaissent le succès auprès du peuple pour lequel il prend fait et cause contre les autorités établies, à commencer par les gendarmes, les propriétaires et les concierges. »
Dans L’enfant grec, la fréquentation des marionnettes (à propos desquelles Jean Cocteau affirmait : « Il y a trop d’âmes en bois pour ne pas aimer les personnages en bois qui ont une âme »), Vassilis Alexakis vient à s’interroger (du moins son narrateur, mais on excusera le lecteur de les confondre) :
– Pourquoi écrivez-vous ? interroge-t-on aussi.
Est-ce une activité saugrenue, comme la cleptomanie ou le saut en parachute ? (…) J’ai découvert de bonne heure que la vie n’avait rien de plus beau à m’offrir que des mensonges. Je l’ai su grâce aux lectures que me faisait ma mère le soir. Je ne rêvais pas encore d’écrire; pour la bonne raison que je ne savais même pas lire, j’envisageais cependant de devenir un grand menteur. Je m’appliquais d’ailleurs à mentir le plus possible, ce qui me valait un certain succès. J’ai su très tôt en somme que la meilleure façon de raconter un événement était de l’inventer. »
L’enfant grec nous amène à relire le Théâtre de Guignol (qu’on n’a pas vraiment lu, mais vu, soyons net et honnête) :
Oui, mais avec tous tes états… aujourd’hui, nous avons pas encore déjeuné… & v’là l’heure du dîner que s’avance.
Tiens ! (Il réfléchit.) Nous dînons !… Fais-toi dentiste.
Est-ce que je connais la dentisterie ? te me prends pour une mâchoire.
T’as tout ce qu’il faut pour être dentiste… Faut un toupet d’aplomb, & être un bon menteur.
Oh ! alors, ça te convient : t’as une dose de menterie que se porte bien.
Par exemple ! est-ce que je t’ai jamais dit un mensonge ?
Allons ! pourquoi donc que te m’as dit l’autre jour que t’avais été au bois de Roche-Cardon chercher des nids, & que t’avais trouvé dans un nid dix œufs de lapin ? Est-ce que les lapins font des œufs ?
Nous lisons dans L’enfant grec, p. 78 : « »Gnafre » signifie cordonnier dans le jargon lyonnais.»
Que Vassilis Alexakis, tout récent lauréat du prix de la langue française, manifeste une telle maîtrise du patois lyonnais nous comble de joie.