Au Congo, figures surréalistes

Pourquoi le gardien de cette institution porte-t-il des gants en laine parfaitement cocasses ici à Brazzaville ? « Pour me protéger des moustiques. », me répond-il.

Dévoré par les mêmes moustiques (ou d’autres, difficile à dire), l’ami Landry, au verbe facile, trouve refuge dans l’humour : « J’ai le corps tout moustifaillé. »

Dans une rue du centre-ville, je demande à une dame où se trouve la Banque du Congo.
– Traversez, c’est tout droit, puis à gauche.
– Merci madame.
– Le renseignement est payant.
– Combien ?
– 1 000 francs [1,5 euro]
– Votre renseignement n’a pas de prix.
Elle sourit.

Entendu à un carrefour, entre deux conducteurs en colère : « Il n’y a qu’un-seul-chef-ici- c’est-Sassou. »

La grammaire n’est pas qu’une chanson douce, dussions-nous amender un académicien. Serait-elle la clé de l’âme ? En lingala, être se dit « kozala » et avoir « kozalana », c’est-à-dire littéralement « être avec ». Autant d’être est un signe. De quoi ? Poursuivons l’étude du lingala avant de répondre.

Avenue de l’indépendance, la librairie de la Coupole vend peu de livres. Et aucun de la rentrée littéraire.

 

Au Congo, Kisukidi et Varda, deux femmes puissantes

Aux Ateliers Sahm de Brazzaville, projection de l’émission de télévision d’Arte, Philosophie, animée par Raphaël Enthoven, qui a invité Yala Kisukidi, spécialiste de Bergson et de philosophie française contemporaine pour parler de « Création », sujet fort à propos dans un atelier sur la critique d’art. La belle intelligence de l’agrégée et docteur en philosophie séduit le groupe.

Des questions clés sont notées : « Peut-on créer à partir de rien ? Est-ce dans l’art que s’exprime le mieux l’acte créateur ? »

Des affirmations sont reprises : « L’émotion nous pousse à créer / La pensée de la création a tendance à privilégier le geste, l’acte au détriment de l’œuvre. / Pour Bergson, tout acte de création partirait d’une contrainte. »

Les apprentis-critiques savent-ils que le père de Yala, Albert Kisukidi, est traducteur de l’hymne national de la République démocratique du Congo (Kinshasa) « Debout Congolais » en kikongo comme « Telema Besi Congo », qu’elle a accompagné ? Nous verrons lors d’une prochaine séance. Nous devons préparer la visite du collectif de photographes Elili dans le quartier Bacongo, nous travaillons sur une photo d’Agnès Varda :

Cette enquête sur la mémoire intime d’une photo prise par la cinéaste sur une plage de galets donne un film magnifique, Ulysse, remarquable d’introspection sensible, d’empathie pour le monde comme pour ses voisins. César du meilleur court métrage documentaire en 1982. Après la mémoire meurtrie d’une nation, le Chili, la veille, cet autre documentaire déplace les lignes internes.

 

[Congo, J-8] : Le mot d’esprit et ses rapports avec la critique

À quelques jours d’une Rencontre internationale d’art contemporain, organisée aux Ateliers Sahm de Brazzaville et avant de s’embarquer pour un atelier de critique d’art, le 4 septembre, donc dans 8 jours, je feuillette quelques journaux sur les rapports entre les peintres et la critique, et j’apprends que Le MoMA (Musée d’Art moderne) de New York, accueillera du 28 septembre au 12 janvier 2014, une exposition Magritte intitulée « Le Mystère de l’Ordinaire ».

René Magritte, L’Assassin menacé, Bruxelles, 1927. Huille sur toile, 150,4 x 195,2 cm. Museum of Modern Art. Kay Sage Tanguy Fund. © 2012 C. Herscovici, Brussels / Artists Rights Society (ARS), New York

Quand le mot d’esprit vient à la rescousse de la raillerie, cela devient cinglant. Exemple parmi les plus beaux sarcasmes en réponse avec cette lettre de Magritte répondant à un critique en 1936 qui raillait sa « curiosité maladive » :

Qu’avait écrit le critique du Soir de Bruxelles ? Le site André Breton nous en donne l’origine, l’article de Richard Dupierreux :

Deux des tableaux moqués par Dupierreux, La Lampe philosophique (1936) :

et Le portrait (1935) :

Fallait-il donc que Magritte accordât grande importance aux propos du critique, plutôt désinvoltes. Cet échange amer s’inscrirait nous rappelle Parisianshoegals dans le contexte d’avant-guerre en Belgique et de l’art dit « dégénéré » par les nazis ou leurs sympathisants pour qui le surréalisme était « démodé ». Pourtant le critique d’art Richard Dupierreux (1891-1957) ne semble pas dans cette mouvance politique. Il était proche du socialiste Jules Destrée pour qui « L’art exige une absolue liberté. Toute contrainte le stérilise ! L’État n’a que des devoirs vis-à-vis de l’art ; il n’a pas de droits » « Art et socialisme », Bruxelles, Journal Le Peuple, 1896.

À noter que sous Le Portrait se cache une œuvre, un fragment de la Pose enchantée, comme la rapporte la presse et la commissaire de l’exposition, Le Mystère de l’Ordinaire, Anne Umland, et un conservateur du MoMA, Michael Duffy, qui sont à l’origine de cette mystérieuse découverte…

Le Portrait de Magritte aux rayons X. Charly Herscovici-ADAGP-ARS, 2013.

 

[Congo, J-20] : Le monde est beau comme un collage

Marcher est bon pour l’écriture. Un stylo aussi. Un stylo qui coule bien c’est comme des patins sur un parquet ciré. Sauf que plus personne n’utilise des patins. Et que le monde n’est pas un parquet ciré.
Le monde est beau comme un collage. La marche fait venir l’écume de souvenirs épars qui s’agrègent comme ils peuvent.  Comme des images à soi qu’on transporte. Ça devient des nuages d’images, de mots, une allure nouvelle, enrichie au plutonium des bousculades. Un moment donc ça éclate, les bulles, les souvenirs. Et ça prend une autre allure. Une forme nouvelle.
En marchant, on agrège ses souvenirs aux découvertes. Ça colle ou pas. Ça n’a pas d’importance. Mais ça avance, ça roule, ça se bouscule au portillon de ce qui advient, forcément. On crée un forme nouvelle. On est en forme, quoi.

Là, en ce moment, je tombe sur « Disparités » d’Alain Blondel. C’est un peintre connu pour ces « clusters », des agrégats d’écritures sur toile (voir son site). On l’avait rencontré dans son atelier de l’Est parisien avec un de ses amis, le dramaturge et poète haïtien Syto Cavé (Papalagui, 17/01/12). Blondel vient d’écrire 109 petits textes en forme d’aphorismes. Comme « Ce qui n’a pas de forme n’a pas de mot non plus. » On n’est pas forcément d’accord avec tout, mais ça n’a pas d’importance. L’idée lui vient de les mettre en forme pour « les faire vivre ». Il se met à dessiner les textes. Du coup, il en a 109. L’idée lui vient d’en faire un livre d’art. Mais en production participative, communautaire, on appelle ça « Crowdfunding ». Avec deux expos à la clef en novembre 2013, aux extrémités de la ligne 9 du métro. Autrement dit, du sang neuf.

[Congo, J-23] : La phrase Deville

La phrase : « Celui auquel certains veulent aujourd’hui ériger un mausolée – quand d’autres proposent de jeter ses os au fond du fleuve – est un jeune homme trop sérieux de dix-sept-ans, un grand échalas admis à l’École navale de Brest au titre d’étranger. »
Patrick Deville, Équatoria, Points, 2013 p. 14 (Seuil, 2009).

La lecture : Ce « est » est un être qui nous fait basculer, nous lecteurs oisifs, du présent au passé en un tour de phrase. Il n’est pas pris dans son emploi auxiliaire, Deville lui donne un rôle de baguette magique, qui nous fait voyager dans le temps aussi vite qu’il est lu.

En résumé : « En 2006, la dépouille de Savorgnan de Brazza est transférée d’Alger à Brazzaville. Un transfert très controversé puisque cet explorateur, considéré par certains comme un héros, a aussi ouvert la voie à la colonisation française en Afrique. Patrick Deville a suivi ce convoi, traversant le continent africain. Dans ce carnet de voyage, il retrace son parcours, revisite l’histoire de l’exploration et de la colonisation de l’Afrique et dresse le portrait de personnages hors du commun. » (l’éditeur)

La plus grande des menaces

A la station de métro Odéon (Paris), une affiche du film Pacific Rim. Dans ce blockbuster de l’été, des robots géants mais humains tentent une résistance à la guerre mondiale imposés par des colonisateurs animaux mais intelligents surgis d’une faille du Pacifique. Sous le titre, ce slogan vendeur (baseline) : « Face à la plus grande des menaces, nos plus grandes armes. »

En regard, un graffiti, rajouté par une main humaine, au feutre, pratique l’art du détournement : « La plus grande des menaces c’est la société du spectacle. »

Joha était monté sur un mulet têtu et rétif…

Joha était monté sur un mulet têtu et rétif qu’il n’arrivait pas à faire avancer dans la direction qu’il voulait. Un de ses amis qui l’avait croisé lui dit : « Où vas-tu, maître Joha ?» Il répondit : « Là où va le mulet ! »
Les grandes facéties de Joha (Nawâdir Johâ l-kubrâ, نوادر جحا الكبرى), p. 262, cité par Jean-Jacques Schmidt, Le livre de l’humour arabe, Actes Sud, Babel, mai 2013, p. 152.

Frankétienne entre au Petit Larousse 2014

C’est un amoureux des mots qui fait son entrée au Petit Larousse illustré, édition 2014. On lit page 1495 :

« Frankétienne (Franck Étienne, dit), Ravine-Sèche, dép. de l’Artibonite, 1936, écrivain haïtien. Créateur de la spirale (esthétique du chaos et de la vie en mouvement), il fait résonner l’âme de son pays dans une œuvre portée par l’énergie d’une écriture qui mêle français, créole et inventions verbales multiples (Ultravocal, 1972 ; Dézafi, 1975; Kaselezo, 1985 ; l’Oiseau schizophone, 1993) ; H’Eros-chimères, 2002). Il est aussi peintre. »

Son compatriote Dany Laferrière était entré dans l’édition 2012 [Papalagui, 16/06/11], après Jacques Stephen Alexis ou Jacques Roumain.

Frankétienne doit être comblé, lui qui, venant de Ravine-Sèche la rurale, où il parlait créole, a passé son enfance à apprendre le français dans le Larousse, comme il le confiait à L’Express en 2010 :

« J’écoutais tout, je lisais tout, mais je ne comprenais pas. Je ne comprenais rien à ce qui se disait à la radio, exclusivement en langue française à l’époque. Et puis j’ai décidé d’aller chercher les mots là où ils se trouvent, c’est-à-dire dans le dictionnaire. J’ai ouvert Le Petit Larousse et j’ai appris par cœur toutes les définitions, avec volupté. J’ai découvert la musicalité de cette langue : il y avait des mots tendres, des mots doux, des mots violents, des mots acides, sucrés… C’est pourquoi mon contact avec les mots – qui peut étonner les gens, ceux qui croient que je suis au septième ciel – est un contact physique, concret et sensuel. »

Dans ce millésime 2014 du Petit Larousse illustré, Frankétienne accompagne d’autres artistes tels l’écrivain égyptien Alaa El Aswany (ainsi que la notice Révolutions arabes pour printemps arabes), le danseur et chorégraphe belge Sidi Larbi Cherkaoui, le cinéaste français Arnaud Desplechin, l’escrimeuse française Laura Flessel, le comédien français Samy Frey, l’athlète française, aveugle, Assia El-Hannouni, l’écrivain suédois Henning Mankel, l’actrice française Sophie Marceau, le journaliste français Bernard Pivot, etc.