À suivre : Cuba, Sartre et Glissant

« Cuba : regards croisés de Glissant et Sartre sur la Révolution », tel est le titre de la séance animée par le philosophe François Noudelmann mardi 21 octobre, à 19h, à la Maison de l’Amérique latine, dans le cadre du séminaire de l’Institut du Tout-Monde.

François Noudelmann se propose de « mettre en regard les textes que Jean-Paul Sartre a rédigés en 1960, réunis sous le titre Ouragan sur le sucre, et le journal de voyage (inédit) d’Édouard Glissant, relatant leurs périples respectifs dans l’île au moment de la révolution castriste.
Nous analyserons les figures de l’engagement intellectuel, la relation à l’idéologie révolutionnaire et aux dirigeants (les dialogues avec Castro et Guevara notamment), l’alliance de la foi politique et de la distance critique, l’attention portée à la parole libre, particulièrement celle de la littérature, et à sa répression. »

Questions de femmes entre Maryse Condé et son personnage

Maryse Condé est une habituée du festival d’Avignon. La romancière, connue pour Ségou (deux volumes, 1984-1985) est aussi auteur de pièces de théâtre. Elle vient régulièrement au festival. La Chapelle du Verbe incarné, lieu historique des théâtres d’outre-mer, l’accueillait non pour une de ses pièces mais pour l’une de ses autobiographies récentes, consacrée à sa période africaine à la genèse de son écriture, La Vie sans fards (Lattès). La pièce a fait salle comble.

 

 

Gilbert Laumord, un comédien, deux pièces, deux registres

Au festival d’Avignon, il n’est pas exceptionnel de rencontrer des comédiens qui jouent dans plusieurs spectacles. Pierrette Dupoyet interprète trois personnages dans trois pièces différentes. Trois comédiens guadeloupéens jouent dans deux pièces : outre Laurence Joseph et Dominik Bernard, nous avons rencontré Gilbert Laumord, que nous avons choisi de suivre dans sa journée marathon.

À voir dans Ô vous frères humains, d’Abert Cohen, au théâtre des Halles à 16h (très réussi) et dans L’épreuve de Virjilan au Collège de La Salle à 21h15.

Dans L’épreuve de Virjilan, le comédien haïtien Miracson Saint-Val donne la réplique à Gibert Laumord (lire Le Nouvelliste)

Duel d’ombres, un théâtre à fleurets mouchetés

Par ses dialogues, le théâtre est souvent un duel d’acteurs. Et quand la société impose des masques à deux personnages de l’élite du XVIIIe siècle, le jeu d’acteurs devient doublement profond et révélateur. C’est le cas avec la pièce d’Alain Foix, Duel d’ombres où deux grands escrimeurs, le Chevalier Saint George et le chevalier d’Éon doivent composer avec leur origine : l’un est musicien et fils d’esclave, l’autre est espion et cache sa véritable identité sexuelle. Le Guadeloupéen Alain Foix a écrit sa tragicomédie sur un duel qui devient duo entre un chevalier travesti et un compositeur mulâtre, une double hybridité qui attise les jeux d’images et d’apparences. Son écriture en alexandrins lui donne un ton raffiné et fait passer avec subtilité des questions graves sur les rôles que chacun se donne pour exister en société.

La survie des tubemen de la Jamaïque

Lecture ce dimanche de Pâques 2014, d’un article de Romain Cruse, avec les photographies de Romain Philippon, Voyages croisés à la Jamaïque, extrait de la revue de voyage, « L’autre voie », n°10, d’avril 2014. Il est question du le voyage des « tubemen » de Portland, proche de la capitale Kingston, anciennement huppée, et que les cyclones successifs ont dévasté. Des squatts ont poussé en bord de mer. Les voyageurs ici sont autant les auteurs de l’article que ces « tubemen » qui pêchent sur des chambres à air de camion, appelées « tube ».

Extrait :
La survie de ces jeunes dans de telles conditions relève du
miracle. On comprend avec eux la foi inébranlable qu’ont
les Jamaïcains dans leurs religions respectives. Quand le
poisson est abondant, on en vend une partie pour acheter du
riz et quelques légumes. Pendant la saison, on achète parfois
un nouveau jean et une chemise à une « vendeuse à la valise »
qui passe de temps à autre dans le quartier. En saison morte – la
moitié de l’année – les rares poissons sont vendus pour acheter
du « dos de poulet » bon marché (« chicken back », autrement
appelé « ghetto steak », en fait le ventre du poulet) et de la farine
pour faire les « dumplin » (épaisses galettes de farine de maïs et
de blé qu’on fait bouillir). Quand l’un n’a rien, il compte sur la
solidarité des autres. Quand personne n’a rien, on ne mange pas.
Dans les chambres, on dort à deux dans un lit, tête-bêche. Ceux
qui sont de passage dorment à même le sol ou sur un rebord de
muret.
Si la misère est criante, à l’image de cet évier improvisé dans
une vieille glacière ramassée sur la plage, il y a là une immense
richesse culturelle. Ce sont les lieux que l’écrivain martiniquais
Patrick Chamoiseau appelle les « mangroves urbaines ».

Cette survie rappelle le roman d’anticipation de l’Américain Paolo Bacigalupi, Les ferrailleurs des mers, traduit en 2013 par Sara Doke au Diable Vauvert, livre palpitant — et hautement recommandé —, un roman d’anticipation pour adolescents qui rêvent d’un ailleurs à la fin du XXIe siècle, de beaux clippers et d’une morale de vie dans une Louisiane dévastée par les chamboulements climatiques et les tempêtes tueuses de villes.

De Romain Cruse, lire un article dans Le Monde diplomatique, « Dancehall, chronique d’un rêve jamaïcain » et un essai universitaire Géopolitique d’une périphérisation du bassin craibéen, aux Presses de l’université du Québec.

Rien ne délivre jamais que l’obscurité du dire (Césaire)

Rien ne délivre jamais que l’obscurité du dire
Dire de pudeur et d’impudeur
Dire de la parole dure.
Enroulement de la grande soif d’être
spirale du grand besoin et du grand retour d’être
nœud d’algues et d’entrailles
nœud du flot et du jusant d’être.
J’oubliais : le dire aussi d’étale :
c’est nouée la fureur de ne pas dire.
La torpeur ne dit pas.
Épaisse. Lourde. Crasse.
Précipité. Qui a osé ?
l’enlisement est au bout.
Au bout de la boue.
ah !
il n’est parole que de sursaut.
Briser la boue.
Briser.
Dire d’un délire alliant l’univers tout entier
à la surrection d’un rocher !

Extrait du poème « Configurations », publié dans Comme un malentendu de salut (Aimé Césaire)

À tu et à toit, Koffi Kwahulé, Prix Édouard Glissant 2013

Qu’est-ce qu’un prix littéraire ? C’est un « toit », a répondu le dramaturge Koffi Kwahulé, heureux et fier de recevoir le Prix Édouard Glissant. L’auteur des pièces de théâtre Big Shoot, Misterioso-119, La Mélancolie des barbares, P’tite souillure, du roman Babyface a reçu cette récompense le 6 décembre à la Maison d’Amérique latine des mains de la présidente de l’université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, Danielle Tartakowsky.

Cette métaphore d’un Prix littéraire comme « toit »… voilà de quoi donner à penser. Ce n’est pas le toi du village planétaire où, à défaut de se connaître, on se fréquente en foule furieuse qui flue en mondialisation goulue. « Mondialité », préférait Glissant.

Non, ce « toit » est bien celui du partage, d’une famille de pensée, d’un « lieu commun » aimait à dire le poète, en une formule détournée à la fois provocante et littérale, car au pied de la lettre – citons-le ici avec Traité du Tout-monde (1997), p. 23 – : « une des traces de cette Poétique [de la Relation] passe par le lieu commun. Combien de personnes en même temps, sous des auspices contraires ou convergents, pensent les mêmes choses, posent les mêmes questions. Tout est dans tout, sans s’y confondre par force. Vous supposez une idée, ils la reprennent goulûment, elle est à eux. Ils la proclament. Ils s’en réclament. C’est ce qui désigne le lieu commun. Il rameute mieux qu’aucun système d’idées, nos imaginaires. »

Dans l’euphorie d’un discours improvisé, l’auteur de Jaz, à l’écriture travaillée par cette musique justement (Misterioso est un album du pianiste de jazz Thelonious Monk) l’a dit tout net, dans une parole qui donne justement à penser : « Les vrais penseurs sont des créateurs de marges ; avec la pensée de Coltrane, avec la pensée de Glissant, on peut essayer l’inédit. »
Cela fait longtemps que Glissant nourrit notre questionnement du monde et rameute les imaginaires. Voir son recueil La Terre le feu l’eau et les vents : une anthologie de la poésie du Tout-monde (Galaade, 2010)… où l’on écrit et parle en de nombreuses langues, 14 ans après son essai Introduction à une poétique du Divers. Et Kwahulé est un cas.
Au nom du jury du Prix Glissant, le philosophe François Noudelmann a rappelé à son propos : « Le jazz joue un rôle décisif dans ses pièces et ses récits, sous forme d’orchestres, de blues ou de scat, de rythmes qui définissent ses personnages. Les sujets de ses œuvres ne sont pourtant pas de simples divertissements : la guerre et la mise à mort, les viols et l’exil donnent le ton d’un déchirement intime et collectif. »
Après Vassilis Alexakis (Grèce/France), le premier lauréat du Prix Glissant en 2003, et jusqu’à Michaël Ferrier (France/Maurice/Japon) en 2012, associé à la photographe Anabell Guerrero (Vénézuela/France), et aujourd’hui  pour ce 11e Prix, Koffi Kwahulé (Côte d’Ivoire/France), l’université Paris 8 Vincennes Saint-Denis en partenariat avec l’Institut du Tout-Monde et la Maison de l’Amérique Latine donne écho une fois l’an à la pensée d’Édouard Glissant, et donne repère – et repaire – au Tout-Monde.
Une question de sens. Clin dœil ? (Danielle Tartakowsky a dirigé à Paris 8 l’Ecole doctorale « Pratique et théorie du sens »  jusqu’en 2010). Nous avons rencontré à plusieurs reprises Kwahulé au festival d’Avignon, souvent à La Chapelle du Verbe incarné (il en est le « cardinal » selon ses hôtes, premier auteur de la première pièce jouée dans ce lieu des théâtres d’outre-mer, avec Village fou ou Les Déconnards, créée en juillet 1998, voir présentation Africultures, mai 1999).
Dix ans plus tard, nous rencontrons Kwahulé à la Goutte d’Or, à Paris : « A l’origine, une rencontre entre un auteur et un théâtre. Un auteur dont la plume musicale confronte l’Homme à son animalité. Un théâtre animé par le souffle d’un quartier-monde. L’écriture respire alors au rythme de la Goutte d’Or : Koffi Kwahulé vit en résidence au Lavoir Moderne Parisien.» [Papalagui, 29/03/2008]
Kwahulé avait donné un Big Shoot de haute volée, avec un Denis Lavant magistral. [Papalagui, 06/04/2008] L’auteur évoquait ainsi son geste créateur : « L’ambition est celle-ci : faire se rencontrer dans l’écriture Coltrane et Monk. Deux sons, deux respirations. Big Shoot est née de ces deux respirations, bien qu’il n’y ait dans la pièce aucune référence directe au jazz. Monk disait aux musiciens qui voulaient l’accompagner :  » Non, non, jouez, moi je vous suis.  » Mes deux personnages ont ce rapport-là, l’un dit à l’autre :  » Joue, je t’accompagne.  » Tout est parti de cette phrase de Monk, qui est en principe le leader et qui dit à l’autre : « Je te suis. » »]
Autre clin d’œil ? pour Glissant le jazz était une marque de la mondialité : « Le jazz est un créole et c’est pour ça que cette musique est devenu valable universellement tandis que la chanson de mariage irlandaise aussi belle soit-elle ne l’est pas pour le monde entier. » [Mondomix, recueilli deux ans avant sa mort, le 03/02/2011]. [Quoique, là on n’est pas sûr d’être d’accord : dans Titanic, apparaît le groupe Gaelic Storm – né en Californie un an plus tôt – avec ce titre An Irish Party in Third Class, devenue une musique irlandaise mondialisée.]
Chez Kwahulé, la va-et-vient (Tours et détours d’Édouard Glissant, titre un article de Raphaël Lauro dans Esprit de juillet 2013) prend des allures formelles. Ainsi le précisait Virginie Soubrier, doctorante [Papalagui, 09/09/2009] : « L’écriture de Kwahulé est (…) une écriture déambulatoire qui contraint celui qui voudrait en témoigner à une reconstruction a posteriori. Mais, en dehors de ces extravagances de la fable, construites le plus souvent par les mises en abîme, qui brouillent sa linéarité, la font digresser et instaurent ainsi un ton d’écoute. »
Et Kwahulé, on l’écoute quand il lance : « Les vrais penseurs sont des créateurs de marges ; avec la pensée de Coltrane et de Glissant, on peut essayer l’inédit. »
Du coup, on a presque oublié les deux lauréats de la bourse Édouard Glissant. Anis Fariji pour son projet de thèse sur « la modernité dans la musique d’art arabe contemporain » et Gonzalo Yanez Quiroga qui envisage une thèse sur « le divers en exil, la relation et la rencontre confidentielle, l’oralité, les décolonisations poétiques et nouvelles articulations du commun » (tiens, tiens !). Quiroga est en cours de traduction en espagnol du Discours antillais, d’Édouard Glissant (Pour les traductions, voir Île en île).

LIENS :

Site personnel de Koffi Kwahulé.

Fiche K.K. sur le site des Francophonies en Limousin.

Chez Koffi, lors de sa résidence à Villepinte (Une forme de toit, non ?).

Site officiel d’Édouard Glissant.

Site Institut du Tout-Monde.

Anis Fariji, Esquisse d’une physionomie formelle de la période dite de « synthèse » chez Saed Haddad, Université Paris 8, Département de Musique.

Atelier de Gonzalo Yanes Quiroga : poésie et translation.

 

PROCHAINEMENT, on assistera au théâtre de Koffi Kwahulé :

– à Lausanne, Misterioso-119 ;

– à Toulouse, La Mélancolie des barbares, reprise en 2014.

Mandela (1918-2013) par Césaire, par Glissant

Aimé Césaire (1913-2008), dans un discours public :
« La volonté de l’homme d’en finir avec tout ce qu’il y a de barbarie dans le monde pour accéder à un stade de civilisation supérieure où l’on pourra sans abusive hyperbole parler d’humanisation de l’humanité.
Et si j’avais à citer une seule phrase de Nelson Mandela (…) ce serait celle-ci, celle qu’il a prononcée lorsque, prisonnier, le gouvernement sud-africain lui offrait sa libération contre la promesse d’une renonciation à la lutte politique : « Je ne suis pas prêt à vendre mon droit de naissance et je ne suis pas prêt à vendre le droit de naissance du peuple pour être libre, la liberté du peuple et la mienne ne peuvent être séparées, je reviendrai. »

Édouard Glissant (1928-2011), dans Une nouvelle région du monde (Esthétique I, 2006) :
L’Institut du Tout-Monde a rendu hommage à Nelson Mandela (1918-2013), ainsi qu’au Docteur Pierre Aliker (1907-2013), décédé en ce même 5 décembre :
« Robben pousse sa troupe de roches jusqu’au Cap c’est une traînée de points de suspension,
Nous saluons la beauté soumise à tant de crimes, hier soumise au pass et à l’interdit, et qui lève ici. La beauté.
Mandela Sisulu Sobukwe Kathrada Mbeki un Arbre a pris racine,
Levant de l’ombre une lumière et de la lumière une nuit, et de la lumière une première nuit, Indiens Zoulous Noirs Métis Blancs et Arabes et Juifs et Malgaches autant que Chicanos, et tant d’oiseaux, tant de ces oiseaux, immigrants et passeurs de frontières. »

Le Tarmac (Paris, xxe), côté pratique littéraire

Qui connaît la littérature mauritanienne ? Si vous avez un manque, vous serez comblé, ce vendredi 22 novembre à 20h, au Tarmac qui a prévu une table ronde avec Beyrouk, Bios Diallo, Karim Miské et Abdoul Ali War.

A propos du Griot de l’émir de Beyrouk, lire la critique de Théo Ananissoh dans La Cause littéraire.

Et sur Césaire, séance de rattrapage avec Daniel Maximin, auteur de Aimé Césaire, frère volcan (Le Seuil)samedi 30 novembre à 18h.

Sans oublier Karavan’Karaïb, pour les 10 ans d’ETC Caraïbe :
En compagnie des auteurs, l’occasion de faire entendre les voix des lauréats du prix ETC Caraïbe/Ville de Paris : Gustavo Ott et Ariel Felipe Wood, et de fêter les 10 ans d’ETC Caraïbe. En cadeau, le premier texte de théâtre de Lyonel Trouillot et la redécouverte du roman Un dimanche au cachot de Patrick Chamoiseau à travers l’adaptation théâtrale de José Pliya. Mercredi 11 et jeudi 12 décembre à 17h et 19h.

Tété, un concert littéraire dans la paix de Césaire

A l’occasion du centenaire de la naissance d’Aimé Césaire, Tété (« guide » en wolof) établit des ponts entre son univers pop, rock, tendance nostalgie du Sud américain, et les poèmes, à commencer par le célèbre Cahier d’un retour au pays natal.

Ce fils du Sénégal et de la Martinique était lundi 11 novembre à la Maison de la poésie, à Paris, pour un concert littéraire unique où il était question – avec humour – de la carte des identités… Entre des « chansonnettes », Tété a lu sept textes extraits de l’œuvre de Césaire.

En musique, son pays c’est la Louisiane. Il chante Marie Laveau, figure emblématique du culte vaudou américain. Et lit un bel hommage au poète martiniquais :

Extrait :

« L’homme a toujours été un chantre de la langue française, un chantre d’une certaine solitude exil aussi, une solitude exil qui cherche à dresser la carte des identités créoles des confluences entre l’Afrique, les Antilles et l’Hexagone.

Aucun homme n’est une île, disent les poètes. Césaire c’est un peu toute la Caraïbe à lui seul. Et il y a tant d’Aimé dans mon ADN. La carte du monde faite à mon usage, non pas teinte aux arbitraires couleurs des savants mais à la géométrie de mon sang répandu.

Sous mes airs, résistance créative donc qui se bat pour édifier et non détruire, édifier les esprits tant que les ponts entre les cultures, Césaire poétique du clair-obscur qui fait la part belle au soleil crépusculaire des opprimés. »