Quelle Abeille a piqué Araki ?

arakiExposition Araki Nobuyoshi, Musée Guimet (Paris) jusqu’au 5 septembre 2016

« Ne t’est-il jamais arrivé de découvrir quelque chose de très beau, et, soudain, de souffrir très fort, et si vite que tu t’en aperçois à peine, parce que ce fragment de beauté que tu contemples, tu devrais le partager avec quelqu’un et qu’il n’y a que l’absence ? » Jacques Abeille, Les jardins statuaires, p. 365

Ce romancier surréaliste a écrit Les jardins statuaires comme premier épisode (de plusieurs centaines de pages quand même) du Cycle des contrées dont le ressort est une « attente des barbares », et où le thème de la création est considéré comme préexistant au créateur (l’œuvre contient son propre dessein, le créateur ne fait que l’accompagner).

Lire l’interview de Jacques Abeille dans Le Nouvel Observateur, 19/11/2011 et consulter le site des éditions Le Tripode

« Souvent la beauté n’est pas perçue parce qu’elle est dans un désert »

brigitta-couv« Souvent la beauté n’est pas perçue parce qu’elle est dans un désert, ou parce que l’œil qui pourrait l’apprécier ne s’est pas présenté – souvent elle est vénérée et portée aux nues alors qu’elle n’existe pas ; mais jamais elle ne doit manquer là où un cœur frémit d’ardeur et de ravissement, ou bien là où deux âmes se consument l’une pour l’autre ; car sans elle le cœur se tait, et l’amour entre les âmes se meurt. » Adalbert Stifter, Brigitta, traduit de l’allemand par Marie-Hélène Clément et Silke Hass, Cambourakis, 90 pages

André Miquel, La Fontaine à Bagdad, le 11 octobre à l’IMA

Miquel La Fontaine

André Miquel présentera sa traduction La Fontaine à Bagdad, fables arabes d’Ibn al-Muqaffa’ dans une édition illustrée par Baya à l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris, le 11 octobre 2015. Considéré comme l’un des plus grands arabisants actuels, ce professeur honoraire au Collège de France, ancien administrateur de la Bibliothèque de France, est le traducteur des deux plus grandes œuvres du monde arabo-musulman, Les Mille et une nuits dans la collection de Gallimard, 2005, traduit avec Jamel Eddine Bencheikh et Le Livre de Kalila et Dimna.

[Kalila et Dimna sont deux chacals vivant à la cour du lion, roi du pays. Si Kalila se satisfait de sa condition, Dimna en revanche aspire aux honneurs, quels que soient les moyens pour y parvenir. Chacun des deux justifie sa position en enchaînant des anecdotes, qui mettent en scène des hommes et des animaux, et délivrent des préceptes et des morales. C’est le thème d’une exposition à l’IMA jusqu’au 3/01/2016).

Ibn al-Muqaffa’ est un savant persan du VIIIe siècle, l’un des premiers traducteurs d’œuvres persanes et indiennes vers l’arabe (Al-Adab al-kabîr, soit Grand Adab), premier essai de formulation explicite du concept d’adab (dans la littérature arabe classique, concept qui définit à la fois l’éthique de l’homme de cour cultivé et la littérature en prose qui l’accompagne), et Kalîla wa Dimna, traduction et adaptation des Fables de Bidpaï, « une œuvre royale, pleine de sagesse et d’humour à destination des petits comme des grands ».

Rendez-vous le 11 octobre 2015, à 16h, salle du Haut Conseil, 9ème étage. Entrée libre dans la limite des places disponibles.

Source : communiqué Orients éditions (Ysabel Saïah Baudis)

Il y a 522 ans, la première Grammaire castillane

Antonio de Nebrija © CAGP/Iberfoto

Le 18 août 1492, juste quinze jours après que Colomb eut appareillé, l’humaniste Antonio de Nebrija publie une Grammaire castillane. Cette première grammaire de langue vernaculaire (dans la langue du pays) éditée en Europe signe l’acte de décès du latin comme langue des élites et des dirigeants.

Valeurs vernaculaires : Ivan Illich analyse les motivations et conséquences de la Gramática Castellana

La lecture, un rêve éveillé ?

Après la visite de l’exposition rétrospective de Bill Viola au Grand Palais, lors de l’ultime journée et de sa séquence finale, intitulée « Dreamers », montrant des rêveurs dans leur lit d’eau les recouvrant complètement comme s’ils étaient lovés dans leur liquide amniotique, puis apercevant dans le métro et sa touffeur d’été une lectrice assise alors que d’autres voyageurs restaient debout, de nombreux touristes serrés et en sueur, elle, paisible et absorbée par sa lecture, les yeux ouverts, absolument pas agités de soubresauts, le regard calme, dans une quiétude absolue, je pense aussitôt – c’est là sa chance et sa vertu – que la lecture est un rêve éveillé.

« Même un livre qui a été écrit en chinois a été fait pour toi » (C. Pavese)

Au Palais de Tokyo, un dimanche à 23h, à la veille de la fermeture de l’exposition Flamme éternelle de Thomas Hirschhorn. Des couloirs de pneus, des fauteuils recouverts d’adhésifs d’emballage, les pneus eux-mêmes servant de supports à des milliers de tracts personnels, graffitis ou aphorismes de circonstance. Et au bar, un couple boit une bière. Au-dessus d’eux une immense citation de Pavese (1908-1950) …

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– Comment un ouvrier comme moi pourra comprendre quelque chose aux livres et savoir si ce qu’il lit, on l’a vraiment écrit pour lui ?

– En lisant et en réfléchissant. En se trompant et en recommençant. Même pour nous qui les écrivons, il n’y a pas d’autres voies. Dans ce monde, personne n’a rien pour rien […]. Il faut avoir la patience d’apprendre ces modes, comme on apprend les langues étrangères. Et alors, peu à peu, il t’arrivera de rencontrer partout l’homme et le camarade, de même qu’on réussit à discuter avec un Chinois ou un Turc. De toute façon, il faut être patient. Plus tu fréquentes un ami, plus tu apprends à le connaître. C’est la même chose pour les livres. Et n’est-ce pas beau d’arriver à connaître un homme qui pendant trente ans, pendant toute sa vie, a essayé de parler avec toi ? […]

– Ce sont des livres pour nous ?

– Ce sont des livres pour qui veut les lire. Tu saurais me dire, toi, pour qui est fait un livre ? Méfie-toi des livres qui sont faits pour un tel ou un tel. Même un livre qui a été écrit en chinois a été fait pour toi. Il s’agit toujours d’apprendre les paroles d’un autre homme. Tous les livres qui valent quelque chose ont été écrits en chinois, et on ne sait pas toujours les traduire. Vient toujours un moment où tu es seul devant la page, comme était seul l’écrivain qui l’a écrite. Si tu as de la patience, si tu ne prétends pas que l’auteur te traite comme un enfant ou un demeuré, tu vas rencontrer un autre homme et te sentir plus homme toi aussi. Mais c’est dur, Masino, cela demande de la bonne volonté. Et beaucoup de patience.

Cesare Pavese, Littérature et société suivi de Le mythe, Gallimard, 1999, trad. de l’italien et préfacé par Gilles de Van.

Consulter et lire le site Ici et ailleurs.

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En arabe,  خفقان  (khafqān) = palpitation.

Au Salon du livre, je suis tombé de haut…

Au Salon du livre, je suis tombé de haut sur :

  • un écrivain argentin dont un seul livre existe en français, mais il est épuisé depuis longtemps ;
  • un écrivain venu pour signer son livre alors que le libraire a oublié de le commander ;
  • un écrivain pas content d’avoir vendu aucun livre ;
  • un éditeur assez fou pour éditer un livre écrit en langue saramaka, langue originaire des esclaves marrons de Guyane et du Surinam, le premier à être écrit dans cette langue ;
  • un dramaturge comorien récompensé par des lycéens parisiens et d’Île-de-France ;
  • un éditeur fatigué du harcèlement des candidats à l’édition de leur manuscrit ;
  • une attachée de presse qui filme le journaliste qui fait la promo d’un bouquin de la maison d’édition de l’attachée de presse ;
  • un autre journaliste flatté jusqu’à l’os d’avoir reçu un compliment d’un people de la télé ;
  • une énorme fierté des Antillais qui remercient Euzhan Palcy d’avoir fait le film Rue Cases-nègres, œuvre fille du roman de Joseph Zobel ;
  • des larmes dans les yeux de lecteurs émus ;
  • un nouvelliste mahorais ;
  • un micro sans pile ;
  • des batailles de sons d’enceintes, d’un espace à l’autre ;
  • un autre éditeur excédé par la cacophonie ;
  • une éditrice qui cherche un coin de repos ;
  • une journaliste philosophe en tenue d’été ;
  • un lecteur déguisé en trekkeur, sac à dos bousculant la foule en attente de dédicace ;
  • une écrivaine à l’écoute du racisme voilé entre les mots ;
  • deux comédiens antillais chaleureusement applaudis ;
  • un auteur qui attend impatiemment la libération du plateau d’invités précédant pour commencer sa conférence ;
  • une auteur qui se demande si tous les exemplaires de ses livres suffiront pour étancher la voracité des lecteurs ;
  • des femmes épanouies ;
  • des hommes pressés ;
  • des enfants patients ;
  • une mère et son enfant en tenue de foot venu faire dédicacer son livre, dédicace espérée par l’enfant qui s’était préparé à cet instant, malgré la fatigue apparente de l’entraînement du matin ;
  • un Mabanckou en mode bateleur contre le racisme sournois au mieux de sa forme ;
  • un écrivain qui n’est pas sûr d’avoir écrit le livre pour lequel on l’interroge, et qui le prend avec humour ;
  • une écrivaine qui cherche la collection « Un endroit où aller » et qui la trouve ;
  • ce titre « La censure invisible », promesse de réflexion ;
  • cette parole frappée au coin du bon sens, et sans double sens : « En Afrique, il doit y avoir un terrain pour faire du roman noir » ;
  • une conversation improvisée où l’on parlait d’art, de critique d’art et de philosophies africaines, et qui était passionnante ;
  • la découverte d’un livre de cinq ans d’âge, pourtant disponible sur un stand et qui parlait justement d’art et de critique d’art, un roman, Iouri de Pia Petersen ;
  • un jus d’orange ;
  • un punch ;
  • un verre de vin blanc ;
  • un témoignage émouvant et chaleureux d’une cinéaste parlant de sa rencontre avec un écrivain dont elle voulait adapter le roman ;
  • un imaginaire d’adolescente emporté par une lecture ;
  • une porte à code sur un stand ;
  • une envie de haïkus chez un éditeur un peu fou ;
  • une attachée de presse débutante ;
  • une promesse d’atelier d’écriture dans le val de Loire ;
  • une comédienne sur le stand du Québec ;
  • des Haïtiens heureux ;
  • une parole d’auteur tout à trac : « J’ai des textes qui se baladent sans moi.»
  • une femme dans la foule dense, téléphone collé à l’oreille, empêchée d’accélérer pour rejoindre son rendez-vous, et un homme dégageant la foule de ses bras écartés, lui ouvrant le passage, lui lançant son numéro de téléphone par-dessus la foule pour qu’elle l’appelle au retour…

 

[Congo, J-32] Shéda de Niangouna édité façon bogolan et wax

À quelques jours d’une Rencontre internationale d’art contemporain, organisée aux Ateliers Sahm de Brazzaville, du 25 août au 30 septembre 2013, et avant de s’embarquer le 4 septembre, donc dans 32 jours, retour sur Dieudonné Niangouna, à l’occasion de l’édition de sa pièce Shéda parmi un ensemble de textes, intitulé Songe, chez Carnets-livres, une édition façon bogolan et wax…

C’est un livre… oui c’est bien un livre. Un livre fabriqué à la main, « maquette, façonnage et reliure Francine Chatelain et Daniel Besace ». On dirait un livre d’artiste au prix d’un livre commercial. Sa couverture est faite de « tissu Bogolan du Mali, tissé à la main, teintes naturelles et du Wax acheté à Barbès ». Chacun est donc unique. Pas de titre sur le tissu, seul un bandeau de papier annonce le titre et cet avertissement : « Mon théâtre est le drame du de ce qu’on veut du théâtre africain ».
Mon exemplaire porte le numéro 037/400. En 3e de couverture, les éditions Carnets-Livres ont apposé un tampon avec la date de fabrication écrite au feutre rouge : 08/07/13. Acheté par un temps de festival, librairie La Mémoire du monde, 36 rue Carnot, Avignon.
Ce livre signé Dieudonné Niangouna a pour titre Songe. On y trouve : Shéda, Un Rêve au-delà ; M’appel Mohamed Ali ; Le rêve de la maison dans la maison.

L’éditeur est un peu fada, non parce qu’il laisse quelques défauts de fabrication (une page 163 au texte imprimé en miroir, comme une carte à jouer). Non, il est fada de son auteur. Daniel Besace écrit une post-face pleine d’amitié pour Niangouna et des comédiens compatriotes. A ses débuts dans l’édition, il « s’est familiarisé avec le congolais (…) cette pensée à étage, cette pensée fusée et arbre, qui n’a rien à voir avec le développement rectiligne du monde, et où prédomine l’intuition de la formule, les raccourcis poétiques, les enchevêtrements elliptiques… » 

Songe est le quatrième livre de Dieudonné Niangouna qu’il édite après Trace, Souvenirs des années de guerre, Mantsina sur Scène. Songe est présenté comme « une partition de pensée. Vous vous asseyez face au livre, vous éteignez tout, la radio, la télé, le portable, la lumière et vous allumez votre conscience, prêt à être envahi par une symphonie déchirante et émouvante. »

La couverture de « Souvenirs des années de guerre »    

Le texte Un Rêve au-delà est précédé par un échange de lettres entre l’éditeur et son auteur. Besace avoue son « incompréhension » et semble en plein désarroi : « Qui suis-je pour publier ces textes ? Qui-suis pour ne pas les publier ? »

Réponse de Niangouna : « C’est un conte de ma grand-mère (…) raconté aux jeunes garçons en dernière phase de leurs initiations au Kinguinzila, le théâtre de guérison ; sous la direction d’un maître initiateur les garçons vont apprendre la science de la nature, la parole, le courage, la mort, la force du pardon, les métiers de la main, le mystique, la relation au sacré et au profane. (…) Les échoués deviennent renégats, fous, idiots du village, errants, bannis. Pour ceux qui réussissent leur ultime épreuve demeure: « Un rêve au-delà » ».

Extrait Un Rêve au-delà p. 162 :
Oyé ! Notre impuissance : Oyé ! Oyé ! Soutiens !
Je ne veux pas être un donneur de leçon. Et pourtant je le suis. Merde ! Puis-je sortir de moi-même ! Et je ne peux autrement que moi-même. Merde ! Je ne peux vous parler qu’en étant moi-même. Merde ! Et je suis dégueulasse comme tout « moi-même ». Merde 8 Mais c’est beau. Pourtant ça me fait chier, merde, et c’est bien là la raison de la merde. Dégueulasse en étant moi-même. Avec mon égo démesuré, mes emportées qui vous bouffent l’oxygène, mes agneaux, mes sautes d’humeurs à répétions, et qui se prennent pour quelque chose de pensé, merde, mes frustrations imbéciles, mon nombrilisme, mon regard dans mon bide, merde, mon cœur têtu, mes pensées qui ne vont qu’à moi-même, mon écoute qui écoute mon cœur battre et jamais le cœur des autres, merde !

Et pour le plaisir, citons ce proverbe Kongo, en langue lari : Wa bâ gûna wé na messo (On ne trompe que celui qui regarde) p. 127

Et pour rappel, ces 2′ sur la Générale de Shéda, Carrière de Boulbon, au festival d’Avignon, le 6 juillet 2013 :

En Haïti, des bibliotaptaps

Le taptap disposera de 400 titres, à chaque déplacement.

Un bibliotaptap propose 400 titres à chaque déplacement.
(c) John Smith Sanon

Trois « Bibliotaptaps » seront mises en circulation entre juillet et janvier 2013. Il s’agit de taptaps transformés en bibliothèque grâce au professionnalisme d’artisans haïtiens et de bénévoles des Nations-unies, raconte Le Nouvelliste. Ces bibliothèques mobiles ont pour objectif de desservir plus de 15 000 enfants et adultes chaque mois dans la région métropolitaine de Port-au-Prince et dans les départements du Nord et du Centre, selon les explications des initiateurs. A Port-au-Prince, la bibliothèque mobile parcourra des zones durement frappées par le séisme, zones dans lesquelles il manque des infrastructures. Environ 2 400 titres haïtiens et étrangers seront disponibles. Chaque taptap apportera 400 titres à son public, à chaque déplacement.

Bibliothèques sans frontières (BSF), en partenariat avec le ministère de la Culture, la Direction nationale du livre, la Bibliothèque nationale d’Haïti et la fondation Connaissance et Liberté (FOKAL), a procédé au lancement de la première bibliothèque mobile haïtienne, au cours d’une cérémonie qui s’est déroulée dans les jardins de l’Institut français en Haïti.

En arabe, en chinois, en onze langues seulement Les Trois mousquetaires ?

Les Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas est traduit en onze langues (Arabe, Chinois, Anglais, Estonien, Japonais, Finnois, Hongrois, Portugais, Espagnol, Italien, Russe) nous apprend la « plate-forme du livre traduit » de l’Institut français, If Verso, une base de données de 70 000 titres traduits du français vers une quarantaine de langues, constituée en partenariat avec la BnF et l’UNESCO.

Et l’allemand, où est passé l’allemand ? On trouve pourtant plusieurs versions allemandes de Die drei Musketiere sur le site de référence de l’Unesco, l’Index Translationum, partenaire d’If Verso ! If Verso est-il à jour ?

 

Par ailleurs, on peut s’intéresser à « Pourquoi n’y-a-t-il pas plus de livres traduits en arabe dans le monde ? » comme se demande  sur le site Yabiladi