Il y a onze ans, Fukushima. La puissance de l’art en temps de catastrophe. Rencontre avec Michaël Ferrier.

11 mars 2011, Fukushima, au Japon, un séisme de magnitude 9,1 suivi d’un tsunami suivi d’un accident nucléaire, un impact sur six cents kilomètres de côtes, plus de dix-huit mille morts. Michaël Ferrier raconta son expérience dans Fukushima, récit d’un désastre (Gallimard, 2012), mot qui est resté épinglé en titre de « Dans l’œil du désastre, Créer avec Fukushima », ouvrage collectif qu’il a dirigé (éditions Thierry Marchaisse, janvier 2021), qui s’intéresse au rôle de l’art en temps de catastrophe.

« Dix ans après, écrivait Michaël Ferrier il y a tout juste un an, plus de quarante mille réfugiés du nucléaire ne peuvent ou ne veulent toujours pas rentrer chez eux. La décontamination est un chantier sans fin… »

[La rencontre qui a donné lieu a cette interview de Michaël Ferrier a eu lieu à Paris, à l’Institut du monde arabe, le 13 novembre 2021, lors de la remise du prix Jacques-Lacarrière qui l’a récompensé pour son ouvrage Scrabble (Mercure de France, 2019).]

Michaël Ferrier, grand-mère indienne, grand-père mauricien, né en Alsace, enfance en Afrique et dans l’océan Indien, vit à Tokyo où il enseigne la littérature, homme-monde dans les failles des mondes.

L’art est essentiel en temps de catastrophe, telle est l’une des leçons de l’expérience de Michaël Ferrier. Alors que le monde traverse avec la guerre en Ukraine une crise majeure, alors qu’est commémoré ce 11 mars, le 11e anniversaire de la catastrophe de Fukushima, il est utile de se plonger dans les Guernica qu’elle a engendrés.

Qu’as-tu appris avec Fukushima ?

Il y a deux réponses au moins à cette question.

La première réponse et idéologique ou en tout cas dans le cadre des idées.

Je suis de la génération de Tchernobyl. En 1986, j’avais 19 ans, je suis né en 67. Je me souviens bien comme au concours d’entrée de Normal’Sup, j’avais eu un texte en anglais sur la catastrophe de Tchernobyl. la catastrophe venait d’avoir lieu et c’était déjà au concours d’entrée, à l’oral.

Or, il se trouve que, arrivé à l’âge de maturité, soi-disant, Fukushima me tombe dessus. Tu me demandes de ce que j’ai appris et bien à ce moment-là je me suis aperçu que je ne connaissais rien au nucléaire, alors que je suis d’une génération qui a vécu la première catastrophe nucléaire, qui l’a vécu de très près, j’étais en Europe, j’étais à Paris, à l’époque. C’est la première chose que j’ai apprise.

La deuxième chose, puisque le livre que tu évoques est un livre sur les artistes, avec les artistes de Fukushima, il y a beaucoup d’artistes japonais mais aussi des français. Ce que j’ai appris est que l’art est essentiel en temps de catastrophe.

Longtemps, il y a eu ce cliché qu’il est impossible d’écrire sur une catastrophe ou même il n’est pas souhaitable d’écrire sur une catastrophe, du moins une catastrophe d’une telle ampleur. On pense au mot d’Adorno [philosophe allemand, 1903-1969] : « Écrire un poème après Auschwitz est barbare. » [note 1]

Günther Anders [philosophe allemand puis autrichien, 1902-1992] dit la même chose non seulement sur Auschwitz, mais il l’a élargi à Hiroshima. [note 2]

Fukushima

la lune d’hiver brille

sur une ville morte

Shigemoto Yasuhiko

Il y a cette chape de plomb qui pèse sur le rapport à la catastrophe, et qui est encore très présent aujourd’hui je trouve.Lorsque j’ai sorti mon livre (Fukushima, récit d’un désastre, Gallimard, 2012, [note 3]), il y avait cette vulgate critique sur des écrits qui évoquent des catastrophes, sur des films qui évoquent des catastrophes (je ne parle pas des blockbusters que sont les films catastrophes américains), par exemple le film de Roberto Benigni sur Auschwitz, La Vie est belle [1998], il y avait tout de suite ça et Steven Spielberg aussi lorsqu’il s’intéresse au ghetto de Varsovie [La liste de Schindler, 1994], cette vulgate critique, une pensée assez moralisante qui ne dit pas « faites attention lorsque vous écrivez sur telle catastrophe », ce serait tout à fait acceptable d’entendre ce genre d’avertissement, tout écrivain ou tout cinéaste devrait se le formuler à soi-même avant de commencer son œuvre, mais cette pensée moralisante est comme une injonction à ne pas parler de la catastrophe parce que soi-disant on n’est pas nous-mêmes morts, on n’est pas nous-mêmes directement concernés.

Il m’a semblé qu’il fallait secouer cette espèce de cliché qui date de l’immédiat après-guerre, Adorno, Anders c’est ça. On peut retourner cette injonction.

Au moment où Adorno, Anders interdisent vraiment de faire une représentation d’Auschwitz (ou pour Anders d’Auschwitz et d’Hiroshima), on peut le comprendre un peu, parce qu’à cette époque, Auschwitz se produit dans toute l’Europe mais par l’initiative d’un pays l’Allemagne qui est vraiment culturellement ultra-puissant, musiciens, philosophes, et que cette immense puissance cette richesse culturelle de l’Allemagne n’a pas suffit à arrêter la catastrophe du génocide des Juifs mais qu’en plus elle l’a accompagné : on obligeait les musiciens juifs dans les camps de concentration et d’extermination à jouer la grande musique allemande. Dans ce contexte-là, on comprend que quelqu’un comme Adorno ait pu dire « ça suffit l’art ne peut pas rendre tout acceptable ».

Tsunami géant

le magot de mamie

perdu dans la boue

(anonyme)

Mais il me semble qu’aujourd’hui la situation est très différente, que au contraire l’art est attaqué de toute part, je pense vraiment, je suis très sérieux quand je dis ça, je pense à la destruction des Bouddhas en ََAfghanistan par exemple, mais il y a aussi une attaque par l’esprit mercantile, le néo-libéralisme appliqué à l’art, le fait de vouloir tout rentabiliser y compris l’art lui-même et lui enlever ce coté gratuit.

Il me semble qu’aujourd’hui non seulement l’art est attaqué mais on lui dénie de s’occuper de ces choses-là, c’est une sort de censure qui ne dit pas son nom.

Avec mes étudiants japonais, je leur parlais de cela, d’Adorno, de Primo Levi, d’Antelme, de Günther Anders… Un jour un de mes étudiants qui me fait une réflexion tout bonnement fulgurante lorsqu’on se posait cette question qui est devenue une question banale (est-ce qu’on peut, est-ce qu’on doit, comment parler de la catastrophe ?) lui m’a fait cette réponse très simple : il suffit d’écrire un bon livre ou de faire un bon film. La réponse se donne par la qualité. On ne reproche pas à Picasso d’avoir peint Guernica, ce serait absurde.

Au contraire, on sait bien aujourd’hui que c’est un des tableaux qui permet de résister à la barbarie, la preuve en est est qu’une reproduction est affichée à l’ONU et cette reproduction avait été voilée au moment de la guerre d’Irak [Le 5 février 2003, au siège du Conseil de sécurité de l’ONU, à New-York, à la veille de l’invasion de l’Irak, un voile a caché la reproduction de Guernica. Colin Powell, secrétaire d’Etat américain, a pu faire son annonce que des armes de destruction massive se trouvaient encore sur le sol irakien, justification de l’intervention américaine [argument qui s’est révélé mensonger] : « Comme le résumait Maureen Dowd, chroniqueuse du New York Times : « Devant les caméras, M. Powell ne peut certes pas convaincre le monde de bombarder l’Irak entouré de femmes, d’hommes, de boeufs et de chevaux hurlants et mutilés. » » [Le Monde, 7/08/2008] [note 4]

A un moment donné il faut voiler les tableaux parce qu’ils ont une telle puissance de vérité que lorsqu’on profère des mensonges il ne faut pas qu’ils puissent les entendre ou les voir… Voilà ce que j’ai appris en travaillant sur Fukushima et avec les artistes de Fukushima.

Ma seconde question serait celle-ci : où se placer en tant qu’artiste, en tant qu’écrivain, en tant que philosophe, en tant que citoyen… Où se placer en temps de catastrophe ?

Le livre publié avec les artistes de Fukushima s’appelle « Dans l’œil du désastre, Créer avec Fukushima » [Note 5]. J’ai choisi ce titre en référence à l’expression « l’œil du cyclone » qui est un endroit calme et l’artiste est là alors que tout autour tout tourbillonne et pulsionnel et brame et gémit, vacarme autour de lui, lui il est là dans l’œil du cyclone. Il est en même temps au cœur de la catastrophe et c’est le seul qui garde son calme et qui en rend compte et qui lui rend justice d’une certaine manière, il rend justice à ses victimes, en tout cas. Où se placer ? Dans l’œil du cyclone.

Rebonds et prolongements :

Note 1

« Nous ne sommes pas quitte de ce qui s’est passé à Auschwitz, et les conséquences de cela vont jusqu’à la question de la possibilité ou non d’écrire des poèmes après. Tel était le sens de la prise de position de Theodor W. Adorno, lui qui aspirait à effacer ses origines juives en réduisant son patronyme Wiesengrund à l’initiale W qui précède le nom corse de sa mère catholique. À son retour de l’exil américain en 1949, il écrivit ceci, qui fit couler beaucoup d’encre (Prismes, Critique de la culture et société, p. 26) : « Écrire un poème après Auschwitz est barbare, et ce fait affecte même la connaissance qui explique pourquoi il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des poèmes. » Michel Bousseyroux

« « Écrire un poème après Auschwitz est barbare. »

Ce « verdict » de Theodor Adorno, cité souvent par ouï-dire et répété à tout propos, a été transformé en poncif. Utilisé comme mantra. Sans égard au sens que la proposition, métamorphosée ainsi en « sentence », pouvait avoir pour Adorno et ce qu’elle impliquait.

Il est indispensable donc d’en voir le contexte. Il faut surtout relire d’autres écrits d’Adorno consacrés à cette question fondamentale et paradoxale : l’impossibilité et, en même temps, la nécessité de l’art dans un monde qui a survécu à sa propre ruine. »

(Youssef Ishaghpour, Le Poncif d’Adorno, Le poème après Auschwitz, éditions du canoë, 2018)

Note 2

Günther Anders, Hiroshima est partout : journal d’Hiroshima et de Nagasaki, Le Seuil, traduit de l’allemand par Denis Trierweiler et Ariel Morabia, et de l’anglais par Françoise Cazenave et Gabriel Raphaël Veyret.

« Hiroshima est partout », de Günther Anders et « Idéologie et terreur », d’Hannah Arendt : coupables sans culpabilité

Quand Günther Anders et Hannah Arendt pensent la crise de la responsabilité au temps des crimes de masse et de la bombe atomique. »

Stéphane Legrand, Le Monde, 27 novembre 2008

Note 3

Extrait de Fukushima, Récit d’un désastre, p. 87-88

« Quant à moi, je n’ai pas beaucoup hésité. J’ai un billet d’avion pour le 15 mars, une invitation pour le Salon du livre de Paris. Le champagne m’attend ! Les conversations palpitantes avec tous mes amis de l’édition et de l’écriture ! Ah ! Eh bien non. Les grandes décisions se prennent toujours en musique. C’est en écoutant la fin de Cosi fan tutte que j’ai compris qu’il ne fallait surtout pas partir : Fortunato l’uom che prende, ogni cosa pel buon verso, e tra i casi e le vicende, da ragion guidar si fa… Heureux celui qui prend tout par le bon côté, et qui laisse la raison le guider à travers les événements et les épreuves… Il n’y a pas seulement les paroles mais aussi la musique, cette extraordinaire profondeur pétillante, joueuse et enjouée, qui vous assure que le calme est à portée de main. E del mondo in mezzo i turbini, bella calma troverà… Et au sein des tourbillons terrestres (i turbini : les turbines nucléaires ! Mozart avait décidément pensé à tout), il saura trouver le calme. Une minute et demie de cette mélodie et ma décision est prise : je reste au Japon. Que peut-il m’arriver si j’ai Mozart avec moi ? Au moins, on ne pourra pas dire que je manque de panache (radioactif). Et puis, c’est le bon côté des catastrophes, tout le monde se barre et on reste peinard au milieu du désastre. Il faut être raisonnable toutefois, j’irai donc à Kyoto, ville raisonnable entre toutes, et lumineuse et calme comme du Mozart, pour laisser passer l’orage. Se reprendre, s’ordonner, s’orienter dans le grand battage du temps. »

Note 4

« Colin Powell préférait ne pas voir « Guernica », par Anatole Lucet, Le Monde, 7/08/2008.

Note 5

« Dans l’œil du désastre, Créer avec Fukushima », sous la direction de Michaël Ferrier, éditions Thierry Marchaisse, janvier 2021. Divisé en quatre sections : Paroles d’artistes, paroles de photographes, paroles de cinéastes, Fukushima au théâtre.

Signatures de David Collin, Hervé Couchot, Amandine Davre, Elise Domenach, Marie Drouet, Michaël Ferrier, Thierry Girard, Bénédicte Gorrillot, Jacques Kraemer, Hélène Lucien, Bruno Meyssat, Minato Chihiro, Yoann Moreau, Brigitte Mounier, Marc Pallain, Claude-Julie Parisot, Gil Rabier, Suwa Nobuhiro, Watanabe Kenichi, Clélia Zernik.

E. Canetti : les livres pour défier la mort


« Je ne regrette pas les orgies de livres. Je le sens comme au temps de la gestation de Masse et Puissance [1960]. À l’époque déjà tout passait par l’aventure avec les livres. Lorsque je n’avais pas d’argent, à Vienne, je dépensais en livres tout l’argent que je n’avais pas. Même à Londres, au temps des vaches maigres, je réussissais encore, de temps à autre, à acheter des livres. Je n’ai jamais appris quelque chose de façon systématique, comme d’autres gens, mais uniquement dans la fièvre soudaine de l’émotion. Le déclenchement se produisait toujours de la même manière, à savoir que mon regard tombait sur un livre, et il me le fallait. Le geste consistant à s’en saisir, le plaisir de flamber son avoir, d’emporter le livre à la maison ou dans le café le plus proche, de le contempler, le caresser, le feuilleter, le mettre de coté, le redécouvrir le moment venu, parfois des années plus tard — tout cela fait partie d’un processus créatif dont les rouages cachés m’échappent. Mais cela ne se passe jamais autrement chez moi et il me faudra donc acheter des livres jusqu’à mon dernier souffle, en particulier lorsqu’il m’apparaîtra que je ne les lirai sans doute jamais.

Vraisemblablement est-ce encore là une manière de défier la mort. Je ne veux pas savoir lesquels, parmi ces livres, ne seront jamais lus. Leur sort, à cet égard, demeurera incertain jusqu’à la fin. J’ai la liberté du choix : parmi tous les livres qui m’entourent, je puis, à tout moment, choisir librement, et le cours même de la vie, de ce fait, repose en ma main. »  

Elias Canetti (1905-1994, Prix Nobel de littérature 1981), Le livre contre la mort, Albin Michel, 2018, trad. de l’allemand par Bernard Kreiss, p. 231-233.

Zizi Kabongo se souvient du combat Ali-Foreman (Kinshasa, 1974)

Le 30 octobre 1974, Mobutu Sese Seko, chef de l’Etat qu’il avait rebaptisé Zaïre, a organisé au stade Tata-Raphaël de Kinshasa un combat historique entre Mohamed Ali et son compatriote George Foreman. Zizi Kabongo y était. David Van Reybrouck l’a rencontré. Son témoignage est publié dans ce livre magnifique, « Congo, une histoire » (Actes Sud, trad. Isabelle Rosselin, Prix Médicis Essai 2012)

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« Comment pouvait-on être en colère contre un président qui offrait une fête aussi fantastique ?
Les spectateurs américains devaient pouvoir suivre le match aux heures de grande écoute. Par conséquent, le match ne démarra qu’à quatre heures du matin. Il faisait une chaleur étouffante dans la ville, la saison des pluies avait commencé. Tôt le matin, le stade était déjà plein. « Les enfants n’ont pas eu à aller à l’école. Les entreprises devaient accorder à leurs employés une journée de congé rémunérée. Les bars devaient servir la bière à moitié prix. La farine était même gratuite », se rappelait Zizi. Les spectateurs venaient de partout, même d’Angola et du Cameroun. (…)

Au milieu du terrain de football était dressé le ring où tout allait se dérouler. Les équipes américaines de télévision avaient apporté un matériel impressionnant. Les enfants sur les escaliers en béton rayonnaient de fierté. Leur pays avait été le seul au monde capable d’organiser ce match ! Même le ring venait d’Amérique ! Les Américains avaient même apporté leur eau ! Oui, et leur propre papier toilette ! (…)

Zizi Kabongo se retrouva posté derrière la caméra qui devait filmer les réactions du public. (…)

Le plus singulier était que Mobutu n’était pas là. Il dédaignait le stade où il avait été accueilli par la population en 1965. Craignait-il d’être moins populaire qu’Ali ? Était-il inquiet pour sa sécurité ? Estimait-il qu’en tant qué président-fondateur il devait être justement présent par son absence ? Zizi n’en savait rien. Il savait en revanche que Mobutu regarderait  en direct ses images dans son palais. Le chef disposait en effet du seul réseau de télévision en circuit fermé de tout le pays. (…)

Zizi ne voyait que la foule à travers la lentille de sa caméra, la foule d’abord exulter puis prendre peur. Il ne vit pas Ali chercher les cordes dès le deuxième round et reculer loin en arrière pour éviter le coups de Foreman. (…)

Ali comptait battre Foreman en l’épuisant. Le rope-a-dope, appellerait-il cette technique plus tard. Zizi n’entendit pas Ali crier, avec ce rictus blanc que lui donnait son protège-dents : « George, you disappoint me. » « Come here sucker ! They told me you could punch. » « You’re not breaking popcorn, George. » [« George, tu me déçois. » « Viens donc, pauvre gars ! On m’a dit que tu avais une bonne détente. » « Tu n’arriverais même pas à pulvériser du pop-corn, George. »]

Zizi filmait et filmait. De temps en temps, il se retournait. Il voyait chaque fois le colosse Foreman rouer de coups le corps d’Ali  cabré en arrière. Zizi ne vit pas Ali , au huitième round, treize secondes avant la cloche, soudain se détacher des cordes et porter des coups très rapides, une formidable combinaison  droite-gauche-droite. Le dernier fut un coup de massue venant s’écraser sur la mâchoire de Foreman, qui transforma son visage en un amas de pâte à modeler. Les bras de Foreman, qui pendant huit rounds avaient valsé comme des pinces mécaniques, firent soudain des grands moulinets incontrôlés dans le vide. Foreman n’en revenait pas. On ne l’avait encore jamais mis K.-O. Le sol du ring bascula vers lui.

Ce fut une seule nuit. Aussitôt après le match, un orage d’une exceptionnelle violence éclata. Les boîtes de nuit de Kinshasa étaient bondées. Les boissons étaient gratuites. Tout le monde faisait la fête, tout le monde riait, tout le monde buvait. Mais en rentrant chez lui, Zizi ne put s’empêcher de se demander dans quelles conditions Mobutu avait regardé ces images. Seul dans son palais en compagnie de quelques membres de sa famille ? Profitant du spectacle qu’il avait offert à son pays ? Curieux de la femme en robe rouge ? Ou épiant, inquiet, les réactions du public, s’alarmant de chaque visage qui ne riait pas assez ? »

De l’autobiographie dans la littérature arabe…

De l’autobiographie dans la littérature arabe, avec pour la figure majeure Taha Hussein, auteur du Livre des jours (1926) et de deux livres récents : À cœur ouvert, d’Abdo Wazen, traduit de l’arabe (Liban) par Madona Ayoub, Sindbad/Actes Sud) et Hors les voiles, de Youmna Elid, traduit de l’arabe par Leila Khatib Touma (L’Harmattan).
Voir la critique de ces « deux beaux récits de l’intime », selon Najwa Barakat dans sa chronique hebdomadaire du journal La Croix, 03/06/2016

La Méditerranée dans un dictionnaire français et arabe

20160320_1_8_1_1_0_obj11307980_1(c) Massilia Mundi

Un Dictionnaire de la Méditerranée de 1728 pages en deux langues (française en septembre, arabe pour la fin de la l’année), rédigé par 169 auteurs : c’est une grande entreprise que nous annoncent les éditions Actes Sud et la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme (MMSH). Les trois universitaires qui le dirigent (Dionigi Albera, Maryline Crivello, Mohamed Tozy) invoquent dans leur introduction la « Plus Grande Méditerranée » chère à Fernand Braudel et les « cent frontières » traversées par « un vaste savoir non pacifié » fruit de multiples circulations et influences.
Des « croisades » au « nettoyage ethnique », les 207 entrées du Dictionnaire proposent les contours d’un « portulan » multidisciplinaire aux « regards comparatifs », « une pluralité de vues et d’horizons » pour « une invitation au voyage » destinée tant à l’étudiant qu’à l’amateur à la recherche de « clés » pour comprendre ce monde complexe.
En raison du caractère « hétéroclite et disparate des connaissances concernant la Méditerranée », face à ce « conglomérat démesuré », les chercheurs ne prétendent pas à l’exhaustivité.
Cinq axes orientent la lecture : les savoirs, les territoires, l’histoire sociale et politique, les figures et les pratiques culturelles. Parmi les entrées qui aiguisent notre curiosité : « alchimie », « pharmacopée », « Albert Camus », « Drogman » (interprète), « Harraga » (curieusement pas d’entrée « Réfugiés » mais une entrée « Mur »), « Joute poétique », « Poésie », « Printemps arabe », « Taha Hussein » et ces deux entrées des plus prometteuses : « Utopie méditerranéenne » et… « Sieste ».

Quelle Abeille a piqué Araki ?

arakiExposition Araki Nobuyoshi, Musée Guimet (Paris) jusqu’au 5 septembre 2016

« Ne t’est-il jamais arrivé de découvrir quelque chose de très beau, et, soudain, de souffrir très fort, et si vite que tu t’en aperçois à peine, parce que ce fragment de beauté que tu contemples, tu devrais le partager avec quelqu’un et qu’il n’y a que l’absence ? » Jacques Abeille, Les jardins statuaires, p. 365

Ce romancier surréaliste a écrit Les jardins statuaires comme premier épisode (de plusieurs centaines de pages quand même) du Cycle des contrées dont le ressort est une « attente des barbares », et où le thème de la création est considéré comme préexistant au créateur (l’œuvre contient son propre dessein, le créateur ne fait que l’accompagner).

Lire l’interview de Jacques Abeille dans Le Nouvel Observateur, 19/11/2011 et consulter le site des éditions Le Tripode

« Souvent la beauté n’est pas perçue parce qu’elle est dans un désert »

brigitta-couv« Souvent la beauté n’est pas perçue parce qu’elle est dans un désert, ou parce que l’œil qui pourrait l’apprécier ne s’est pas présenté – souvent elle est vénérée et portée aux nues alors qu’elle n’existe pas ; mais jamais elle ne doit manquer là où un cœur frémit d’ardeur et de ravissement, ou bien là où deux âmes se consument l’une pour l’autre ; car sans elle le cœur se tait, et l’amour entre les âmes se meurt. » Adalbert Stifter, Brigitta, traduit de l’allemand par Marie-Hélène Clément et Silke Hass, Cambourakis, 90 pages

André Miquel, La Fontaine à Bagdad, le 11 octobre à l’IMA

Miquel La Fontaine

André Miquel présentera sa traduction La Fontaine à Bagdad, fables arabes d’Ibn al-Muqaffa’ dans une édition illustrée par Baya à l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris, le 11 octobre 2015. Considéré comme l’un des plus grands arabisants actuels, ce professeur honoraire au Collège de France, ancien administrateur de la Bibliothèque de France, est le traducteur des deux plus grandes œuvres du monde arabo-musulman, Les Mille et une nuits dans la collection de Gallimard, 2005, traduit avec Jamel Eddine Bencheikh et Le Livre de Kalila et Dimna.

[Kalila et Dimna sont deux chacals vivant à la cour du lion, roi du pays. Si Kalila se satisfait de sa condition, Dimna en revanche aspire aux honneurs, quels que soient les moyens pour y parvenir. Chacun des deux justifie sa position en enchaînant des anecdotes, qui mettent en scène des hommes et des animaux, et délivrent des préceptes et des morales. C’est le thème d’une exposition à l’IMA jusqu’au 3/01/2016).

Ibn al-Muqaffa’ est un savant persan du VIIIe siècle, l’un des premiers traducteurs d’œuvres persanes et indiennes vers l’arabe (Al-Adab al-kabîr, soit Grand Adab), premier essai de formulation explicite du concept d’adab (dans la littérature arabe classique, concept qui définit à la fois l’éthique de l’homme de cour cultivé et la littérature en prose qui l’accompagne), et Kalîla wa Dimna, traduction et adaptation des Fables de Bidpaï, « une œuvre royale, pleine de sagesse et d’humour à destination des petits comme des grands ».

Rendez-vous le 11 octobre 2015, à 16h, salle du Haut Conseil, 9ème étage. Entrée libre dans la limite des places disponibles.

Source : communiqué Orients éditions (Ysabel Saïah Baudis)

Il y a 522 ans, la première Grammaire castillane

Antonio de Nebrija © CAGP/Iberfoto

Le 18 août 1492, juste quinze jours après que Colomb eut appareillé, l’humaniste Antonio de Nebrija publie une Grammaire castillane. Cette première grammaire de langue vernaculaire (dans la langue du pays) éditée en Europe signe l’acte de décès du latin comme langue des élites et des dirigeants.

Valeurs vernaculaires : Ivan Illich analyse les motivations et conséquences de la Gramática Castellana