La pensée de Glissant en Martinique ? « Hélas, rien à dire… », déplore Confiant

Cinq ans après la disparition du poète martiniquais Édouard Glissant, à l’âge de 83 ans le 3 février 2011, son compatriote Raphaël Confiant déplore que la « pensée rhizomique » de l’auteur du « Tout-Monde » n’ait aucune retombée aujourd’hui dans une « Martinique désemparée », écrit-il dans Montray Kréyol, 04/02/16 :

« La pensée de Glissant était une pensée rhizomique comme il le dit lui-même, connectée à toutes les histoires, à toutes les langues, à tous les mondes. Le contraire donc d’une pensée nombriliste et bêtement nationaliste. Cette pensée-là fut et demeure très difficile à acclimater dans une Martinique travaillée par une souffrance identitaire tri-séculaire, incapable de s’assumer, bipolaire (je n’aime pas le Blanc, mais je vote « NON » en cas de référendum sur l’indépendance), cultivant une africanité fantasmatique et surtout cosmétique, détruite économiquement après l’effondrement de l’industrie sucrière dans les années 60 du XXe siècle. Une Martinique désemparée pour tout dire. Dirigée par des politiciens, de quelque bord qu’ils soient, pour qui la mondialisation n’existe pas. (…) Le reste du monde se résumant de temps à autre à quelque évocation de notre relation avec la France et l’Europe. C’est à se demander si nous savons que la Chine est devenue la première puissance mondiale. (…) Que devient la pensée de Glissant à la Martinique ? [à cette question] je ne réponds rien. Car il n’y a, hélas, rien à dire… »

Lire le texte intégral de Raphaël Confiant sur Montray Kréyol, 04/02/16

Il y a 40 ans disparaissait Saint-John Perse

Il y a 40 ans, le 20 septembre 1975, disparaissait Saint-John Perse, à l’âge de 88 ans. Ce diplomate et poète français était né à Point-à-Pitre (Guadeloupe), lauréat du prix Nobel de littérature en 1960. Il était descendant de colons français établis aux Antilles depuis la fin du XVIIe siècle. Son œuvre a été au programme de l’agrégation.

« Saint-John Perse a édifié, à l’écart des milieux littéraires, une œuvre poétique monumentale par la noblesse de son ambition et la splendeur de son langage. Indifférente à toute transcendance, elle exprime pourtant, à travers le foisonnement de ses images, l’ampleur de ses visions et la grandeur de ses mythes, une persistante nostalgie du sacré.
Véritable inventaire du monde, son œuvre en traduit la beauté luxuriante dans une langue riche en vocables rares et en métaphores étranges et précieuses. Dans la forme du verset claudélien et de la litanie, elle s’élève spontanément au ton de l’épopée. » (Le Grand Robert).

Voyons comment Perse est enseigné aujourd’hui. Par exemple dans une classe de première du lycée Montebello à Lille, sous l’autorité de Sylvain Dournel :

Vents, I-1

C’étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde,
De très grands vents en liesse par le monde, qui n’avaient d’aire ni de gîte,
Qui n’avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,
En l’an de paille sur leur erre… Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !

Flairant la pourpre, le cilice, flairant l’ivoire et le tesson, flairant le monde entier des choses,
Et qui couraient à leur office sur nos plus grands versets d’athlètes, de poètes,
C’étaient de très grands vents en quête sur toutes pistes de ce monde,
Sur toutes choses saisissables, parmi le monde entier des choses…

Et d’éventer l’usure et la sécheresse au coeur des hommes investis,
Voici qu’ils produisaient ce goût de paille et d’aromates, sur toutes places de nos villes,
Comme au soulèvement des grandes dalles publiques. Et le coeur nous levait
Aux bouches mortes des Offices. Et le dieu refluait des grands ouvrages de l’esprit.

Car tout un siècle s’ébruitait dans la sécheresse de sa paille, parmi d’étranges désinences : à bout de cosses, de siliques, à bout de choses frémissantes
comme un grand arbre sous ses hardes et ses haillons de l’autre hiver, portant livrée de l’année morte;
Comme un grand arbre tressaillant dans ses crécelles de bois mort et ses corolles de terre cuite –
Très grand arbre mendiant qui a fripé son patrimoine, face brûlée d’amour et de violence où le désir encore va chanter.

» Ô toi, désir, qui vas chanter… » Et ne voilà-t-il pas déjà toute ma page elle-même bruissante,
Comme ce grand arbre de magie sous sa pouillerie d’hiver : vain de son lot d’icônes, de fétiches,
Berçant dépouilles et spectres de locustes; léguant, liant au vent du ciel filiales d’ailes et d’essaims, lais et relais du plus haut verbe –
Ha ! très grand arbre du langage peuplé d’oracles, de maximes et murmurant murmure d’aveugle-né dans les quinconces du savoir

Saint-John Perse, Vents, Gallimard.

Comment lire les poèmes de Saint-John Perse ? (Colette Camelin, L’information littéraire, 2006/3 (Vol. 58), pp 23-27, Les Belles lettres, Cairn.Info.

Au Japon, des ateliers d’écriture initient à la poésie de Saint-John Perse.

Site Saint-John Perse, le poète aux masques.

Le Québec de Dany Laferrière (13′)

Caraïbes, le mensuel

Reportage au Québec chez Dany Laferrière, écrivain québécois d’origine haïtienne membre de l’Académie française où il a été intronisé le 28 mai 2015. Images Jean-Pierre Magnaudet. Diffusé dans le magazine Caraïbes (production Martinique 1ère) en juin 2015. Au sommaire : la province cubaine de l’Oriente, lieu de naissance de Fidel Castro, la Jamaïque et l’économie des studios de musique et enfin, à 42’44 » : le Québec avec Dany Laferrière.

Dany Laferrière est un homme de trois pays, la France pour la langue et l’Académie, Haïti pour la naissance et la jeunesse, le Québec pour le pays où il a écrit son autobiographie américaine, ensemble de dix romans qui l’a fait connaître.
Nous sommes allés le rencontrer à Montréal et à Québec à l’occasion de l’essayage de son habit d’académicien, avec son couturier Jean-Claude Poitras, son tailleur Marc Patrick Chevallier, sa brodeuse Jeanne Bellavance, dans sa bibliothèque personnelle, au salon du livre de Québec.
Parmi ceux qui nous parlent de lui : des Québécois, Bernard Pivot, invité d’honneur du Salon du livre de Québec, l’éditeur Rodney Saint-Éloi et le poète et universitaire spécialiste des « écritures migrantes » Pierre Nepveu.

À suivre… Francis Affergan

« Francis Affergan, Penser l’exotisme, l’altérité et la pluralité des mondes » est le titre du colloque organisé le 11 mai à Institut d’études avancées de Paris (IEA) et le 12 mai au Musée du Quai Branly. A la croisée de l’anthropologie, de la philosophie et de la poésie, « Francis Affergan a mené une enquête ethnologique approfondie sur l’historicité, les contradictions et les subtilités de la culture martiniquaise. »

 

 

Maryse Condé et Alain Mabanckou sélectionnés pour le prix Man Booker International

Remis tous les deux ans à un auteur pour l’ensemble de son œuvre, le prix britannique Man Booker a dévoilé sa sélection de dix écrivains parmi lesquels la Guadeloupéenne Maryse Condé, le Franco-congolais Alain Mabanckou, la Libanaise Hoda Barakat et le Mozambicain Mia Couto.

La Man Booker Foundation a dévoilé le 24 mars à l’université de Cape Town, en Afrique du sud, sa sélection pour le Man Booker International Prize 2015. La 6e édition du prix britannique, décerné tous les deux ans à un romancier pour l’ensemble de son œuvre et doté de 60000£ (82000 €), sera annoncé le 19 mai au cours d’une cérémonie au Victoria and Albert Museum à Londres.

Deux francophones, la Guadeloupéenne Maryse Condé et le Congolais Alain Mabanckou figurent dans cette sélection qui compte huit autres auteurs: César Aura (Argentine), Hoda Barakat (Liban), Mia Couto (Mozambique), Amitav Ghosh (Inde), Fanny Howe (Etats-Unis), Ibrahim al-Koni (Lybie), László Krasznahorkai (Hongrie) et Marlenevan Niekerk (Afrique du sud). Aucun des dix auteurs n’avait été sélectionné précédemment. Et cinq pays apparaissent pour la première fois dans la sélection: la Libye, le Mozambique, la Hongrie, l’Afrique du sud et le Congo.

Lattès, éditeur des derniers livres de Maryse Condé, publiera le 8 avril Mets et merveilles, dans lequel l’auteure de Tituba sorcière évoque sa vie à travers la cuisine, celle de son enfance, celle des pays où elle a voyagé, celle du quotidien.

De son côté, Alain Mabanckou, prix Renaudot 2006 pour Mémoires de porc-épic, est publié au Seuil et en poche chez Points. Son dernier livre, Lumières de Pointe-Noire est paru en 2013 au Seuil et en 2014 en Points.

Le gagnant succédera à Lydia Davis, lauréate 2013, Philip Roth (2011), Alice Munro (2009), Chinua Achebe (2007) et Ismael Kadaré (2005).

Présidé par la romancière et universitaire Marina Warner, le jury du Man Booker International Prize se compose du romancier Nadeem Aslam, d’Elleke Boehmer, romancier, critique et professeur de littérature anglaise à Oxford, d’Edwin Franck, directeur éditorial des New York Review Classic series et de Wen-chin Ouyang, professeur d’arabe et de littérature comparée à l’université de Londres.

Source : Livres-Hebdo.

Bientôt les barbecues

Mot du jour : BARBECUE, mot d’origine taïno d’Haïti selon Le Robert, partenaire de La Semaine de la langue française (14-22 mars), un partenaire qui met l’accent sur « les mots qui voyagent ».
Pour Le Grand Robert « barbecue » est un mot qui vient de l’anglais de 1697, venu lui-même de l’espagnol du Mexique « barbacoa », qui lui-même l’a emprunté au haïtien.

Contrairement au Robert, le TLF (Trésor de la langue française) situe l’origine de « barbecue » chez les Arawaks, précisant « le terme est parvenu aux USA par les États du sud qui l’ont emprunté à l’hispano-américain « barbacoa » attesté, au sens de « dispositif pour faire rôtir les viandes en plein air », en 1518 (…) d’origine arawak.» [Arawaks : famille linguistique qui compte parmi elle les Kali’na de Guyane et d’autres pays d’Amérique latine].

Dans un communiqué des éditions Le Robert, publié à l’occasion de la Semaine de la langue française, apprécions ces mignardises pour la langue :
« Les grands rendez-vous avec l’histoire ont laissé leur empreinte en français : l’arabe au Moyen Âge (alambic, alchimie, algèbre, chiffre, coton, élixir, zéro…), les langues d’Amérique au retour des voyages de découverte (cacao, maïs, tabac, tomate…), l’italien à la Renaissance (altesse, artisan, bandit, banque, courtisan…), l’arabe à nouveau au cours de la colonisation (barda, baroud, bled, clebs, flouze, guitoune…) et, plus récemment, l’anglais (biopic, blog, buzz, cougar, cupcake, selfie, sex toy…). »
Quelques origines inattendues : « crevette » est un mot qui vient du normand, « caviar », du turc, et « banane » du bantou.

Fabienne Kanor, Prix Carbet de la Caraïbe et du Tout-Monde

Fabienne Kanor est lauréate du 25e Prix Carbet de la Caraïbe et du Tout-Monde pour son roman Faire l’aventure (Jean-Claude Lattès, 2014).

Mentions spéciales à Yanick Lahens pour Bain de lune (Sabine Wespieser, prix Fémina 2014) et à Louis Sala-Molins auteur de Esclavage réparation. Les lumières des capucins et les lueurs des pharisiens (Éditions Lignes, 2014).

Voir la sélection des titres.

Prix Carbet de la Caraïbe et du Tout-Monde (pré-sélection)

Avec pour titre très glissantien « Les lieux communs de la Relation », le prix Carbet de la Caraïbe et du Tout-Monde réunit sa 25e édition à La Havane du 12 au 17 décembre 2014. Organisé par l’Institut du Tout-monde et la Casa de las Américas, « pour la première fois de son histoire, le Prix Carbet se tiendra dans une île hispanophone, conformément à l’intention qu’exprima Édouard Glissant en 2008 « d’organiser des assises du Prix dans les Antilles anglophones et hispanophones, mais aussi en Afrique ». »
À noter que parmi les anciens lauréats figurent deux écrivains cubains : Leonardo Padura (2011) et Karla Suarez (2012).
Pourtant aucun auteur non francophone ne figure dans la pré-sélection. Une liste qui a pour caractéristique de jouer l’éclectisme des genres avec des romans comme des essais, un recueil de nouvelles, une revue, de la poésie, du théâtre, des livres qui rhizoment en Caraïbe comme dans le Pacifique. Tous écrit en langue française.
Remarquons quelques absences, telle l’édition génétique des œuvres complètes d’Aimé Césaire, sous la direction de l’universitaire américain Albert James Arnold (mais deux titres de la pré-sélection, ceux d’Alfred Alexandre et de Véronique Kanor, dans deux genres différents, se rattachent directement à l’œuvre de Césaire), ou l’essai critique de Romain Cruse, « Une géographie populaire de la Caraïbe » (Mémoire d’encrier) ou encore « Être esclave », de Catherine Coquery-Vidrovitch et Éric Mesnard (La Découverte). Soulignons la présence de la revue haïtienne, « Intranqu’îllités », qui se réclame du Tout-monde ou de l’étonnant « Quintet » de Frédéric Ohlen.
Pour la distribution par pays, notons la domination d’Haïti (sept auteurs) et de la Martinique (cinq auteurs), arbitrée par le Cameroun (deux auteurs), la Guadeloupe (un auteur), la Nouvelle-Calédonie (un auteur), les Comores (un auteur), la France (un auteur).
Cette année le président du jury est l’écrivain Ernest Pépin.
Pré-sélection du Prix Carbet 2014
Alfred Alexandre, Aimé Césaire, la part intime (Mémoire d’encrier)
Jean-Pierre Arsaye, Au-Béraud l‘Éphémère, Édilivres
Dominique Batraville, L’Ange de charbon (Zulma)
Dominique Deblaine, Le Raconteur (Riveneuve)
Jean-Durosier Desrivières, La jupe de la rue Gît-le-cœur (Lansman)
Fabienne Kanor, Faire l’aventure (Lattès)
Véronique Kanor, Combien de solitudes (Présence africaine)
Yanick Lahens, Bain de lune (Sabine Wespieser)
Frédéric Ohlen, Quintet (Gallimard)
Marc Alexandre Oho Bambé, Le Chant des possibles (La Cheminante)
Emmelie Prophète, Le désir est un visiteur silencieux (C3 éditions)
Fathia Radjabou, Je ne sais pas quoi faire de ma vie (Présence africaine)
Jean-Marc Rosier, Les ténèbres intérieures (Apogée)
Louis Sala-Molins, Esclavage et réparations (Lignes)
Gary Victor, L’escalier de mes désillusions (Philippe Rey)
collectif dirigé par James Noël et Pascale Monnin, Intranqu’îllités (Passagers des Vents, Zulma)
collectif dirigé par Léonora Miano, Première nuit : une anthologie du désir (Mémoire d’encrier).

« Lieu commun » chez Glissant ? « Un lieu où des pensées du monde rencontrent des pensées du monde ». « La portée du poème résulte de la recherche, errante et souvent inquiète, des conjonctions de formes et de structures grâce à quoi une idée du monde, émise dans son lieu, rencontre ou non d’autres idées du monde », Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde : Poétique IV, Paris, Gallimard, 1997 p.32.

Lire également la critique et compte rendu à propos de Koffi Kwahulé, prix Edouard Glissant 2013 (Papalagui, 8/12/2013).

Jorge Pineda, des Antilles à la Fiac

La FIAC, ou Foire d’art contemporain, c’est au Grand-Palais et Hors les murs jusqu’au 26 octobre 2014. Justement, sur les Berges de la Seine, dans le cadre de Slick attitude, dévolu aux artistes émergents, rencontre avec Jorge Pineda, de la République dominicaine.

La musique est extraite de l’album Dominican Republic Merengue (Haïti, Cuba, Îles Vierges, Bahamas, New-York 1949-1962), direction artistique Bruno Blum, édité par Frémeaux & Associés.