Aller décaniquer… (le livre)

” La population parle un français dont elle doit être fière “, nous dit un de ses archipéliens, dans un petit livre, véritable curiosité… Comme Antonia l’a bien deviné… il s’agit de l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon… et le livre, qui pourrait être de chevet, est signé Marc Dérible, Mots et expressions de Saint-Pierre et Miquelon, édition 2006, Roger Guichot éditeur. Son contact, comme précisé en dernière page : dmarc@cheznoo.net.

Aller décaniquer les choquettes dans le plain !

 

C’est un archipel où ce type de billets était en circulation jusqu’en 1972 … 

Un groupe d’îles où l’on parle français, un français déconcertant…

Quel est ce français qui se parle ainsi ? De quelle époque ? De quelle province ?  » La population parle un français dont elle doit être fière « , nous dit un de ses archipéliens, dans un petit livre, véritable curiosité…

Tout celui qui pourrait le feuilleter n’en serait pas tourner la grogne.

Dans ce pays donc, quand la pluie n’affale plus, quand la boucaille (brume) s’est dissipée, quand la pissouse ou la pluie comme du chien a cessé, on dit que le temps s’est mis au beau, qu’il a beausi, que l’on a droit à un temps de ministre ! ou qu’il subsiste une arisée, c’est-à-dire un petit vent.

La mer est si proche, qu’elle déteint sur les mots. On ne dit pas nouer ses lacets mais amarrer son soulier ; les enfants ne vont pas à l’école, ils appareillent pour l’école.

Ici (est-ce l’excentrement ?) des mots ont un genre inverse : une étang, une crabe, une moustique, une été, une argent, un houle, etc.

Est-ce l’éloignement ? On préfère la bière de spruce ou de genièvre, voire la bière anglaise de France (sic), comme si ce qui était loin était… anglais.

Est-ce le machisme ? Une femme enceinte est bloquée, branlée.

Dans l’archipel, ma voisine ne dit jamais  » aller tirer les boîtes de conserve vides sur la plage « , mais plus fréquemment :  » aller décaniquer les choquettes dans le plain « .

Solution prochainement.

Sur la Namibie, lire Brink

 Andre Brink (South Africa) 

Avant d’avoir droit à un prime time rugbystique, la valeureuse Namibie (étrillée honteusement 87-10 par une équipe de France qui comptait dans ses rangs un joueur de plus et pas mal de Toulousains) était une colonie allemande, le Sud-Ouest africain. La Namibie actuelle, indépendante depuis 1990, est le résultat d’une histoire méconnue mais sidérante, que le roman d’André Brink, Au-delà du silence, a révélé sous un angle nouveau lors de sa parution en français en 2003.

Sur le plan historique, rappelons pour être bref qu’aux premiers Boschimans vont succéder les Khoisans puis les Bantous (Hereros et Ovambos) puis les Allemands qui en font un protectorat en 1864.

En 1904, le général Lothar Von Trotha va devenir célèbre par l’un des premiers génocides de l’histoire. Ce gouverneur signe un ordre d’extermination selon lequel « À l’intérieur des frontières allemandes, chaque Herero, armé ou non armé, sera abattu. Je n’accepterai pas plus de femmes ou d’enfants. »

Pour la commémoration du centenaire de ces massacres, le 16 août 2004, le gouvernement allemand présente ses excuses officielles, historiques et morales et les qualifie de « génocide ».

Swakopmund.jpeg 

(Swakopmund, cité touristique et coloniale, photo Georgio)

En 1920, la Société des Nations autorise l’annexion du Sud-Ouest africain par l’Afrique du Sud sa voisine.

En 1979, l’apartheid est aboli dans le Sud-Ouest africain.

En 1990, l’apartheid est aboli en Afrique du Sud.

Le 21 mars 1990, la Namibie devient indépendante.

(photo Christophe Gondouin)

En 2003, est publié chez Stock en français grâce au traducteur Bernard Turle, Au-delà du silence, le roman signé André Brink, le célèbre écrivain sud-africain.

 

Au-delà du silence, en deux mots : Nous sommes au début du XXe siècle. L’Allemagne envoie dans sa lointaine colonie africaine des convois entiers de femmes. Elles doivent servir d’épouses aux soldats de l’Empire. En réalité elles suivront le sort tragique d’Hanna X, comme chair à colons. Violée, défigurée, la jeune femme organise sa révolte. Elle se place à la tête d’une armée de femmes allemandes et indigènes unies contre la brutalité coloniale.

L’intérêt du roman, en deux lignes : Le roman d’André Brink est le récit de la destruction d’une femme et de sa reconstruction par la haine et le désir de vengeance. C’est l’histoire bouleversante d’une rédemption.

Ce qu’en a dit le traducteur, Bernard Turle, en deux phrases : « C’est l’un des personnages les plus violents, les plus forts mais aussi les plus attachants à qui j’aie dû donner une voix française. Sa traversée du désert est peuplée de figures trempées comme elle dans l’airain, pétries par la tourmente, d’une humanité exemplaire ».  

Hienghène, oral austral et littéraire

 

Du 30 octobre au 4 novembre prochains, à l’orée de l’été austral, on ne parlera pas seulement des prix littéraires. Le 3e Salon International du Livre Océanien (SILO 2007, http://www.silo2007.com/) sera l’occasion, l’une des rares dans la région de créer un immense événement festif, intellectuel et populaire autour du livre.

La bibliothèque Bernheim de Nouméa l’organise pour le compte du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie autour du thème « Paroles ». Les organisteurs entendent mettre l’accent sur les performances, contes, slam. 

Il est quelquefois difficile de faire exister à terre le Pacifique Sud. Sa dimension archipélique n’est pas toujours perçue comme une chance. Et pourtant, la gravité de cette terre de la Province Nord était toute indiquée pour installer pendant quelques jours une manifestation littéraire à dimension océanienne.

Hienghène est le lieu d’un Centre culturel fondateur de la politique culturelle du pays, au prise avec la naissance de l’histoire moderne du Caillou en 1853, comme de son histoire tragique contemporaine. La mémoire locale garde le souvenir vivace du massacre de dix militants indépendantistes en 1984. Jean-Marie Tjibaou est né à Tiendanite, tribu distante de 17 km du centre communal de Hienghène. Signe de son passé meurtri, le nom même de « Hienghène » signifie dans la langue fwaî (l’une des langues kanak parlées dans cette aire coutumièe Hoot Ma Whaap) : « pleurer en marchant ».

Parmi les écrivains invités, outre les Calédoniens (Kurtovitch, Ohlen, Berger, Gope, Jacques, Barbançon), signalons un plateau de choix autour de John Maxwell Coetzee, le prix Nobel sud-africain, Albert Wendt, d’origine samoane, Marcel Meltherorong, du Vanuatu, Dany Laferrière, du Québec, les Polynésiens Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun, Flora Devatine, Chantal Spitz, et plusieurs écrivains australiens, été austral oblige.

 

 

Du désir selon Devi

Dans Indian Tango, la romancière d’origine mauricienne Ananda Devi, a voulu placer une femme devant un choix de vie radical. L’écrivain a situé la trame du roman en Inde, pays où les assignations identitaires, sociales et religieuses fixent les gens dès leur naissance, surtout les marginaux, les femmes et les filles… L’auteur nous emmène donc, nous lecteurs oisifs, dans un pays où la transgression, plus qu’ailleurs, est difficile, plus difficile qu’en Occident, plus difficle qu’à Maurice aussi, encline à l’Occident.

La transgression ? Subhadra, l’héroïne d’Ananda Devi doit choisir entre « aller à Kashi », lieu des femmes en ménopause, pélerinage synonyme du « délitement annonciateur de la mort de la femme avant sa mort », objet du désir familial et de l’ordre établi, et sortir du rang, dire son refus de cet ordre séculaire, par exemple en choisissant la pente de son désir, tout sa vie tu. 

Dans son roman précédent, Ève de ses décombres, Ananda Devi dessinait avec une savante subtilité les vies sans issue de quatre adolescents mauriciens de 17 ans, dans leur quartier périphérique, répondant au nom maudit de « Troumaron ». Livre récompensé de plusieurs prix littéraires, dont le prix RFO du livre et le prix des Cinq continents de la francophonie.

Avec Subhadra, Ananda Devi réussit à esquisser un personnage de tragédie, dont le décor est le quotidien indien, et le dilemme la possibilité d’une renaissance… 

Ce questionnement incessant fait passer tout le reste au second plan. Et pourtant « tout ce reste » n’est pas rien :

– un écrivain face à ses doutes et à la question des personnages : réalité ? ficiton ?

– des seconds rôles entiers : belle-mère archétypale, femme à tout faire, intouchable mais fière (merveilleuse « Mataji, déchet irréparable »), mari falot, fils universitaire, à la rébellion incommunicable pour sa famille ;

– réalité effrayante de l’Inde tels que les journaux la relatent ;

– sombres frictions religieuses.

Indian Tango n’a pas grand chose à voir avec le tango, beaucoup plus avec le sitar, instrument de musique avec lequel Devi joue, d’harmonies en couacs, et si peu avec l’Inde d’ailleurs… Fallait oser écrire un roman où l’héroïne semble partir à la découverte du sous-continent, alors que seule la découverte d’elle-même vaut tout…

Indian tango, roman de la transgression et de la désaliénation, réussit à nous faire oublier l’Inde, à la réduire à un décor, à nous prendre aux rets du littéraire, à l’épaisseur de ses personnages, petits ou grands, de la jeune fille acrobate à l’éphémère première Dame, Italienne de naissance, à reléguer loin « l’illusion de la grande Inde philosophale « …

Extrait Indian Tango, p. 41 :

Comment raconter l’histoire d’un dessèchement ? Quoi de plus banal, de plus abject que l’écrivain qui se raconte en prétendant croire que le lecteur n’a qu’une envie, celle de suspendre quelques heures de sa vie pour en suivre une autre dans laquelle ne se passe rien d’autre que le mortel silence du tarissement ?

Extrait Indian Tango, p. 110-111 :

Elle les fait disparaître dans ce rempart de chairs douces, dans la molesse maternelle de sa personne. Son individualité a disparu, remplacée par la représentation du vide, par l’écorce d’un arbre pourri à l’intérieur : épouse, cinquante-deux ans, mère, bientôt grand-mère, ne reste plus qu’une vieillesse à vivre. Le cheminement du couple est contraire : plus l’homme se simplifie et se débarasse de ses épaisseurs, plus la femme se concentre, se referme sur ses noeuds, devient une inconnue pour elle-même.

Prolongements :

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1. Ananda Devi cite un film de Satyajit Ray, La Maison et le monde, et la figure de son héroïne, Bimala, qui naît à la modernité, « lourde de ses apparats d’épouse, sari somptueux, gros point rouge sur le front… ». Ce film dont le DVD est semble-t-il introuvable, sera projeté le 26 septembre à 12h15, dans le cadre du festival de cinéma « Eté indien », organisé par le musée Guimet à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Inde.

2. Ce film est une adaptation du roman du prix Nobel de littérature, Rabindranath Tagore, écrit en 1905.

 

Haka de bon aloi, littérature de Samoa

Le haka devient tendance. A Paris, pendant la coupe de monde de rugby, on peut suivre des stages. C’est un exotisme bon teint. On se ferait presque tatoué. A moins que la littérature prenne le relais comme nous le souffle les éditions tahitiennes Au Vent des îles, avec la saga d’Albert Wendt, écrivain d’origine samoane, Le Baiser de la mangue.

Pour ceux qui ont pu voir le match de rugby, à Paris, entre les Samoa et l’Afrique du Sud, sûr qu’ils en garderont souvenir bien ancré. Du haka d’ouverture au dernier essai springbok, l’empoignade était de qualité, entre deux équipes dont le point commun n’est pas que le rugby, puisque à l’origine il y a le… protestantisme.

Pour l’heure, on gardera le souvenir de Samoans au maillot bleu qui n’ont pas fait démentir leur haka, même s’ils ont dû s’incliner assez logiquement contre plus forts qu’eux.

Les paroles du haka samoan, le Siva Tau, ont cependant donné le ton :

Le Manu Samoa ia manu le fai o le faiva

Ua ou sai nei ma le mea atoa

O lou malosi ua atoatoa

La e faatafa ma e soso ese

Guerriers de Samoa que votre mission réussisse

je suis prêt, complètement préparé

ma force est à son comble !

Poussez-vous, écartez-vous !

[voir le Siva Tau très guerrier, billet Papalagui du 18 septembre 2007] 

Dans son roman, Le baiser de la mangue, l’écrivain d’origine samoane Albert Wendt, cite plusieurs dizaines de proverbes de son île. On pourrait en choisir un pour illustrer l’état d’esprit de ces sportifs « guerriers » : « Tautua pei o Ta’ape », c’est-à-dire : « Servir les gens comme l’a fait Ta’ape », pour signifier « d’une manière généreuse, sans compter » (p.354).

Le baiser de la mangue La saga d’Albert Wendt (The Mango’s Kiss, 2003) a été traduite en français en 2006 par Jean-Pierre Durix pour les éditions Au Vent des îles dans la collection « Littératures du Pacifique ». Le traducteur – par ailleurs auteur d’un article très éclairant sur Derek Walcott dans l’Universalis des littératures – présente ainsi l’auteur : « Albert Wendt est l’intellectuel le plus représentatif non seulement de son pays natal, le Samoa occidental, mais de toute la région du Pacifique ».

Le Baiser de la mangue est un roman historique, dont l’histoire évolue tout au long de ses 800 pages sur cinquante années, à partir de la fin du XIXe siècle. Le lecteur prend appui sur ce livre emblématique pour comprendre le travail des missionnaires venus entreprendre la conquête des âmes, alors que l’archipel passe de la domination allemande à l’hégémonie néo-zélandaise. Un roman traversé par la figure de la double culture, Peleiupu Mautu, la fille du pasteur…

Extrait du Baiser de la mangue, p. 340 :

 » Le concept de temps avant le présent et de temps en avance sur le présent, d’un temps qui progressait de manière unidimentionnelle, était papalagi, dit-il. Pour eux, le temps était partout, il sous-tendait l’Unité-qui-est-Tout ; si l’on changeait un élément, on modifiait le tout ; tout, y compris nos morts, se trouvait dans le présent toujours mobile, existait maintenant. Ils savaient déjà qu’elle était la société, la vie idéales ; le but consistait à maintenir et à équilibrer cette unité que les ancêtres avaient créée. Le « progrès » papalagi reposait sur la conviction que tout s’améliorait à mesure que l’on avançait.  »

Cette « Unité-qui-est-Tout » rappelle étrangement un autre cycle… celui d’un autre haka, le haka maori des All Blacks, dont les paroles sont enseignées actuellement au Musée du Quai-Branly : Ka Mate ! Ka Mate ! Ka Ora ! Ka Ora ! (C’est la mort ! C’est la mort ! C’est la vie ! C’est la vie !) 

Chamoiseau et Confiant  » robertisés « , pas Condé

Signe de notoriété ? Le Robert encyclopédique des noms propres, édition 2008, réserve une entrée aux deux écrivains dits de la créolité, les Martiniquais Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, deux romanciers dont on reparlera début octobre pour leur prochain livre.

Notice Le Robert des noms propres 2008, p. 458 :

CHAMOISEAU (Patrick) • Écrivain français (Fort-de-France 1953). Ardent défenseur de la créolité, il fait dire à l’un des personnages de Chronique des sept misères (1986)  » Qu’allez-vous faire de toutes ces races qui vous habitent, ce ces deux langues qui vous écartèlent, de ce lot de sangs qui vous travaillent? « . Il s’attache dans ses oeuvres à rendre compte de la culture populaire martiniquaise, s’efforçant d’en traduire l’oralité par écrit, mêlant l’objectivité scientifique de l’analyse historique à la subjectivité du fictif romanesque. On lui doit notamment Manman Dlo contre la Fée Carabosse (1981), Solibo Magnifique (1988), Eloge de la créolité (manifeste rédigé avec Raphaël Confiant*, 1989), Texaco (prix Goncourt, 1992), Antan d’enfance (1993), Ecrire en pays dominé (1997), A bout d’enfance (2005).

[curieux cet oubli de son roman majuscule Biblique des derniers gestes, publié en 2003 par Gallimard que Le Robert nous a assuré de réparer lors d’une prochaine édition].

Notice Le Robert des noms propres 2008, p. 546 :

CONFIANT (Raphaël) • Écrivain français (Le Lorrain, 1951). Après quelques oeuvres en créole comme la nouvelle Jik Dèyè do Bondyé (1979), le poème Jou Baré (1981) ou les romans Bitako-a (1985), Marirosé (1987), il choisit le français et, dans une écriture iconoclaste et passionnée, écrivit Le Nègre et l’Amiral (1988), Eau de café (1991), Bassin des ouragans (1994), Nuée ardente (2002) ainsi qu’un livre-hommage à Aimé Césaire : Aimé Césaire, une tragédie paradoxale du siècle (1993). Il est le grand défenseur de la créolité avec Jean Bernabé et Patrick Chamoiseau*.

[ » livre-hommage  » est une expression, en l’occurence, pour le moins approximative].

Mais cette notoriété lexicographique ne s’accompagne pas curieusement d’un article  » créolité  » dans le Nouveau Petit Robert de la langue française 2008 (mais  » créolisation  » dispose d’une entrée). Quant à Maryse Condé, elle devra attendre son entrée au Robert, contrairement au Petit Larousse illustré qui l’a intégrée dans l’édition 2005. Comme Chamoiseau et Confiant entrés dans le Larousse en 2004, Glissant étant entré en 1998, Césaire en 1976.

Notice du Larousse 2008,  » Maryse Condé « , p. 1244 :

CONDÉ (Maryse), Pointe-à-Pitre 1937, femme de lettres française. Dans le courant de la  » négritude « , elle s’efforce de rapprocher la culture antillaise de ses origines africaines, évoquant dans ses romans le présent (Heramakhonon, 1976) et le passé (Ségou,  2 vol., 1984-1985) du continent noir.

[notice passablement datée, comme si l’auteur n’avait pas écrit depuis 1985 !]

Papalagui (le blog) a un an !

Papalagui(le blog) fête son 1er anniversaire. Un bilan chiffré nous apprend que, depuis le 20 août 2006, vous avez consulté (vu ? lu ? appris par cœur ? reproduit ? affiché dans votre case ?) 5 000 pages tout rond…

 Rappelons pour ceux qui prendraient le film en cours de route, que Papalagui est un blog de littérature monde (osons le monde), de littérature ultrapériphérique (soyons ultra !). Le mot a été emprunté à Erich Scheurmann, auteur dans les années 1920 d’un récit de voyage « à l’envers », celui d’un chef samoan venu rendre visite aux Européens (Dominique Roudière, traductrice, Présence Image 2001, Pocket éditeurs 2004). La question de l’Autre et de l’étranger est donc au centre de ce livre qui décrit les travers des  » Papalaguis « . La question du récit et de la parole aussi. Qui parle ? Qui écrit ? Qui raconte ? Quelle est sa vision du monde ? Quel est son regard porté sur l’Autre ? Donc sur lui-même…

Comme l’analyse Valérie Martin-Pérez, Papalagui (le livre) est une fiction déguisée en récit de voyage. 

[http://www.serieslitteraires.org/publication/article.php3?id_article=591]

 » Ces propos, que l’on prête à un habitant des mers du Sud, ont bien pour vocation de faire réfléchir les lecteurs européens de notre époque moderne, sans doute un peu à la façon des Lettres Persanes au XVIIIème siècle. Le miroir est plus efficace quand il est teinté d’exotisme, et il est aisé de remettre ainsi en cause des comportements qui sont, sommes toutes bien relatifs. »

Papalagui (le blog) aime faire bouger les lignes (les mises en ligne de l’Internet comme les lignes de démarcations entre les diverses assignations). Reprenons la belle formule d’Abourahman A. Waberi, qui veut « déjouer les attendus » [voir note du 30 mai 2007].

 

En matière de  » littérature monde « ,les lignes à bouger sont les frontières qui délimitent symboliquement les centres et les périphéries… A l’ère d’Internet, l’apparente porosité des lignes n’est pas la panacée à la  » lecture monde « . Le départ récent de Maryse Condé de sa Guadeloupe natale montre qu’en littérature aussi  » nul n’est prophète dans son pays « … et que les auteurs vivent douloureusement leur position d’intellectuels ultrapériphériques.

Victoire, les saveurs et les mots

Comme l’écrit Ananda Devi dans son dernier roman, Indian Tango,que publie Gallimard ce 30 août (c’est son héroïne qui s’exprime) :  » Il est clair que je vis toujours dans l’illusion du lecteur extérieur, ce  » tu  » irréel : il m’est impossible de n’écrire que pour moi. Mon récit ne peut se faire sans échos, sans résonance. Comme j’ai besoin de cet invisible autre ! « (p. 61). C’est un roman traversé de part en part (y compris au sein même de la narratrice) par la question de l’Autre, de l’étranger. Nous y reviendrons.

Final de compte, si les mots nous manquent, allons voir du côté de Kara Walker, artiste américaine que le Musée d’art moderne de la Ville de Paris expose jusqu’au 9 septembre (Mon Ennemi, Mon Frère, Mon Bourreau, Mon Amour).Très belle expo, dérangeante derrière l’apparente simplicité de ces panoramas en noir et blanc représentant des fantasmes, clichés, représentations historiques du racisme en Afro-Amérique…

« Dès qu’on commence à raconter l’histoire du racisme, explique Kara Walker,on la revit, on crée un monstre qui nous dévore. Mais aussi longtemps qu’il y aura un Darfour, aussi longtemps que quelqu’un dira  » tu n’e pas d’ici « , il semble pertinent de continuer à explorer le terrain du racisme. » 

Haka, tatouages et Kiwis

Yeux exhorbités, souffle puissant, posture belliqueuse, un groupe d’hommes (tatoués mais non armés) entonne un chant guerrier et intimidant, défi à un adversaire muet. Comme France 2 avait sous-titré les paroles, on était prévenu. Et pourtant ! Le haka des All Blacks a préfiguré une victoire écrasante sur une équipe de France : 47 à 3.  

Le haka est une danse maorie créée au XIXe siècle. C’est en 1987 seulement que l’équipe néo-zélandaise de rugby l’a fait sienne. Une équipe composée de blancs et de polynésiens. Un beau symbole où deux rituels se suivent, l’un culturel, l’autre sportif. Pour répondre au haka, il faut être Tongien, Samoan ou Fidjien. Ainsi sur ce site, un enregistrement présente deux haka face à face, mais à la fin ce sont toujours les mêmes qui gagnent !  http://media2.koreus.com/00040/200508/haka-all-blacks-vs-tonga.mpg

belles-etrangeres.jpg A partir de ce 13 décembre 2006, onze écrivains kiwis seront invités en France dans le cadre des Belles étrangères pour lire et présenter leurs oeuvres. On ne sait pas si les lectures seront précédées d’un haka. La littérature antipode pourrait cependant nous réserver quelques surprises si l’on en juge par l’excellent documentaire réalisé par Michaël Smith Ecrire au pays du long nuage blanc. 

Ainsi l’auteur de L’Ame des guerriers (Actes Sud), Alan Duff, dénonce l’idéologie d’un enseignement fondé sur la seule tradition au détriment de l’accès au livre dans les classes populaires. Il insiste pour rappeler que ses ancêtres maoris « engraissaient leurs esclaves avant de les manger ».  Geoff Cush, lui, souligne que « tout Maori se doit de montrer une illustration d’un ancêtre cannibale ». Mais d’autres témoignages d’écrivains (Sia Figel ou Albert Wendt, notamment) valent le détour…

Si tant de violence effraie, il nous restera Le Clézio qui, de retour de Mélanésie, publie un récit sur l’île de Pentecôte (Vanuatu), que les tours-operateurs ont rendu célèbre pour son saut du Gaul… « On dit de l’Afrique qu’elle est le continent oublié. L’Océanie c’est le continent invisible. Invisible parce que l’les voyageurs qui s’y sont aventurés la première fois ne l’ont pas aperçue, et parce qu’aujourd’hui elle reste un lieu sans reconnaissance internationale, un passage, une absence en quelque sorte. », écrit Jean-Marie Gustave Le Clézio en préambule de Raga, approche du continent invisible (Le Seuil).

Périphérie ou dissémination ?

A l’occasion de la Biennale d’art contemporain de Lyon « Partage d’exostismes », Jean-Hubert Martin était intérrogé par Carole Boulbès pour la revue Rue Descartes sur « L’hybridation culturelle ».

Notons la question sur le rapport Centre / Périphérie :

Pensez-vous que l’on peut parler d’un monde occidental et d’un monde « périphérique » (comme le faisait Bourriaud et Restany dans le numéro de Beaux-Arts sur « l’art dans le monde » en 1999-2000) ?

La dichotomie « centre-périphérie » utilisée depuis fort longtemps dans le discours sur l’universalité de l’art illustre parfaitement cette perspective ethnocentrique. Il faudrait aujourd’hui substituer la notion de dissémination. Il ne s’agit pas pour autant de produire un de ces discours désincarnés à la troisième personne qui représenterait une autorité planétaire. L’art doit être analysé en termes de flux et de relations à l’échelle de la planète, en partant d’un point de vue identifié.