Outre-mer, des livres en fête

Malgré la déferlante de la rentrée littéraire nationale, la littérature d’outre-mer version 2007-2008 a de quoi pavoiser, petit ou grand le pavois, c’est selon.

D’abord, il y a eu l’ondoiement et son frisson, venu de l’océan Indien, avec les deux romancières franco-mauriciennes, Nathacha Appanah (Le Dernier frère, L’Olivier) et Ananda Devi (Indian Tango, Gallimard). Toutes deux ont pris place dans les premières listes des grands prix.

D’outre-mer, arrive en ce moment la deuxième vague. Elle coïncide en partie avec Lire en fête (19 au 21/10), et ses déclinaisons spécifiques, le salon du livre de l’outre-mer, de la Plume noire, et un nouveau rendez-vous, Banlieue’plum.

Début septembre, Ananda Devi réussit à faire de l’Inde un presque banal décor, où se débattent les encastés de tout type (femme, voyageuse, écrivain, étudiant, religieux, intouchable).

Nathacha Appanah a quitté la collection Continents noirs de Gallimard pour rejoindre L’Olivier. Prix RFO du livre pour Les Rochers de Poudre d’Or, elle remporte avec Le Dernier frère l’un des grand prix de la rentrée, le prix du roman FNAC, l’un des prix de libraires et de lecteurs. Son roman évoque une Recherche (du temps perdu) pour la réminiscence insulaire. En même temps, et avec moins d’écho, le spécialiste de Proust, auteur de la saga en quatre parties-romans L’œuvre des mers, le Saint-Pierrais Eugène Nicole publie Alaska (toujours chez L’Olivier).

 

La vague de fond, ce sont les  » gran grek  » (intellectuels en créole martiniquais), très présents en cet automne littéraire. Ensemble, Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau ont trouvé un accueil dynamique chez les éditions Galaade, avec Quand les murs tombent, sous-titré L’identité nationale hors-la-loi ?, pamphlet contre le ministère de l’immigration et de l’identité nationale. Un texte d’intervention diffusé à 10 000 exemplaires. Il va au-delà de l’actuel débat pour/contre l’ADN (cf. le rassemblement de ce dimanche au Zénith de Paris) pour questionner l’identité.

Séparément, l’un comme l’autre publie une fiction, qui à au moins deux points communs avec Les Murs : l’identité-relation et… la beauté. Chamoiseau avec Un dimanche au cachot (Gallimard) nous donne un livre magnifique de densité littéraire et de portée historique. On attend le tout dernier Glissant pour la fin du mois : La terre magnétique : les errances de Rapa Nui, l’île de Pâques (Le Seuil, collection peuples de l’eau). Une démarche qui avait inspiré pour la même collection Le Clézio l’an dernier avec Raga, approche du continent invisible, mais situé non à Rapa Nui mais au Vanuatu.

Quant à Raphaël Confiant, que l’on avait laissé se débattant dans la presse avec les affres de ses propos sur les  » Innommables  » [c’est-à-proprement-dire : les Juifs], il revient avec deux livres. Un roman, chapitre géant de sa Comédie créole : Case à Chine (éd. Mercure de France). Et la version papier de son Dictionnaire du créole martiniquais (Bwetamo kreyol matnik), fruit de quinze années de travail (éd. Ibis rouge).

Et le poète Monchoachi nous donne rendez-vous également pour cette rentrée.

L’exigence littéraire martiniquaise va-t-elle occulter l’alentour caraïbe, à l’instar du holp-up littéraire opéré en 2006 dans les lettres franco-africaines avec le Renaudot décerné à Mémoires de Porc-épic d’Alain Mabanckou, qui du coup laissa au second plan le reste de l’édition africaine (excepté Leonora Miano et Contours du jour qui vient chez Plon), reste qui n’est pas rien ?

Mentionnons Suzanne Dracius, L’autre qui danse (Le Rocher) et Roland Brival, L’ensauvagé (Ramsay).

A côté des gran grek martiniquais, la Guadeloupe peut compter cette année sur une nouvelle vague, représentée par Alain Foix. Cet auteur prolifique et proéiforme a publié pas moins de quatre livres en 2007. Le tout dernier associe deux de ses activités, parmi d’autres, la philosophie et la danse : Je danse donc je suis (Gallimard jeunesse, collection Giboulée).

N’oublions pas Gisèle Pineau qui prête sa plume à un ouvrage de 400 cartes postales anciennes consacrées à l’archipel (HC éditions), à paraître cette semaine : Guadeloupe d’antan : la Guadeloupe à travers la carte postale ancienne.

Et d’Haïti, nous est venu pour cette rentrée un court roman, très intimiste, de Lyonel Trouillot, L’amour avant que j’oublie (Actes Sud). Les éditions Vents d’ailleurs poursuivent l’édition de deux auteurs haïtiens de la jeune génération, Gary Victor et Kettly Mars, dont on attend impatiemment le prochain livre pour novembre….

Eloigné de l’édition nationale, le Pacifique a essayé en vain d’exister dans cette rentrée. Saluons néanmoins le travail incessant porté par d’autres vents, d’Au Vent des îles (Tahiti), marqué par deux titres : Le Roi absent, roman de Moetaï Brotherson et La Domination des femmes à Tahiti, sous-titré Des violences envers les femmes au discours du matriarcat, un essai de Patrick Clerc.

Dimanche de pluie sur la Sainte-Famille

Inépuisable le dernier Chamoiseau, livre-gouffre-sans-fond d’émotions et de mots. Le lecteur est pris au piège d’Un Dimanche au cachot (Gallimard). Dans un cachot c’est la mort, le repli, la fermeture, alors que cette littérature dévide son surplus de mots, charroie son immensité d’horizon. De ce cachot, Chamoiseau en fait une bombe à retardement littéraire. Ce cachot est un trou noir, où une énorme énergie s’effondre sur elle-même.

Avec Un Dimanche au cachot, Chamoiseau tente de raconter l’irracontable. La violence d’aujourd’hui convoque l’histoire de l’esclavage. Des vestiges d’aujourd’hui rappellent un quartier de haute sécurité de droit féodal. On ne verrait pas bien quoi en faire. Chamoiseau si. Une improbable matière littéraire ?

Argument…

 » Un dimanche de pluie, une petite chabine se réfugie sous une voûte de pierre, dans le jardin du foyer qui l’a recueillie, sur le site d’une ancienne sucrière. Terrassée par une souffrance indépassable, Caroline reste prostrée dans l’ombre, fixant l’obscur des pierres pour les déchiffrer. Pour renouer le contact avec elle, l’institution sollicite alors Patrick Chamoiseau, écrivain, Marqueur de paroles, mais surtout éducateur en matière de justice.  » 

Ce serait un roman historique ? Non, très contemporain même. Qu’on en juge : son ami Sylvain, éducateur à la Sainte Famille, dans le nord de la Martinique, appelle Chamoiseau. C’est un dimanche, jour où l’écrivain ne fait rien, ni comme éducateur, qu’il est dans le civil, ni dans les divers rôles que lui assigne la société. Non, le dimanche est informe comme informe est l’écrivain sur sa chaise d’écriture, nous dit-il.

Il se trouve qu’une de ses pensionnaires, la dénommée Caroline s’est réfugiée dans les vestiges d’un obscur cachot dont elle ne sort plus. Avec son histoire familiale où se sont succédé viols et violences, elle est dans un état d’autisme, un mot qui n’est pas écrit d’ailleurs dans ce roman où les mots sont comme cascades, étoiles filantes, nébuleuses, feux d’artifices, immenses cataractes de sens et d’émotions. On se dit qu’autour de soi les lecteurs ont dû lâcher prise, tellement on implose dans ce cachot, on se rétracte en soi, en s’immole par l’intérieur, on s’inglutit (au risque du néologisme en écho au texte d’auteur). Caroline s’implose au dedans. L’écrivain convoqué lui invente une histoire, puis l’Histoire, certes romanesque. L’Oubliée revient. Il l’a fait revivre dans cette habitation démoniaque où règne le Maître.

Caroline recluse dans une ruine, L’Oubliée son double en Histoire.

Le cachot de l’Habitation, ferme de la plantation esclavagiste, l’obscur où est recluse l’Oubliée, personnage clé de son précédent roman, Biblique des derniers gestes, publié en 2002. Biblique des derniers gestes

L’argument de Dimanche au cachot… suite :

 » Mais tandis qu’il vient au secours de l’enfant, l’éducateur devine ce qu’elle ignore : cette voûte ténébreuse n’est autre que le plus effrayant des vestiges. C’est un cachot dont les parois balisent  une ténébreuse mémoire, qui dérive loin dans les impensables de l’Histoire, dans l’intransmissible de l’esclavage, ce crime sans châtiment. Dans la beauté du lieu, sous l’éclat de la pluie, je perçois le terrible palimpseste… « 

Ce livre est inépuisable. Il nous épuise, nous simples lecteurs, simples mortels. Il nous digère, nous inclut, nous intègre en son for, là au coeur de ce trou noir où est tombée la lumière, disparue, apesantie de ses milliers de flammes.

Si Biblique était un livre à l’ambition démesurée, que sera ce Dimanche au cachot, sinon son complément en Histoire incréée, dans ce point focal, ce lieu unique, où l’histoire bouillonne, et brouillonne l’humanité tout alentour.

Prolongements :

A lire le précédent texte de Chamoiseau, la préface de La prison vue de l’intérieur (Albin Michel) où il dit la  » poésie secrète d’une curieuse entité «  ou, publié en 1994, Guyane, traces-mémoires du bagne (photos Rodolphe Hammadi), et l’analyse de Véronique Larose à ce propos : http://www.potomitan.info/atelier/pawol/prison.php.

 

 » La poésie secrète d’une curieuse entité « , car là aussi, Un Dimanche au cachot comme Les murs tombent laissent le mot de la fin à la… beauté.

Aller décaniquer… (le livre)

” La population parle un français dont elle doit être fière “, nous dit un de ses archipéliens, dans un petit livre, véritable curiosité… Comme Antonia l’a bien deviné… il s’agit de l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon… et le livre, qui pourrait être de chevet, est signé Marc Dérible, Mots et expressions de Saint-Pierre et Miquelon, édition 2006, Roger Guichot éditeur. Son contact, comme précisé en dernière page : dmarc@cheznoo.net.

Hienghène, oral austral et littéraire

 

Du 30 octobre au 4 novembre prochains, à l’orée de l’été austral, on ne parlera pas seulement des prix littéraires. Le 3e Salon International du Livre Océanien (SILO 2007, http://www.silo2007.com/) sera l’occasion, l’une des rares dans la région de créer un immense événement festif, intellectuel et populaire autour du livre.

La bibliothèque Bernheim de Nouméa l’organise pour le compte du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie autour du thème « Paroles ». Les organisteurs entendent mettre l’accent sur les performances, contes, slam. 

Il est quelquefois difficile de faire exister à terre le Pacifique Sud. Sa dimension archipélique n’est pas toujours perçue comme une chance. Et pourtant, la gravité de cette terre de la Province Nord était toute indiquée pour installer pendant quelques jours une manifestation littéraire à dimension océanienne.

Hienghène est le lieu d’un Centre culturel fondateur de la politique culturelle du pays, au prise avec la naissance de l’histoire moderne du Caillou en 1853, comme de son histoire tragique contemporaine. La mémoire locale garde le souvenir vivace du massacre de dix militants indépendantistes en 1984. Jean-Marie Tjibaou est né à Tiendanite, tribu distante de 17 km du centre communal de Hienghène. Signe de son passé meurtri, le nom même de « Hienghène » signifie dans la langue fwaî (l’une des langues kanak parlées dans cette aire coutumièe Hoot Ma Whaap) : « pleurer en marchant ».

Parmi les écrivains invités, outre les Calédoniens (Kurtovitch, Ohlen, Berger, Gope, Jacques, Barbançon), signalons un plateau de choix autour de John Maxwell Coetzee, le prix Nobel sud-africain, Albert Wendt, d’origine samoane, Marcel Meltherorong, du Vanuatu, Dany Laferrière, du Québec, les Polynésiens Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun, Flora Devatine, Chantal Spitz, et plusieurs écrivains australiens, été austral oblige.

 

 

Chamoiseau et Confiant  » robertisés « , pas Condé

Signe de notoriété ? Le Robert encyclopédique des noms propres, édition 2008, réserve une entrée aux deux écrivains dits de la créolité, les Martiniquais Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, deux romanciers dont on reparlera début octobre pour leur prochain livre.

Notice Le Robert des noms propres 2008, p. 458 :

CHAMOISEAU (Patrick) • Écrivain français (Fort-de-France 1953). Ardent défenseur de la créolité, il fait dire à l’un des personnages de Chronique des sept misères (1986)  » Qu’allez-vous faire de toutes ces races qui vous habitent, ce ces deux langues qui vous écartèlent, de ce lot de sangs qui vous travaillent? « . Il s’attache dans ses oeuvres à rendre compte de la culture populaire martiniquaise, s’efforçant d’en traduire l’oralité par écrit, mêlant l’objectivité scientifique de l’analyse historique à la subjectivité du fictif romanesque. On lui doit notamment Manman Dlo contre la Fée Carabosse (1981), Solibo Magnifique (1988), Eloge de la créolité (manifeste rédigé avec Raphaël Confiant*, 1989), Texaco (prix Goncourt, 1992), Antan d’enfance (1993), Ecrire en pays dominé (1997), A bout d’enfance (2005).

[curieux cet oubli de son roman majuscule Biblique des derniers gestes, publié en 2003 par Gallimard que Le Robert nous a assuré de réparer lors d’une prochaine édition].

Notice Le Robert des noms propres 2008, p. 546 :

CONFIANT (Raphaël) • Écrivain français (Le Lorrain, 1951). Après quelques oeuvres en créole comme la nouvelle Jik Dèyè do Bondyé (1979), le poème Jou Baré (1981) ou les romans Bitako-a (1985), Marirosé (1987), il choisit le français et, dans une écriture iconoclaste et passionnée, écrivit Le Nègre et l’Amiral (1988), Eau de café (1991), Bassin des ouragans (1994), Nuée ardente (2002) ainsi qu’un livre-hommage à Aimé Césaire : Aimé Césaire, une tragédie paradoxale du siècle (1993). Il est le grand défenseur de la créolité avec Jean Bernabé et Patrick Chamoiseau*.

[ » livre-hommage  » est une expression, en l’occurence, pour le moins approximative].

Mais cette notoriété lexicographique ne s’accompagne pas curieusement d’un article  » créolité  » dans le Nouveau Petit Robert de la langue française 2008 (mais  » créolisation  » dispose d’une entrée). Quant à Maryse Condé, elle devra attendre son entrée au Robert, contrairement au Petit Larousse illustré qui l’a intégrée dans l’édition 2005. Comme Chamoiseau et Confiant entrés dans le Larousse en 2004, Glissant étant entré en 1998, Césaire en 1976.

Notice du Larousse 2008,  » Maryse Condé « , p. 1244 :

CONDÉ (Maryse), Pointe-à-Pitre 1937, femme de lettres française. Dans le courant de la  » négritude « , elle s’efforce de rapprocher la culture antillaise de ses origines africaines, évoquant dans ses romans le présent (Heramakhonon, 1976) et le passé (Ségou,  2 vol., 1984-1985) du continent noir.

[notice passablement datée, comme si l’auteur n’avait pas écrit depuis 1985 !]

Mots réunionnais au Petit Larousse 2008

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La babouk donne-t-elle la gratelle ? se demande-t-on sur l’îlet sur un air de séga.  Ces mots du français de l’île de la Réunion sont les seuls de l’outre-mer entrés au Petit Larousse 2008, aux côtés du mérengué dominicain et des T.O.M. ultramarins. Voici les définitions qu’en donne le Larousse : 

BABOUK n.f. Araignée marron des régions tropicales vivant dans les jardins et les maisons, et prédatrice de blattes. (Genre Heteropoda ; famille des sparassidés.)

GRATELLE n.f. Avoir la gratelle : avoir des démangeaisons. [mais la  » gratte  » ou  » ciguatera  » n’est pas mentionnée, malgré sa présence massive de l’île Maurice à la Nouvelle-Calédonie].

ÎLET n.m. Hameau, petit village. [Définition qui s’ajoute au registre antillais  » petite île « , mais ne dit rien des registres haïtien ou louisianais :  » pâté de maisons « ].

SÉGA n.m. Danse très rythmée de l’océan Indien, d’origine africaine. – Musique accompagnant cette danse. [ » danse très rythmée  » est un définition un peu juste, non ? existe-til des danses peu rythmées ? A noter que  » maloya  » figurait déjà dans le Larousse, comme  » samoussa  » depuis 2006].

Remarquons aussi que  » savane  » défini dans le Larousse 2005 dans son registre antillais par  » place principale d’une ville  » (belle confusion nom commun / nom propre) a disparu de l’édition 2008… Comme quoi même le Larousse peut se tromper.

On a l’impression que les lexicographes patentés courent après les mots… Face à la concurrence d’Internet, de Wikipédia et autres ressources en ligne [blogueur et postcast font leur entrée dans l’édition 2008], l’année 2006 a été une année de recul pour les ventes de dictionnaires et encyclopédies : – 23,5% ! Du coup le Petit Larousse illustré édition 2008 propose à tout acheteur un an gratuit d’encyclopédie en ligne…

Sélection du prix RFO du livre 2007

On apprend par le blog d’Alain Mabanckou (le Verre cassé des blogs littéraires) que la sélection des romans pour le prix RFO est bouclée… Le prix sera décerné le 15 octobre, Alain Mabanckou en est l’un des jurés.

En 2006, la lauréate était Ananda Devi pour Eve de ses décombres (Gallimard).

  • Appollo et Lewis Trondheim, Ile Bourbon 1730, Delcourt, 2007 [cf. blog Papalagui du 21/01/07] ;

  • Alain Foix, Venus et Adam, Galaade, 2007 [curieux que ce blog n’en ait rien dit alors qu’il en pense du bien] ;

  • Fabienne Kanor, Humus, Gallimard, coll. Continents noirs, 2006 [cf. blog du 14/10/06] ;

  • Marcel Melthérorong, Tôghàn, Alliance française du Vanuatu, 2007 [cf. blog du 3/04/07] ;

  • Wilfried N’Sondé, Le Cœur des enfants léopards, Actes Sud, 2007 [cf. blog du 24/08/07] ;  

  • Sami Tchak, Le Paradis des chiots, Mercure de France, 2006 [cf. blog du 31/08/06 et 6/05/07].

 Julien Hourcade et Thomas Petitjean Humus  Le paradis des chiots

Sélection à laquelle on aurait volontiers ajouté le dernier opus de Lyonel Trouillot, L’Amour avant que j’oublie (Actes Sud), roman dont on parlera prochainement, comme il se doit.

Le Roi absent de Moetai Brotherson, roman inachevé de l’oraliture polynésienne

Le roi absent de Moetai Brotherson est édité par Au vent des îles (Tahiti). Il est diffusé depuis juin en Polynésie. Il sort ces jours-ci à Paris… et participera donc à la rentrée littéraire au côté de quelque 700 romans… Malgré son épaisseur (500 pages), il semble comme inachevé.

Le mot de l’éditeur : 

 » Roman du quotidien polynésien plein d’ironie, de fureur, de douleur, de tristesse et de quelques joies aussi… L’histoire d’une vie extraordinaire, celle de Moanam — de Nuku Hiva (Marquises) à Papeete en passant par Huahine et Paris — qui passe du choc culturel à la réussite sociale et, de là, au pire des déclassements. Médusé le lecteur suit le personnage — un muet surdoué d’une vallée marquisienne — le long d’un récit tissé de drames : de la mort de la mère à l’accident mythique du père et au meurtre de la fiancée. Ces 500 pages très romanesques décrivent le quotidien avec trivialité mais aussi avec onirisme —rêves ou cauchemars, faille peuplée de messages mystérieux venus d’un autre temps, de chamans et d’une malédiction vieille de plusieurs générations lancée à travers le temps et les continents…
Moetai Brotherson se définit comme conteur. Il aime inscrire les histoires dans l’Histoire, et tresser les fils du réel à ceux des légendes. Enfant de Huahine (archipel des îles Sous-le-Vent), il écrit depuis l’âge de quatorze ans.
Passionné par son pays et sa culture, il part pourtant s’installer et travailler à New York. Là, il vivra directement les événements du 11 septembre 2001 qui le feront revenir au fenua [pays]. Paradoxalement, il écrit par amour de l’oralité, considérant que le livre n’est que la partition d’une mélodie que chaque lecteur est libre d’interpréter. »

 

Un extrait (p.95) :

Ce matin ma mère me tend des feuilles, un encrier et une plume. Mon tour est venu. Je connais bien les signes maintenant et comme pour elle, les oiseaux du large son mes yeux au-delà de moi. Au soir de mon récit j’ai vu mourir ma grand-mère et ma mère. L’ancienne eut la force de s’arracher elle-même les yeux vant sa mort, la précipitant du même coup. Ma mère n’eut pas ce courage et il m’incomba la lourde tâche de le faire. Qu’en sera-t-il pour moi ? Je ne sais pas.

Un extrait (p.301) :

Je me suis lancé dans la construction d’un marae. Les souvenirs d’Henri et John, les rires, les discussions, tout ça me donnait de l’energie. Ici, la technique était différente : je construisais un marae de montagne. Mes souvenirs du marae Ofata, sur les auteurs de Maeva étaient troubles. Mais ici, personne ne m’en voudrait si telle pierre levée n’était pas à la bonne place. Après tout, il s’agissait plus de disposer d’un autel, sur lequel je pourrais faire des sacrifices pour remercier les dieux de m’avoir guidé jusqu’ici. 

La critique : 

La lecture du roman de Moetai Brotherson est à la fois éprouvante et enrichissante.

Eprouvante, car le lecteur souffre à lire ces 500 pages. C’est trop ! Raconter la vie de Vaki, surdoué des échecs, étudiant d’une grande école de l’aéronautique, aussi à l’aise avec les chiffres qu’il est trourmenté devant la gente féminine, est une noble ambition. Mais sa vie chaotique devient narration tourmentée. Formules creuses, fades ou naïves, accompagnent une intrigue échevelée.

Ce roman est à deux voix. Celle du narrateur dans la vie réelle. Le roi absent est-il une forme d’autobiographie d’un auteur que l’on ne connait pas, directeur des Télécommunications dans son pays, la Polynésie ? La seconde voix est celle d’une petite voix intérieure, celle d’une femme écoutée quand Vaki est dans un état second, conte provoqué par l’absorbtion de champignons hallucinogènes…

Mais le procédé est systématique : il lui faut absorber ces champignons, quelquefois d’autres substances et le récit onirique survient. Roman du double donc, entre réalité et délire. Cette seconde voix pourrait nous enchanter. Hélas, on se perd dans la quête de ce roi absent… Le recours au glossaire en fin de volume, l’abondance de détails au détriment des épreuves sensées traverser la vie du héros, l’abondance de personnages sans lien apparent ou clairement identifié, autant d’épreuves… pour le lecteur.

Malgré ces réserves de fond et de forme, la lecture est enrichissante. Jolie contradiction ? Sans doute l’absence même de roman polynésien sur la scène éditoriale internationale (et ce n’est pas faire injure aux quelques tentatives contemporaines que de le constater) rend nécessaire ce type de roman. Après tout, il est bon de ne pas laisser aux seuls Gauguin ou Loti une certaine façon d’enchanter les  » mers du sud « .

L’écriture de Moetai Brotherson réussit néanmoins à maintenir un suspense sur la vie chaotique de cet enfant des Marquises. Après tout, Vaki est aussi le révélateur de la société qui l’entoure, soucieuse de héros qui réussissent à l’école et dans leur vie professionnelle. Une société qui abandonne aussi vite les héros qu’elle a créés quand ils ne marchent pas dans le droit chemin.  

Prolongements théoriques :

Dans la forme encore… L’écriture de Brotherson nous fait penser à l’oraliture créole, où l’oral vient s’imposer comme contre-culture dans le système littéraire, que ce soit sous forme enrichie en apparents régionalismes désuets chez Confiant (désuetude très moderne en réalité) ou sous la forme d’un récit total chez Chamoiseau (lire Biblique des derniers gestes) ou encore sous l’emprise de la spirale de la parole centrifuge de Frankétienne. Mais chez Moetai Brotherson l’oral et l’écrit semblent cohabiter douloureusement… Son roman Le roi absent devrait permettre d’alimenter les études sur l’oralité dans le monde littéraire…

Le contexte éditorial :

Au Vent des îles est un éditeur au catalogue impressionnant. Sa politique de traduction des auteurs anglophones du Pacifique l’a fait participer en 2006 aux Belles étrangères consacrées à la Nouvelle-Zélande. C’est l’éditeur français de l’écrivain kiwi d’origine samoane Albert Wendt, Le Baiser de la mangue (traduction Jean-Pierre Durix). Le baiser de la mangue

Avant la France, Liverpool inaugure un Musée international de l’esclavage

Les faits : 

Liverpool inaugure aujourd’hui le Musée international de l’esclavage dans le cadre des festivités organisées pour le  » Bicentenaire de l’abolition de la traite négrière dans l’ancien Empire britannique et pour la Révolution haïtienne.  » C’est le premier musée permanent dédié à la traite transatlantique. Le musée fera partie de l’enceinte du Musée maritime de Merseyside sur le Albert Dock. La Grande-Bretagne est donc bien en avance sur la France…

Le contexte muséographique : 

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Liverpool s’était déjà distinguée avec un lieu de référence, la Transatlantic Slavery Gallery. Inaugurée en 1994, cette galerie a mis en lumière les conséquences de la traite sur le monde moderne. Le succès de cette galerie a poussé le groupe des Musées nationaux de Liverpool à aller plus loin. Le futur musée se propose d’identifier, au travers de nouveaux espaces d’exposition, « les problèmes contemporains induits par l’esclavage et le traite négrière, cherchant par là à dépasser le caractère strictement historique et à s’intéresser aux aspects contemporains qui en découlent ».

Les thèmes des nouvelles galeries :

        Les droits de l’homme, la liberté et le sous-développement en Afrique et dans les Caraïbes ;

        les identités culturelles, le pluralisme et la discrimination raciale ;

        les contributions majeures des descendants africains en Amérique et en Europe.

Dans un futur proche, il est également question de développer l’enseignement et la recherche, principalement grâce à la création d’un institut de recherche (prévu pour 2010) et un centre de ressources ouvert au public.

A noter sur le site du Musée, l’excellent dispositif pédagogique « Slaves Stories » (récits d’esclaves) : http://www.diduknow.info/slavery/index2.html

 

Le retard français :

1. En 2001, la loi Taubira stipule dans son article 1er : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVè siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité. »Aucun de ses cinq articles ne fait mention d’un musée de l’esclavage… Seul l’article 2 spécifie : « Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l’esclavage la place conséquente qu’ils méritent. »Et l’article 4 renvoie à « un comité de personnalités qualifiées, parmi lesquelles des représentants d’associations défendant la mémoire des esclaves, [qui sera] chargé de proposer, sur l’ensemble du territoire national, des lieux et des actions qui garantissent la pérennité de la mémoire de ce crime à travers les générations. »  

2. Il faut attendre le rapport 2006, du Comité pour la mémoire de l’esclavage (présidente Maryse Condé) qui  » appelle de ses vœux la réalisation d’une exposition nationale sur l’esclavage, la traite négrière et leurs abolitions dans un musée national majeur. »

3. En 2006 encore, le président Jacques Chirac confie à l’écrivain martiniquais Edouard Glissant la présidence d’une mission de préfiguration d’un Centre national consacré à la traite et à l’esclavage. Le chef de l’Etat souligne que « la mémoire de l’esclavage doit s’incarner dans un lieu ouvert à tous les chercheurs et au public ».

4. En 2007, Edouard Glissant consacre un livre Mémoires des esclavages à la fondation d’un Centre national pour la mémoire des esclavages et de leurs abolitions (Gallimard).

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Extrait :

« S’il y a une raison de fonder un Centre national autour d’un pareil sujet, c’est-à-dire de cet esclavage-ci plus particulièrement, oui de cet esclavage-ci, africain, caraïbe, américain, transindien, européen, alors que nous savons que tous les esclavages sont également monstrueux et hors humanité, peut-être la trouvons-nous avant tout dans ceci qu’il a intéressé la plupart du monde connu à l’occident du monde, c’est-à-dire qu’il a établi un lien d’un ton nouveau entre pays et cultures, que ce lien, on a voulu le faire méconnaître, qu’il a brassé un nombre incalculable de beautés dans un nombre aussi incalculable de supplices, qu’il en est résulté la créolisation de ce grand pan du monde, créolisation aussi belle que sa démocratisation, qui a répercuté sur une partie de notre monde actuel et qui a fait que nous y sommes entrés, et qu’alors ce Centre doit être national parce que c’est là le meilleur chemin pour en démultiplier toutes les approches et toutes les résonances internationales. »

A ce jour, l’actuel gouvernement français n’a pas repris à son compte cette démarche.

Renaissance, Régénération et Ressassement par Glissant et Chamoiseau

Le cyclone Dean qui n’a pas fini de faire des dégâts -aujourd’hui en Amérique continentale- a causé la destruction des bananeraies antillaises, le premier employeur privé de Martinique et de Guadeloupe. Douze mille personnes seraient directement concernées. A la veille du voyage du Premier ministre et d’un comité d’experts pour évaluer les dégâts du cyclone Dean aux Antilles, les écrivains Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau ont adressé une lettre ouverte intitulée « Renaître, aprézan ! », aux présidents des Conseils régional et général et à tous les élus de la Martinique.

On peut lire l’intégralité sur les sites Gens de la Caraïbe : http://www.gensdelacaraibe.org/ et Potomitan : http://www.potomitan.info/matinik/aprezan.php, et dans Le Monde daté 25-26 août 2007.

 Cette lettre ouverte se termine ainsi : 

Extrait : 

 » C’est au nom de ces milliers emplois, toutes ces désespérances, qu’il faudrait oser l’aprézan décisif : penser, imaginer, se projeter, désirer un futur. Quitte à être massivement subventionnés, quitte à recevoir des tombereaux de secours bienveillants, pourquoi les affecter au seul réamorçage du cycle de la dépendance ? Pourquoi ne pas en faire le souffle d’une renaissance en les affectant à une restructuration déterminante ? Pourquoi ne pas préciser un aprézan à court, à moyen et long terme pour s’éloigner de l’agriculture pesticide pour une agriculture raisonnée, raisonnable, ouvrant à une agriculture totalement biologique ? Pourquoi ne pas définir un aprézan d’apurement des sols et de reconversion qui, en moins de vingt ans, rapprocherait la Martinique de cette fameuse globalité biologique (Martinique bleue, Martinique pure, Terre de régénération et de santé, Terre de nature et de beauté…) que nous ne cessons de proposer depuis une décennie et que d’autres auprès de nous envisagent déjà ?   1000 km2 cela peut se saisir, se ressaisir, cela peut se nettoyer, se maîtriser, se soumettre à une volonté claire, une intention globale qui nous ferait renaître et surtout naître au monde. Aprézan. »   23-02, 9 ko, 165x226Rappelons que par le passé Glissant, Chamoiseau (avec Delver et Juminer) avait voulu mobiliser pour la « Martinique, premier pays biologique du monde ».Extrait :

 » Les conditions générales des Antilles, de la Guyane et de la Caraïbe (des îles, ou des espaces facilement nettoyables, aisément transformables) font que la valeur ajoutée que nous pouvons envisager résulterait d’une production à caractère biologique, dont la demande grandit irrésistiblement sur le marché mondial. Il nous faut occuper ce créneau. C’est pourquoi, depuis quelque temps déjà, certains d’entre nous ont proposé de mettre en place, en Martinique, le projet global d’une économie centrée sur des produits biologiques diversifiés et de conquérir sur le marché mondial le label irréfutable « Martinique, pays à production biologique », ou « Martinique, premier pays biologique du monde ». Nous appelons les Guadeloupéens, les Guyanais et les Martiniquais à considérer la nécessité d’une telle orientation même si, dans chacun de ces pays, un projet de cette nature peut passer par des voies différentes, par exemple un accomplissement technologique en Guyane. « 

Ce texte, intitulé  » Manifeste pour refonder les DOM  » avait été publié dans Le Monde le 21 janvier 2000…  

Comme le temps passe, comme le temps presse…