Déploration disproportionnée

Ma libraire déplore l’effet commercial des prix littéraires, me citant l’empressement d’un client à acheter trois exemplaires de Trois femmes puissantes au lieu d’un seul accompagné de deux autres titres. Éloge de la diversité littéraire ! Déploration que je juge disproportionnée mais la bienséance et son emportement m’interdisent de lui opposer toute réserve.

Elle me recommande la lecture de David Fauquemberg, déjà remarqué par le prix Nicolas Bouvier 2007 pour Nullarbor. Un prix qui à Saint-Malo avait d’ailleurs eu un effet certain pour un premier roman. Donc ma libraire a lu son tout dernier, Mal tiempo, l’histoire d’un boxeur cubain habité par ses ancêtres Yorubas. Je pressens que je vais partager son enthousiasme.

En attendant, cet extrait de Nullarbor, p. 13 :

J’étais en Australie, au milieu de Nullarbor. Ce rêve mauvais ne me lâcherait plus. Les lances à bout de bras, le deuil et la colère — la mort rôdait à mes côtés. Monde sans prudence, où tout n’est que violence et ruine. Voilà comment j’ai tué l’homme.

Yanvalou et lecture

A l’occasion de la sortie de Yanvalou pour Charlie (Editions Actes Sud), rencontre avec Lyonel Trouillot, librairie Le Comptoir des mots , 239 rue des Pyrénées, Paris XXe, jeudi 24 septembre, 20h.

Lecture de Thérèse en mille morceaux, dont l’adapation est mise en scène au Théâtre de l’Est parisien, du 13 au 24 octobre. Lecture d’extraits de Yanvalou pour Charlie.

 
   
 

A signaler aussi dans la même librairie, une rencontre le 27 avec William Wilson.

Forte est la question de la forme

Découvert le blog de Frédéric Forte, Poète public.

Ce membre de l’Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle) est adopté par la librairie Le Comptoir des Mots (Paris 20e) pour : a) y écrire un livre de poésie et b) partager avec le lecteur potentiel ma passion pour l’édition de poésie contemporaine.

Dans sa note du jour, nous lisons :

 » J’écris dans les 99 notes préparatoires à Re- que le livre aura des pages paires et impaires, que les pages paires seront en prose et les impaires en vers. Je laisse également entendre dans plusieurs notes qu’une forme fixe sera à l’œuvre. Ce que je ne dis pas, mais qui dans mon esprit est implicite, c’est que cette forme fixe s’appliquera aux pages impaires du livre.

Mais quelle forme fixe utiliser ? « 

Papini, une Vie de Personne

J’aime les librairies aux caisses entourées de livres minuscules, de petits formats, petits prix, ou coups de coeur du libraire. La librairie l’Atelier, rue du Jourdain, Paris XXe, dont j’ai vanté les mérites à l’automne, propose en vitrine une collection éditée par FMR/Panama et dont chaque ouvrage est préfacé par José Luis Borgès.

Le Miroir qui fuit de Gioanni Pannini est un de ceux là. Le titre dit bien le fantastique de l’affaire. Passons. A côté, les libraires ont disposé un livre de 47 pages, Le Vie de personne, édité par Allia, dans une collection repérable immédiatement, à 3 euros, qui suscite l’éloge.

Ce Papini écrit tout d’abord quelques pages pour dire à un ami qu’il ne saurait lui dédié son livre, à l’incipit incisif :

Cher Vannicola,

Je n’ai aucunement l’intention de te dédier ce petit livre qui n’est en rien  » exceptionnel « . Je n’ai jamais dédié mes livres à personne [etc.]

Papini serait-il un Diogène vivant de peu ? Un vrai cynique ? Un lucide déplorable ?  Réponse, selon la notice du Larousse :

 » Écrivain italien (Florence 1881 – id. 1956). Fondateur de nombreuses revues parmi lesquelles Leonardo, Lacerba et Rinascita, au centre de la culture futuriste, c’est dans l’autobiographie (Un homme fini, 1912 ; Récits de jeunesse, 1943) et la poésie (Jours de fête, 1918 ; Pain et vin, 1926) que sa philosophie d’autodidacte visionnaire et tourmenté s’exprime avec le plus d’originalité (le Crépuscule des philosophes, 1936).  »

Plus nettement, l’Encyclopaedia Britannica, écrit de Papini :  » l’une des figures littéraires les plus iconoclastes et les plus controversées du début et du milieu de XXe siècle.  »

Dans la bibliographie, on trouve des références qui qualifient d’une part son  » expérience futuriste  » (1913-1914), d’autre part son  » odyssée intellectuelle entre Dieu et Satan « , selon le titre d’une biographie de Lovreglio Janvier.

Et pour confirmer le goût délicieusement nauséeux de l’incipit de La Vie de Personne, le héros de l’un de ses romans, Gog, semble conforme : « Elle ne te paraît pas misérable cette vie, et petit ce monde ? » Pour faire passer son ennui, Gog, homme riche et excentrique, n’hésite pas à acheter un pays, créer des temples, monter une entreprise de poésie, collectionner des géants, des sosies, des squelettes, des cœurs d‘animaux vivants…  résume Tatiana sur son blog.

Pour Le Matricule des Anges :  » Se déploie sous la plume de Papini une vision cynique, agressive et parfois paranoïaque de la réalité sociale et culturelle qui confine souvent à la prophétie. Il faut rappeler que le roman fut traduit en 1932 chez Flammarion dans une version curieusement tronquée de cinq chapitres éloquents, rétablis ici soit avant la Seconde Guerre mondiale et le rugissement industriel, boursier et  » libéral  » du dernier demi-siècle. Le chapitre  » Pédocratie  » est à ce titre éloquent : Papini y dévoile peu ou prou le jeunisme à venir, le culte de la nouveauté, la  » monétisation  » des rapports entre classes d’âge, l’obsession de la vitesse et de l’instantanéité, etc. « 

Les 47 pages de La Vie de Personne ne démentent pas le profil tourmenté de Papini.

Nul autre que lui, semble-t-il, n’aurait pu décrire avec tant de désepérance le point de vue radical d’un foetus sur sa naissance et sa trajectoire toute tendue vers la mort (p.42) :

 » L’homme naît prisonnier dans le ventre maternel ; et il en sort en pleurant, et à peine l’enfance heureuse touche-t-elle à sa fin qu’il redevient prisonnier des lois et des jugements de ses compagnons de servitude ; seul le génie reconquiert au prix du sang et des larmes une douloureuse arrhe de liberté -et à la fin la Mort, qui emprisonne de nouveau le corps entre quatre planches, nous promet l’évasion définitive dans le néant. Chacun de nos efforts, chacune de nos peines réussit à passer d’une cellule à une autre, et c’est dans ces passages que nous respirons assez de ciels pour supporter les hivers infinis de la solitide sans porte de sortie.  »

A la suite de Pierre Bayard, pensant à l’extrême lucidité de Cioran, voire à son nihilisme ontologique, on pourrait évoquer à l’aune de son dernier essai, aux éditions de Minuit, un  » plagiat par anticipation « .

Encore cet extrait sur la vertu du silence (p.14) :  » Le parler au moyen de paroles avec les autres hommes n’est qu’un cas particulier – même s’il est fréquent – de notre bavardage infini.  »

On préfère cette notation :  » Le souvenir, dans le monde, est tout. Le souvenir est la poésie, le souvenir est l’histoire, le souvenir est le bonheur – spécialement le bonheur.  »

[pour la photo de couverture cf. le site de Richard Vantielcke]

Nouvelle-Calédonie, palmarès 2008


BD :

Il est une catégorie à lui tout seul… Bernard Berger. Depuis le premier tome de la Brousse en folie, en 1984, il occupe le haut de l’affiche. L’année 2008 ne rompt pas avec la tradition : son Petit Marcel illustré, édité par l’auteur, est crédité d’une vente de 3500 exemplaires par les librairies nouméennes ;

Juste après se classent les duettistes Niko et Solo, avec le tome 7 de Frimeurs des îles :  » Ménage à 4×4 « .

En documents, une révélation, imposée par les deux journalistes, Anne Pitoiset et Claudine Wéry, une biographie enquête, Mystère Dang, publiée par Le Rayon vert (1000 ex.). Nous y reviendrons en détail.

Vient ensuite, ce qui ne surprendra pas les amateurs de biodiversité, l’étude du botaniste Bernard Suprin : Les Plantes du littoral, aux éditions Photosynthèse (600 ex.) ;

puis l’ouvrage du regretté Luc Chevalier, historien disparu en 2008 : Ville du Mont-Dore, Terre de couleurs et couleurs de terre ;

Enfin, Le mystère Lapérouse, catalogue de l’exposition, Musée de la marine ; et l’essai d’Alain Picard, Ouvéa : quelle vérité ?, aux éditions Little big man.

En poésie :

Paul Wamo, J’aime les mots, livre-CD, Grain de sable/L’Herbier de feu

Et un seul roman :

Bernard de la Vega, Pour qu’un ciel flamboie, Grain de sable.

 

Enquête à Nouméa : Antoine Le Tenneur, de Télé NC, selon les chiffres déclarés par les librairies de Nouméa.

Distribution des livres : Pacific Book’in.

 » Un grand homme ne doit jamais être vétilleux en son procédé. « 

Jour J pour une librairie de quartier : Texture, sise 94 avenue Jean-Jaurès, Paris 19e. C’est plutôt bon signe. Barthes y figure en digne place avec ses Fragments d’un discours amoureux. L’une des deux libraires est d’ailleurs spécialiste des Sciences humaines, sa consœur vient du roman Gallimard…

En vitrine quelques livres de l’éditeur indépendant Finitude

Emporté par la bonne nouvelle, j’avise deux titres, comme deux promesses du destin : L’Art de la prudence de Balthasar Gracián chez Rivages poche / Petite Bibliothèque, préfacé par Jean-Claude Masson, et Le guide du chasseur de nuages, signé Gavin Pretor-Pinney en Points, collection Sciences.

Dans L’Art de la prudence, l’ouvrage le plus célèbre du jésuite espagnol du XVIIe siècle, trois cents préceptes entendent guider tout gentilhomme en quête de monde et de ses mondanités. Ouvert au hasard, la 88e mise en garde, intitulée merveilleusement  » S’étudier à avoir les manières sublimes « , commence ainsi :

Un grand homme ne doit jamais être vétilleux en son procédé. Il ne faut jamais éplucher les choses, surtout celles qui ne sont guère agréables ; car, bien qu’il soit utile de tout remarquer en passant, il n’en est pas de même de vouloir expressément tout approfondir…

Une lecture propice (traduction en français : Judith Coppel-Grozdanovitch) à nous aiguiller vers le second essai qui s’ouvre par  » Le Manifeste de la Cloud Appreciation Society « , association mondiale d’observateurs de nuages, dont la morale explicite recommande :

Lève les yeux, émerveille-toi de l’éphémère beauté, et vis ta vie la tête dans les nuages.

Par ce jour de grand vent, la librairie Texture avait donc de quoi nous séduire…