Le gendarme Citron, mort d’un grand témoin. Réaction de Gilles Dagneau, réalisateur

Robert Citron est mort à l’âge de 88 ans, samedi à l’hôpital de Fontainebleau (banlieue Sud de Paris), des suites d’une longue maladie, quelques mois à peine après la sortie du film réalisé par Gilles Dagneau, Le gendarme Citron. J’avais écrit ici tout l’intérêt du documentaire et toute la portée symbolique, sociale et culturelle qu’il conférait à la vie et à la démarche de ce gendarme atypique.

Il sera incinéré mardi et ses obsèques auront lieu dans son village natal de La Petite-Marche, en Auvergne, dans le courant de la semaine.

Jusqu’alors seul Georges Pisier lui avait consacré quelques lignes dans son livre Kounié ou l’ile des pins, publié en 1978 par la Société d’études historiques de Nouvelle-Calédonie.

Pour le dire en une formule lapidaire : Citron avait consacré sa vie de gendarme en Nouvelle-Calédonie, pendant deux fois quatre ans, à filmer les gens, précisément les Kanak, dans leurs activités quotidiennes et coutumières. Ce Jean Rouch du Pacifique était jusqu’au film de Gilles Dagneau ignoré.

 » Depuis, toutes les communautés et tous les âges l’ont vu « , nous dit le réalisateur.

Réagissant à sa mort, Gilles Dagneau dit combien  » Robert Citron était un bonhomme épatant. Après le tournage, il était retombé malade, mais on gardait le contact.

Quand as-tu pris connaissance de son travail ?

J’en avais entendu parler en 1990. Mais c’est seulement en juin 2006, qu’avec Emmanuel Kasarherou [directeur du Centre culturel Tjibaou], lorsque Citron cède ses archives au Centre, que nous décidons d’exploiter ses images pour en faire un documentaire pour le plus grand nombre.

Un mois plus tard, Citron tombe malade. C’était la grande canicule de juillet 2006. Pendant un an, j’ai abandonné l’idée de faire un film avec lui. En fin de compte, je m’aperçois que sans lui le film aurait perdu beaucoup de force.

Pendant le tournage, en novembre 2007 à Nouméa, sa fille Catherine m’envoie un mail qui m’annonce que son père voulait bien me recevoir.

Le projet de film le stimulait. Il voulait savoir si ce qu’il avait fait  » avait un intérêt, oui ou non ? «  Or les archives au Centre culturel sont utiles pour les chercheurs essentiellement, qui se comptent sur les doigts de la main.

Avec Citron et ses films, il y a tout, le personnage, ses thèmes de prédilection, l’île des Pins, etc.

Comment s’est passée votre rencontre avec Robert Citron ?

Avec Pierre Vachet [JRI-cameraman], nous l’avons croisé pour un premier tournage, il y a un an. Il avait retrouvé la parole, alors que jusqu’alors sa maladie l’avait rendu aphasique. Mais il était fatigué ; au bout de deux heures, il a dû regagner sa chambre. Nous avons eu deux séances d’enregistrement. Puis nous l’avons rencontré une dernière fois pour lui montrer les témoignages des personnes qui l’avaient rencontré à l’époque. [Ce final est sidérant d’émotion : on y voit ceux qui lui rendent hommage pour le regard et l’écoute que Citron portaient sur eux, c’est comme le retour d’un partage plein d’humanité profonde].

Citron n’a pas pu venir à la projection en avant-première, mais sa fille m’a dit que depuis il le regardait tous les jours !

Quel a été l’impact du film en Nouvelle-Calédonie ?

Un impact incroyable, si je puis me permettre. Même le film Tjibaou, le pardon n’a pas eu un tel impact. Le gendarme Citron a intéressé toutes les communautés, tous les âges, il parle à tout le monde, chacun s’y retrouve. Emmanuel Kasarherou m’a confié qu’il ne peut pas croiser quelqu’un qui ne lui demande pas un DVD [disponible fin 2009].

Avec ce film, j’ai eu le sentiment que tu redonnais du sens au regard d’un grand témoin…

Comme réalisateur, j’ai souvent le sentiment de voler beaucoup de choses. Mais là, j’ai donné quelque chose en retour. Si on m’avait dit que je ferais un film sur un gendarme, j’aurais rigolé. On a trop tendance a cataloguer les gens, à leur donner une étiquette. Mais il y a des individus dont le rôle a été, est, plus important que d’autres, des politiques par exemple, dont on parle tout le temps.

Certains individus, si on ne fait pas de film sur eux, ils ne sont pas dans l’Histoire.

Césaire, ce grand cri nègre

Aimé Césaire, 94 ans, est mort jeudi matin au CHU de Fort-de-France (Martinique), où il était hospitalisé depuis le 9 avril.

Ses obsèques nationales auront lieu dimanche 20 avril en Martinique. Le président français Nicolas Sarkozy devrait faire le déplacement, a annoncé l’Elysée. D’ici là, trois jours d’hommage au chantre de la  » négritude  » doivent avoir lieu.

Les autorités de Fort-de-France envisagent que le cortège transportant sa dépouille emprunte les différents quartiers de la ville, dont il a été le maire entre 1945 et 2001, dès vendredi. La population de l’île devrait aussi lui rendre un hommage au stade de Dillon, à Fort-de-France, avant la cérémonie d’obsèques nationales. L’Assemblée nationale devait observer, jeudi, une minute de silence à sa mémoire.

Aimé Césaire est né en 1913 sur un versant de la Montagne Pelée, dont l’éruption cataclysmique du début du siècle est dans toutes les mémoires martiniquaises. Le poète se disait volontiers  » péléen « , autrement dit  » éruptif « . Césaire donne sens au mot en le prenant dans son origine volcanique, dans sa gravité géologique, c’est-à-dire terrienne, mais aussi magmatique, pesante par ses blocs d’incandescence, attirée vers la profondeur mais aussi vers le ciel dans sa dimension explosive.

Césaire dit un mot et le siècle prend sens

Négritude est le mot. Il l’écrit pour la première fois dans la revue L’Etudiant noir, en 1934, en plein Paris. Il est étudiant à l’Ecole normale supérieure, quatre ans avant la dernière grande exposition coloniale, où culmine et s’abîme le voyeurisme pour des indigènes encagés.

 » Négritude  » dit la conscience d’être noir, la conscience d’être un Noir, la conscience d’être un homme, la conscience d’être une souffrance :  » Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. « , écrit Césaire dans Cahier d’un retour au pays natal, manifeste poétique des étudiants Césaire, Senghor, Damas.

Son Cahier prend source au volcan péléen :

Ô lumière amicale

ô fraîche source de la lumière

ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole

ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité

ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel

mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre

gibbosité d’autant plus bienfaisante que la terre déserte

davantage la terre

silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus terre

ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour

ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre

ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale

elle plonge dans la chair rouge du sol

elle plonge dans la chair ardente du ciel

elle troue l’accablement opaque de sa droite patience.

Eia pour le Kaïlcédrat royal ! Eia pour ceux qui n’ont jamais rien inventé

pour ceux qui n’ont jamais rien exploré

pour ceux qui n’ont jamais rien dompté

mais ils s’abandonnent, saisis, à l’essence de toute chose

ignorants des surfaces mais saisis par le mouvement de toute chose

insoucieux de dompter, mais jouant le jeu du monde

véritablement les fils aînés du monde

poreux à tous les souffles du monde

aire fraternelle de tous les souffles du monde

lit sans drain de toutes les eaux du monde étincelle du feu sacré du monde

chair de la chair du monde palpitant du mouvement même du monde !

La Seconde Guerre mondiale est un autre cataclysme qui s’exprime en Martinique aussi par un régime vichyste. La poésie de Césaire endosse les arcanes du surréalisme et se protège ainsi de toute censure. Lors d’un passage dans l’île, André Breton le découvre dans la revue Tropiques, qu’il vient de créer :  » La parole d’Aimé Césaire, belle comme l’oxygène naissant.  » Césaire fait de la poésie surréaliste ses Armes miraculeuses, titre d’un recueil publié en 1946…

1946, année de la loi de départementalisation, qui transforme le statut des colonies d’Amérique et de la Réunion, en Départements d’outre-mer (DOM). Le poète est engagé en politique… pour une carrière de maire pendant 56 ans, de député pendant 48 ans.

Autre mot que Césaire crie en lui donnant sens et portée universelle : colonisation. Nous sommes en 1950. Plus d’un demi-siècle après, son Discours sur le colonialisme reste avec le Cahier son livre le plus diffusé et le plus traduit :

 » Aucun contact humain, mais des rapports de domination, et de soumission qui transforment (…) l’homme indigène en instrument de production. À mon tour de poser une équation. Colonisation = Chosification. « 

En 2008, Le Petit Robert rajoute cette citation (colonisation = chosification) à une définition controversée de la colonisation.

Avec les années 60, la parole de Césaire prend vie sur scène par ses écrits de théâtre. Avec son adaptation pour un théâtre nègre de La Tempête de Shakespeare, Césaire écrit en 1969 (Une Tempête) :

 » Je pousserai d’une telle raideur le grand cri nègre que les assises du monde en seront ébranlées.  » 

Nègre fondamental, chantre de la négritude, grand cri nègre : autant d’attributs lyriques qui accompagnent la poésie épique de Césaire.  » Ma poésie est née de mon action. «  dit-il dans un entretien au Monde. Cette poésie s’est faite plus rare et plus ramassée, plus dense sur la fin de sa vie (Configurations, Noria, 1976) :

 » Quand je me réveille et me sens tout montagne

pas besoin de chercher. On a compris.

Plus Pelée que le temps ne l’explique.

D’autres fois à me tâter tatou, je m’insiste

de toute évidence en Caravelle, étreignant

sans phare tous feux éteints et de flibuste… »

Césaire n’est pas que dans l’obscurité du magma (Moi laminaire, 1982) :

J’habite une blessure sacrée

j’habite des ancêtres imaginaires

j’habite un vouloir obscur

j’habite un long silence

j’habite une soif irrémédiable…

Chronologie

1913 : naissance le 26 juin, commune de Basse-Pointe, Martinique.

1934 : fondation du journal L’Étudiant noir par Césaire, Senghor, Birago Diop, Léon Gontran Damas. Apparition pour la première fois du terme de « Négritude ».

1934 : Admis à l’École Normale Supérieure.

1937 : mariage à une étudiante martiniquaise, Suzanne Roussi.

1939 : acte de naissance de la négritude littéraire avec la publication de Cahier d’un retour au pays natal

1945-2001 : carrière politique, maire pendant 56 ans, député pendant 48 ans.

1946 : rapporteur de la loi de départementalisation qui change le statut des colonies françaises d’Amérique et de l’Océan indien en DOM.

1947 : Création de la revue Présence africaine par Alioune Diop. Dans ce premier numéro, signent Césaire, Senghor, Gide, qui en rédige l’avant-propos, Sartre, Wright, Monod, Mounier, Camus.

1950 : Le Discours sur le colonialisme révèle aux Européens le racisme colonial, quelques années après la disparition du nazisme.

1950 : premier voyage en Haïti.

1956 : Césaire rompt avec le Parti Communiste Français après l’invasion de la Hongrie par l’URSS.

À partir de 1956, Césaire s’oriente vers le théâtre. Et les Chiens se taisaient explore les drames de la lutte de décolonisation autour du personnage du Rebelle, esclave qui tue son maître puis tombe victime de la trahison.

1958 : Césaire crée le Parti Progressiste Martiniquais (PPM), dont l’ambition est d’instaurer « un type de communisme martiniquais plus résolu et plus responsable dans la pensée et dans l’action ». Le mot d’ordre d’autonomie de la Martinique est situé au cœur du discours du PPM.

1963 : Trois pièces de théâtre. La Tragédie du Roi Christophe (1963) revient sur l’indépendance haïtienne, en mettant en scène ses contradictions. La pièce sera inscrite au répertoire de la Comédie-Française. En 1966 : Une saison au Congo met en scène la tragédie de Patrice Lumumba. En 1969 : Une tempête, inspiré de Shakespeare, explore les catégories de l’identité raciale et les schémas de l’aliénation coloniale.

2006 : le nom d’Aimé Césaire est évoqué pour le prix Nobel de la Paix. Il n’aura pas le Nobel et ne sera pas membre de l’Académie française.

2008 : admis le 9 avril au CHU de Fort-de-France pour des troubles cardiaques, Aimé Césaire meurt le 17 avril, à l’âge de 94 ans.

Comment lire Césaire

L’ACTUALITÉ : Cahier d’un retour au pays natal, le film, avec Jacques Martial (diffusion ce jeudi soir sur France Ô, samedi 19 avril sur France 3).

EN PRIORITÉ : Cahier d’un retour au pays natal ET Discours sur le colonialisme aux éditions Présence africaine.

SITE LITTÉRAIRE : Ile en île .

À ÉCOUTER : Les grandes voix du Sud, 1. Négritude et poésie (3 CD), 2. Insularité et poésie (4 CD), Frémeaux et associés, 2007.
A l’origine parus dans les années 1980, ces entretiens invitent à pénétrer dans l’intimité de la création poétique du Sud. Lectures et intermèdes musicaux.

À VOIR :
Aimé Césaire, Euzhan Palcy, Aimé Césaire : une parole pour le XXIe siècle, Max Milo, 2006, livre + un coffret de 3 DVD, Ed. bilingue frrançais-anglais. Un recueil conçu à partir des interviews menées en 1993.

POUR SA GRANDE CLARTÉ : Lilyan Kesteloot, Histoire de la littérature négro-africaine, Karthala, 2001

POÉSIE EN POCHE rééditée récemment : Césaire, Ferrements et autres poèmes, préf. Daniel Maximin, Points, 2008

PAROLES PRIVÉES :
Ari Gounongbé, Lilyan Kesteloot, Les grandes figures de la négritude, L’Harmattan, 2007

LA BIOGRAPHIE : Roger Toumson et Simonne Henry-Valmore, Aimé Césaire, le nègre inconsolé. Vents d’ailleurs, 2002

ENTRETIENS : Nègre je suis, nègre je resterai, entretiens avec Françoise Vergès. Albin Michel, 2005.

UN DÉLICE : René Hénane, Glossaire des termes rares dans l’œuvre d’Aimé Césaire, Jean-Michel Place, 2004.

UN DÉRIVÉ : Patrice Louis, A.B.C…Césaire, Césaire de A à Z, Ibis rouge, 2003

LA CRITIQUE DE L’INTÉRIEUR : Raphaël Confiant, Aimé Césaire : une traversée paradoxale du siècle, Ecriture, réed. 2006

L’INTÉGRALE : Aimé Césaire, Oeuvres complètes, Desormeaux, Fort-de-France, 1976.

Lire mieux pour vivre mieux

1. REGARDER sur France 2 , ce mardi soir, 20h50, 68, documentaire de 120′ de Patrick Rotman. Mai 68, version révolte planétaire…

2. COURIR CHEZ SON LIBRAIRE. Les bons libraires peuvent avoir pour signe distinctif des sacs sur papier kraft recyclé. Des dizaines de libraires indépendants ont adopté ces cabas proposés par l’agence graphique Entre deux. Mai 68, généreux en slogans, a mis l’imagination au pouvoir, comme en témoigne un catalogue des bons et des moins bons mots des murs. Et celui-ci, il n’est pas dans la liste ? Beau slogan, non ?

3. SE MUNIR DE LA PETITE PHILOSOPHIE DU LECTEUR de Frédérique Pernin, qui nous inciterait plutôt au  » Lire mieux pour vivre mieux « …

Déjà auteur dans la même collection  » Pause philo  » de chez Milan d’une Petite philosophie du shopping, cette professeur agrégée de philosophie nous invite à flâner, du livre au lecteur et retour, dans ce lien ténu, tissé et intime qui fait d’une lecture une expérience singulière. Elle-même tisse des liens entre des lectures, entre des expériences sans limites.

Sa pédagogie talentueuse nous déroule le long d’un abécédaire qui sait se moquer de lui-même ( » en soi une absurdité « ) une série de quelque 26 chapitres écrit avec une légèreté de bon aloi. Mieux qu’une légèreté qui dit le ton mais pas le sérieux du propos, sa démarche capitulaire lui autorise des  » regards obliques « , comme elle dit fort justement.

La philosophe tient pour sérieux ce qui se joue entre l’auteur, le livre et le lecteur. Plus qu’au livre, elle s’attache à la lecture. L’auteur convoque le monde dans sa fiction. Il combine à sa façon, selon son regard, les éléments du réel, ou plutôt du vrai.

Le bon livre maintient en état de flottaison le lecteur qui va interpréter cette vision du monde à sa façon.

La lecture est donc un double bricolage : l’auteur propose un sens, le lecteur en dispose, en rêve, s’en nourrit, en jouit à sa guise, le gâche ou le fait sien.

Petite philosophie du lecteur est un miroir tendu qui nous permet d’en ressortir avec un bon paquet d’aphorismes, bien sentis :

Cosmos :  » La lecture a ceci de particulier qu’elle est un art de création et non de représentation. Le texte exige son propre dépassement. On ne peut en rester à ce qui est donné, il faut construire un sens à partir des signes (…) Rassembler ce qui est épars, le relier pour en recueillir le sens, cela s’appelle lire (…) Dans la lecture du livre, auteur et lecteur se partagent la tâche d’être un homme : l’un fait exister du sens, l’autre le sait et alors déchiffre les signes.  »

Dictionnaire ! :  » Quand on lit un magazine, un journal, le dos d’un paquet de céréales ou un relevé de compte bancaire, on sait qu’on ne lit pas : on s’informe.  »

Fin :  » Les bibliothèques et les librairies sont d’assez bonnes approximations de l’infini.  »

Goût :  » Un bon livre serait un livre qui me nourrit…  »

Hypnose :  » L’auteur suggère, et le lecteur rêve.  »

Initiations :  » Il faut savoir courber la tête pour entrer dans un livre.  »

Jardin :  » Le labeur ne garantit pas la récolte, la lecture d’un livre ne garantit pas le savoir.  »

Ni… Ni :  » Ni pour se distraire, ni pour se cultiver : la vie est trop courte pour que l’on consacre du temps à de mauvaises lectures. Et le problème n’est pas tant de lire de mauvais livres que de mal lire.  »

 » La lecture démultiplie l’existence.  »

Oubli :  » Ce que nous enseigne la fameuse madeleine de Proust, c’est que notre vrai passé est ce qui ne passe pas, ce qui n’est pas dépassé.  »

 » Nos souvenirs de lectures sont les témoins de ce que nous fûmes, et ce que nous sommes encore, ils sont autant de marque-pages…  »

 » Bien lire c’est se lire à travers ce que nous lisons.  »

Polar :  » … présenter les faits que l’esprit n’a plus qu’à relier.  »

Rareté :  » La lecture se meurt de la confusion entre lire et consommer.  »

 » Au nom de quoi également faudrait-il rester dans l’illusion de la capacité de tous à être d’emblée des lecteurs ?  »

Subversion :  » Secret et solitaire, le lecteur est un être subversif.  »

W.-C. :  » Il y a dans la lecture l’acceptation de l’effort, voire même de l’ennui.  »

 » Le goût de chacun ne peut se former que par la recherche du meilleur et donc de la singularité. Aussi le parcours du lecteur ne peut-il être que solitaire. Le lecteur – où qu’il lise – se doit d’être, obstinément, un aristocrate.  »

et, enfin :
Bûcher :

 » La facilité avec laquelle on se décharge de l’effort de penser lorsque l’on attend du livre qu’il pense à notre place. « 

BD : des Maoris dans un zoo, des Inuits dans une vitrine

Kia Ora, parole de bienvenue en langue maori, est le titre de cette série,commencée il y a un an. Le tome 2 vient de sortir chez Vents d’Ouest. Il est signé Olivier Jouvray (dessin), Virginie Ollagnier-Jouvray (scénario), Efa (couleurs). Après  » Le départ « , voici donc  » Zoo humain « . Une bande dessinée s’attaque donc à la face cachée de la colonisation du Pacifique Sud : l’exhibition des indigènes emmenés en Europe. Vue par les yeux de la seule fillette de l’aventure, Nyree, qui accompagne ses parents, ce tome 2 ne tient pas les promesses du premier. C’est assez statique et les tensions sont comme lissées par des dialogues convenus.

L’arrivée en Angleterre démarre sous de bons auspices : les Maori présentent au Crystal Palace des spectacles de danse (qui rappellent le haka des terrains de rugby) et la population londonienne apprécie. Assez vite les représentations suivantes sont annulées sans explication.

La solution est d’expédier tout ce petit monde à Paris au Jardin d’acclimation. Les danseurs maori deviendront des bêtes curieuses à qui les visiteurs lancent des pièces de monnaie. Dès lors, cette prise de conscience fera demander au groupe de danseurs à repartir en Nouvelle-Zélande. Sauf le père de Nyree, tenté par l’appât du gain, qui avec sa famille va signer pour les Etats-Unis. C’est d’ailleurs ce dilemme qui étonne et enrichit l’intrigue. On attend avec impatience le tome 3.

Chloé Cruchaudet nous propose chez Delcourt une BD qui arrive comme en symétrie de Kia Ora : Groenland Manhattan. En 1897, l’explorateur Robert Peary regagne New York après une mission au Groenland et ramène dans ses bagages cinq Esquimaux, parmi lesquels Minik, un jeune garçon, et son père. Véritable objet de curiosité, le petit groupe est logé dans les sous-sols du Muséum d’histoire naturelle. Mais, en l’espace de quelques mois, la tuberculose a raison de ces grands hommes du Nord et seul Minik survit. Adopté par l’un des conservateurs du Muséum, il s’adapte peu à peu à sa nouvelle destinée. Mais sa vie bascule le jour où il découvre dans une vitrine du musée le squelette de son père…

On y reviendra prochainement…

Wheke, le calmar maori de Paris complètement plastiné

A défaut de frontières accueillantes, ministère des trois  » i  » oblige, la France se fait fort de bien conserver une tête naturalisée de guerrier maori au Museum de Rouen et de faire preuve de la meileure hospitalité possible pour Wheke [pronconcez Ouéké], nouveau calmar néozélandais de 6 mètres de longueur, tentacules compris, pensionnaire d’un autre Museum , celui de Paris. Après six ans de formol, le procédé de la plastination, lui a permis d’être à nouveau présentable…Wheke est donc naturalisé et plastiné, ce qui le rend doublement séduisant…

Cahier d’un non retour (Véronique Tadjo)

A Véronique Tadjo, qui a grandi en Côte d’Ivoire, Bernard Magnier demande dans Le Courrier de l’Unesco,  » Femmes entre deux rives  » (disponible gratuitement en ligne), comment elle vit la crise que traverse son pays…

 » Pendant longtemps, j’ai voyagé le cœur et l’esprit tranquilles en me disant que je pouvais rentrer chez moi quand je le souhaitais. Les choses ont changé avec la crise ivoirienne. J’ai eu l’impression que la porte s’était brusquement refermée et que je me retrouvais dehors. J’avais du mal à comprendre ce qui se passait, comment on en était arrivé là. Je me suis sentie aliénée, comme s’il fallait tout reprendre à zéro.

Je crois que l’exil commence quand il est impossible de retourner dans le pays que vous avez quitté, quand le chemin du retour devient douloureux. Mais d’une certaine façon, je pense que beaucoup d’Ivoiriens ont ressenti la même chose. L’idée d’un changement irrémédiable. Le sentiment que rien ne sera plus comme avant.  »

Outre Véronique Tadjo, on lira dans ce même numéro : Doris Lessing (prix Nobel 2007), Spôjmaï Zariâb, Michal Govrin, Kiran Desai, María Medrano.

Pour les identités frontalières (Léonora Miano)

Tels des astres éteints parce que les trois héros noirs et français de Léonora Miano sont des soleils noirs barricadés dans leur environnement, leur intra-muros, préfère écrire la romancière franco-camerounaise. Ce troisième roman se déroule en Europe. Les deux premiers prenaient l’Afrique comme décor de tragédies, de blessures de l’enfance et violences répétées.Tels des astres éteints enferme Amok, Shrapnel et Amandla dans une identité de français noirs, trois tunnels identitaires.
Ce roman sur la conscience de la couleur est écrit au rythme du jazz, sans dialogue, pour souligner l’étouffement des personnalités qui ont choisit trois voies différentes : Amok l’universalisme, Shrapnel le lien Afrique-Amériques et Amandla le nationalisme noir. 
Ce dernier personnage originaire de Guyane semble avoir les préférences de l’auteur. Elle en dégage les contradictions, la vigueur et les faiblesses. Son héroïne épouse la cause de radicaux racistes. Léonora Miano place en épigraphe de Tels des astres éteints ces quatre mots « Pour les identités frontalières. »

Le gendarme Citron, un Jean Rouch du Pacifique Sud

Alors qu’en mai 2008, le Centre Tjibaou célèbrera ses dix ans, et les Accords de Nouméa aussi, c’est un moment de grâce et d’émotion ce documentaire qui porte un nom de bande dessinée, Le gendarme Citron. Signé Gilles Dagneau, il raconte la vie d’un gendarme en Nouvelle-Calédonie au mitan du XXe siècle. C’était avant l’affaire d’Ouvéa et des gendarmes. Ce fonctionnaire a passé son temps à filmer l’Autre, c’est-à-dire les Kanak, comme Jean Rouch filma les Dogons de la falaise de Bandiagara, avec intelligence, respect et désir de comprendre. Ses vingt pellicules ont été achetées par le Centre culturel Tjibaou en 2004…

Le gendarme Citron, de Gilles Dagneau, sera diffusé sur RFO, Télé-Pays, le 28 avril, et sur France Ô le 29 avril.

Robert Citron (qui vit aujourd’hui au Sud de Paris) est né en 1920. A l’âge de 35 ans, il fait un premier séjour à l’île des Pins, connue pour son ancien bagne, son lagon turquoise, ses araucarias. En autodidacte, il commence à filmer sa famille. Puis (un gendarme aime l’ordre), il organise des courses à chevaux sur la plage qu’il filme en… 2CV, question de travelling… Il encadre des matchs de foot. Tout cela sent  » le bon temps des colonies « , une espèce de douce ingénuité où les images en couleur, muettes, semblent la décalcomanie du paradis ( » L’île la plus proche du paradis « , est d’ailleurs un slogan pour touristes utilisé pour l’île des Pins). Mais déjà Citron a un regard d’empathie avec les Kanak, dont un historien nous dit qu’ils ont acquis la pleine citoyenneté seulement en 1957 !

Après cinq ans de  » mission  » (jamais ce mot n’est prononcé dans le film), le gendarme Citron rentre en France, est muté en Guadeloupe. En 1964, il revient avec du galon à Canala, sur la côte Est de la Grande Terre. Et là, il devient Jean Rouch. Comme dans les Maîtres fous (1954), documentaire devenu un classique du film d’ethnologie, sur les pratiques rituelles d’une secte religieuse de culte Hauka dans la région du Niger. Même intelligence, même curiosité de l’Autre, même attention à une culture dont il découvre les arcanes.

A Canala, Robert Citron, qui a été agriculteur reconnaît dans ses  » administrés  » les mains de ceux qui vivent de la terre. Il faut écouter son commentaire du cycle de l’igname, le tubercule qui marque la vie et les liens du groupe. Citron est précis. C’est presque du mot à mot, avec un sens de la narration éprouvé. Il vouvoie le maître de l’igname et il ne comprend pas comment les colons peuvent le tutoyer… Citron explique pourquoi il fait durer certains plans :  » pour mieux expliquer « . Il devient le médiateur réalisateur du maire de Canala : les Kanak doivent se contenter de cultiver des parcelles de terres réduites alors que les colons ont de la surface où ils laissent paître leur bétail.

Plus extraordinaire : toute la chefferie de Canala qui passe entre les mains du guérisseur. Citron explique, plan après plan.

Essentielle, cette belle séquence où Emmanuel Kasarherou, le directeur actuel du Centre culturel Tjibaou, souligne en quoi ces images – rares –  » réactivent «  la mémoire des Anciens qui peuvent mieux raconter leurs témoignages. Autant de patrimoine oral d’une culture qui est indéxée par les chercheurs d’aujourd’hui…

Enfin, l’épilogue est très émouvant. Des habitants de Canala et de l’île des Pins s’adressent face caméra au gendarme Citron pour lui dire ce qu’ils lui doivent : un regard d’homme à homme.

Restes humains : la question de confiance et de conscience

Le musée du Quai-Branly a organisé, à Paris les 22 et 23 février 2008, un Symposium international sur la question des restes humains dans  » l’objectif de clarifier les enjeux des débats essentiels suscités par la conservation des restes humains dans les musées, ainsi que d’esquisser les procédures concrètes susceptibles de réguler les conflits d’intérêts éventuels. « 

Parmi les interventions, retenons celle de Seddon Bennington, directeur du musée Te Papa (Nouvelle-Zélande) :

 » Il y a 20 ou 30 ans, les Maori considéraient que les musées néo-zélandais leur avaient volé leur culture. Cela a changé. Le musée Te Papa est d’ailleurs dirigé par un partenariat biculturel entre Maori et non-Maori (est intervenu la veille Edward Ellison, en charge du Conseil pour la rapatriement au musée Te Papa)  . C’est une direction duelle.

En Nouvelle-Zélande, des excuses ont été faites aux Maori. C’est le mot essentiel pour une réconciliation. Le gouvernement appuie le programme de restitution. C’est une forme d’excuse illustrée par :  » Nos ancêtres doivent rentrer chez eux.  »

Te Papa reconnaît que les collections d’objets ne leur appartiennent pas. Nous sommes seulement les gardiens par le fait que les Maori nous donnent leur confiance. Te Papa est reconnu comme leader dans cette nouvelle muséologie, qui s’applique au niveau international.

Dans la médiation entre un musée détenteur d’un objet et nous, les mots  » demande  » ou  » obligation  » ne sont pas employés. C’est pour cette raison que nous ne sommes pas entrés dans le processus engagé par le Museum de Rouen [Papalagui, 23 et 28/10/07 ; 2 et 3/01/08 ]. Nous aimerions faciliter le retour des restes humains vers les gens qui y sont liés. Mais nous reconnaissons qu’il y a des cadres législatifs. Ce ne doit pas être déterminé par la loi mais pas la conscience, les sentiments, les émotions, le respect mutuel.

Te Papa se voit comme un facilitateur de voyage. Cela demande beaucoup de discussions entre institutions qui ont eu les restes depuis plus de deux cents ans. Nous sommes temporairement en charge des restes humains de ces différentes tribus. Nous sommes un élément de ce voyage. Les tribus décident de l’action responsable, comme l’ultime moment du retour. Il y a d’ailleurs différents points de vue au sein des tribus, notamment entre anciens et jeunes. Nous devons comprendre ces discussions qui relèvent de leurs prérogatives fondamentale, ce ne doit pas être déterminé par un musée.

Les musées ont un rôle à jouer dans la réconciliation post-coloniale. En Nouvelle-Zélande, la reconstruction a entraîné une forte confiance des Maori. Ce qui a eu une répercussion sur leur confiance en eux. « 

Australie : des excuses aux Aborigènes

L’annonce par le gouvernement australien de prochaines excuses aux Aborigènes est l’occasion de lire ou relire le roman d’Alexis Wright, romancière métisse da talent, qui nous confiait lors d’une interview apprécier beaucoup Patrick Chamoiseau, aparté à méditer.

A sa parution dans sa version française en 2002, l’éditeur notait à propos des Plaines de l’espoir :

 » Quelque part dans le Nord de l’Australie, une jeune Aborigène est un jour arrachée à sa mère pour, comme tant d’autres, être placée à l’orphelinat d’une mission religieuse qui se chargera de lui « blanchir » l’âme. Folle de douleur, la mère se suicide ; dès lors plane sur la mission une sorte de malédiction, symbolisée par l’inquiétante présence de corbeaux sur un arbre… Aussi visionnaire qu’engagé, Les Plaines de l’espoir est un roman total où rêve et action, fiction et témoignage s’unissent pour révéler ce qu’il en fut, aux antipodes, de dizaines de milliers d’enfants aborigènes enlevés à leurs familles dans l’espoir d’en faire des Blancs. Torrentueux et âpre, traversant les paysages hallucinogènes du bush ou la violence des mégapoles de l’Australie moderne, hanté à parts égales par l’actualité et par le mythe, Les Plaines de l’espoir dresse une stèle en mémoire d’un peuple pour que lui soit restitué le droit à l’avenir.  »

Le roman prend tout son sel au vu de la dernièr annonce du Premier ministre australien Kevin Rudd… Il ouvrira la session parlementaire, le 13 février, par un discours d’excuses à la communauté aborigène, comme il s’y était engagé avant la victoire des travaillistes fin novembre. Le Premier ministre présentera des excuses à la « génération volée », qui désigne ces milliers d’enfants autochtones retirés de force jusqu’aux années 70 à leurs familles, pour être placés dans des institutions ou des foyers européens à des fins d’assimilation, a indiqué la ministre des Affaires indigènes, Jenny Macklin. « C’est une première étape, nécessaire, pour avancer », a indiqué Mme Macklin. « Les excuses seront présentées au nom du gouvernement australien et ne veulent désigner aucun coupable parmi la génération actuelle du peuple australien ».

L’ex-Premier ministre libéral, John Howard, au pouvoir de 1996 à novembre 2007, s’était toujours opposé à une telle démarche. La population aborigène représente 455 000 personnes soit 2% de la population australienne totale. Marginalisés et défavorisés, les Aborigènes  ont une espérance de vie inférieure de 17 ans à celle d’un Australien non-aborigène.

Début janvier, Mme Macklin avait exclu que ces excuses s’accompagnent d’indemnisations financières, comme le réclament certains leaders aborigènes. Le directeur du Centre aborigène de Tamanie, Michael Mansell, avait souhaité que le gouvernement octroie un milliard de dollars australiens (780 millions dollars US) à un fonds destiné aux 13 000 aborigènes, qui ont été enlevés à leurs familles, pendant 40 années. (avec AFP)