La deuxième Rencontre internationale d’art contemporain aux Ateliers Sahm de Brazzaville vient de s’achever. Les artistes et critiques d’art étaient réunis autour du thème de l’eau. Dossier de presse de bilan sur le site des Ateliers Sahm.
Catégorie / Congo
Jacques Loubelo…
« Jacques Loubelo était un homme à part dans l’univers musical congolais. Celui dont les gens fredonnent les chansons sans connaître son visage. Artiste méconnu, il s’est éteint à Brazzaville, le 25 septembre, à l’âge de 73 ans. »
Lire l’article de Jeune Afrique.
Mots schibboleth du Congo
C’est au Congo que mon stock de mots schibboleth s’est accru sensiblement.
[Dans la Bible, « Schibboleth » est un mot utilisé par les gens de Galaad pour reconnaître ceux d’Ephraïm, qui prononçaient sibbōlet, et qu’ils égorgeaient aussitôt (Juges 12, 6). » TLF]
Dans le registre des mots tests pour coupeurs de routes, de mots « tu-dis-juste-ou-tu-passes-à-la-trappe », on connaissait le tristissime mot espagnol « perejil », en français « persil », mot de reconnaissance de la dictature Trujillo en République Dominicaine en 1937. « Perejil » contient les sons associés en r roulé et j guttural, difficiles à prononcer pour les Haïtiens immigrés, créolophones et francophones. Bilan : entre 10 000 et 20 000 Haïtiens furent victimes de massacres de masse.
À Brazzaville, sur les bords du Djoué, des schibboleth moins fatals apparemment sont la spécialité de ce militaire rencontré lors d’une patrouille, sur les rives du Djoué, affluent du Congo, dont les flots tumultueux viennent grossir les rouleaux du fleuve frontière.
L’homme au béret noir dispose de tout un arsenal de signes pour reconnaître si vous êtes d’ici ou d’en face (Kinshasa). Une hésitation, une démarche, un accent ? Parmi les plus cocasses, le recours aux belgicismes « septante » et « nonante ». Cet héritage colonial de la langue marque à coup sûr un Kinois, en possible resquille. Militaire les appelle « Zaïrois », car il y a Congolais et… Congolais.
Curieuse démonstration… car vu la force du Djoué à cet endroit quand il se jette dans le Congo, aucun risque à trouver un passe-frontière assez téméraire pour le traverser ici.
Un autre schibboleth, m’apprend Jean-Euloge, distingue les Congolais des deux bords. Inclure dans son lingala le mot français « lait » vous identifie résident de Brazza ; si vous dîtes « miliki » (de milk)… vous venez de Kin. CQFD.
Par le passé, le mot lingala « Muĝéti », qui désigne une espèce d’arbuste, était utilisé par les coupeurs de route des années de troubles (1992 et 1998) pour signe de reconnaissance des Sudistes. Les Nordistes, eux, ne passaient pas. Un jour, un groupe sudiste arrête un vieux et lui demande quel est le nom de l’arbuste qu’ils lui montrent. Tel Œdipe résolvant l’énigme du Sphinx, le vieux répond par une question : « Si tu me dis quel est le nom de ses fruits, je te donne le nom de l’arbuste. » Cette histoire de coupeurs de routes coupés dans leur élan et rendus à leur ignorance a fait le tour du Congo.
Jean-Euloge me rajoute un mot schibboleth, un mot coupeur de routes, le mot « koto » (coude, genou), qui selon les différents accents entre la capitale et Pointe-Noire révèle votre région d’origine.
Au Congo, les ciné-clubs cachent leur jeu
À Brazzaville, il se dit que les jours de grands matchs de football, exemple Barcelone-Chelsea, les habitants de la capitale ont deux certitudes : primo, ils n’auront pas d’électricité en rentrant à la maison le soir, secundo, les « ciné-clubs » feront le plein, non pas qu’ils sont des refuges pour cinéphiles, c’est même tout le contraire : au terme d’une belle collusion, les patrons des prétendus ciné-clubs achètent un service aux employés de l’électricité qui coupent l’électricité, moyennant quoi lesdits ciné-clubs, pourvus de groupes électrogènes, ont du courant, et donc la télé, et attirent un monde fou de « supporteurs » qui viennent comme moustiques à la lumière.
Le Collectif Elili [« image » en lingala] n’est pas seulement un groupe de photographes qui veut « documenter le Congo », c’est aussi une belle ambition, comme celle d’organiser des formations de six mois pour des enfants, comme en témoigne le vernissage de l’exposition rue des 3 francs à Bacongo, quartier de Brazzaville, où l’ont a pu apprécier que la vocation de l’un d’entre eux était de devenir… président de la République.
Dans la capitale congolaise, les chantiers de rue étant ouverts au tout-venant, le piéton doit souvent louvoyer entre sables, graviers et goudron encore chaud avec pour seule consolation une parole entre ouvriers au repos, de part et d’autre de la chaussée, quand l’un d’entre eux hèle un camarade pour lui raconter sa vie, ses misères où telle anecdote, comme entre deux mots de lingala, cette parole magnifique, dite en français : « Je suis couturé d’impôts. Je suis couturé d’impôts. »
Au Congo, le français n’est pas une pétaudière
Brazzaville, rond-point de l’Éléphant. Une policier de la circulation arrête une voiture. Contrôle d’identité.
– Vos papiers ? demande-t-il à la conductrice.
– Pourquoi ? Vous avez une carte professionnelle ?
– Voyez mon uniforme.
– Eh papa ! Vous devez avoir une carte professionnelle, sinon je ne vous montre pas mes papiers.
– Je vous demande vos papiers… C’est pas la cour du roi Pétault…
– Si vous ne montrez pas votre carte, je m’en vais.
– ( … ! )
– Très bien, au revoir.
Et la conductrice s’en va sans être inquiétée outre-mesure.
Comment ne pas être séduit par le cran de l’automobiliste ? Mais comment ne pas être fasciné par la culture de l’agent de la circulation et le surgissement dans cette pétaudière… d’un parler rabelaisien, le roi Pétault étant une création par l’illustre auteur en 1546 d’un personnage… extravagant et sans autorité.
Brazza côté slam féminin : « J’ai oublié de hacher mes rêves. »
Brazza slame et l’ignore superbement.
Ces slameuses sont deux amies : Aurore Boréale et Robinson Solo, réunies depuis 2008 dans le collectif Styl’oblique. L’une écrit des textes de rage, l’autre aussi. Rage de l’enfermement familial. Le slam les a accueillies quand elles étaient à la peine, rejetées par leur milieu, l’un très religieux tendance protestante, l’autre catholique et père inspirateur de sa haine. Parmi leurs dernières scènes, la soirée de Miss Congo et une volonté affichée de féminisme chez les organisateurs. Seul bémol : à 4h du matin, elles attendaient toujours d’être payées. Elles ont dû se mettre en colère pour toucher leurs 50 000 francs CFA (75 euros) pour un spectacle qui avait nécessité une semaine de travail.
Elles répètent dans la rue, les squares, au milieu des gens. Pendant la période scolaire – qui ne commence que le 1er octobre – elles jouent dans les écoles.
« Certains vivent dans les mots des autres, ils dépaysent leur rêve, le slam c’est notre lutte à nous », raconte Robinson Solo, « un nom doublement solitaire ». Elle porte un tailleur qu’elle a dessiné, look de jeune dirigeante d’entreprise, cheveu lisse. Quand elle parle, elle parle le slam comme une seconde langue : « On ne veut pas cueillir les étoiles. On est sœurs d’armes. On n’a que des mots, c’est tout ce qu’on a. »
Aurore Boréale, sœur en slam, look longues tresses et bagout de belle tenue, textotteuse effrénée, a plusieurs dizaines de textes à son actif. Beau sourire de celle qui égrène la conversation de multiples : « Il-n’y-a-pas-de-problème ». Quand elle n’écume pas les rues à la recherche d’un cyber dans le désert urbain de Brazza le dimanche, elle raconte la galère pour trouver une scène dans la capitale. Il y a bien le CCF, c’est à dire l’Institut français, qui draine quelques têtes d’affiche. Pour le reste, il n’est pas toujours aisé de se faire reconnaître comme artiste.
Ses textes rappellent les derniers poèmes de Sony Labou Tansi, et sa rage rugueuse dans la râpe des mots. C’est moins politique, plus sentimental, mais très dévastateur pour les tenants du conformisme.
Africultures a publié quelques lignes de son slam :
« Dehors la barbarie a enseveli sous son poids
Tout élan d’espoir
La vie n’est plus qu’une pénitence
Jonchée de peines intenses
Ces peines qui perdurent si bien
Lutter contre elles n’est que peines perdues… »
Elle y mêle quelquefois des mots du sango de Centrafrique, pays d’origine de sa mère, qu’elle a étonnée pour répondre à ses reproches… alors que sa mère ne lui avait jamais appris la langue. C’est en écoutant les discussions avec ses oncles que le sango avait infusé. Plusieurs années après la révolte est entière : « Nous ne sommes pas de ce monde, de cette société étriquée qui fait semblant ».
Robinson, quant à elle, fait entendre un peu de lingala ou de kituba dans ses textes en français.
« Le slam c’est notre passeport pour la liberté. », dit-elle pour finir, avec cette merveilleuse parole : « J’ai oublié de hacher mes rêves. »
Au Congo, des kits solaires
Paradoxe du Congo : des kits solaires sont disponibles pour palier les coupures intempestives de courant, certes à des prix inaccessibles pour le commun des mortels congolais (1 000 euros), mais dans les cordes d’institutions, de ministères ou autres qui paient jusqu’à 10 fois plus dans l’année pour acheter de l’essence destinée au fonctionnement de leurs générateurs d’électricité, très pollueurs.
Au Congo, les atalakus…
« Au Congo, les atalakus jouent le rôle de chauffeurs de salle pour les artistes… et monnaient parfois leurs services auprès des politiques. »
Lire l’article de Jérôme Besnault de Jeune Afrique.
Et le documentaire de Dieudo Hamadi, que le festival Cinéma du réel a présenté et primé en mars dernier. Dans ce film immergé dans une réalité inédite (en 2011, l’élection présidentielle en République démocratique du Congo), « Gaylor, pasteur sans-le-sou (comme une majorité des neuf millions d’habitants de Kinshasa) se métamorphose en atalaku, « crieur » en lingala. Il fait affaire avec le député le plus offrant dont il assure la publicité dans la rue et pour qui il déniche des musiciens qui composeront la chanson de sa campagne. »
Au Congo, une critique d’art ou une critique d’art africaniste ?
De quelle culture est-on quand on regarde un œuvre d’art ? Question magnifique pour une superbe séance aujourd’hui aux Ateliers Sahm de Brazzaville. Le thème : l’exposition Ron Mueck à la Fondation Cartier pour l’art contemporain. L’intérêt : neuf œuvres seulement, certaines monumentales, d’autres lilliputiennes, toutes hyperréalistes. Trouble garanti tant le spectateur est constamment sur la brèche, entre réel/surréel, vivant/inanimé, matériau/sujet.

Après le diaporama des reproductions des sculptures de l’artiste australien, lecture de la présentation par le commissaire de l’exposition puis visionnage du petit film (2’21) sur « La femme aux fagots » (« Woman with sticks »), commentée par le cinéaste américain David Lynch, l’artiste japonaise Erina Matsui, le photographe français Gautier Deblonde, le marchand d’art britannique Anthony d’Offay. Enfin, écoute de l’émission de critique La Dispute, de France-Culture, enregistrée le 1er mai dernier.
Dans le petit film consacré à « La femme aux fagots », les mots de l’artiste japonaise Erina Matsui déclenchent une vague de questions chez les apprentis critiques congolais et camerounais. Elle dit : « J’imagine qu’elle construit un barrage comme un castor. Je pense que c’est un castor qui s’est transformé en humaine car au Japon le raton-laveur peut se transformer en être humain. C’est ce que j’imagine. C’est l’esprit japonais. » Et l’esprit africain, qu’imagine-t-il ? se demandent les critiques de l’atelier…
Landry : « Voit-on une œuvre au prisme de notre culture ? Ou bien : quelle culture choisit-on de taire quand on regarde une œuvre ? Dois-je la regarder comme une œuvre du monde ? Dois-je avoir un postulat africaniste ? Me couper du monde ? »
Job : « Faut aller au-delà… »
Sigismond : Il faut être capable de mettre l’œuvre dans son contexte. La voir selon sa culture, ce n’est pas réducteur.
Ruth : la voir dans un contexte européen, c’est s’ouvrir ? dans un contexte africain, c’est se fermer au monde ? Que faut-il faire ?
Landry : On est dans le faux. Y a-t-il une lecture universelle ? [Je dirais « univoque »] Y a-t-il une lecture large ? [Je dirais « élargie »]. En critique, chacun peu apporter sa part.
Sigismond : Plutôt qu’une possibilité, envisageons un éventail de possibilités. Dans la critique du film de Van Gogh de la série « L’Art en question », Erwan Bomstein-Erb a sillonné plusieurs pistes pour analyser La Nuit étoilée, ce qui lui permet d’appréhender plusieurs aspects de l’œuvre. Il la contextualise. Il ne s’est pas focalisé sur des références prises dans l’histoire de l’art mais aussi en astronomie, en architecture. Nous devons avoir une culture étendue.
Ruth : Je ne veux pas que l’on confonde culture et tradition.
Job : Tu ne l’as pas enfermé dans une culture…
Ruth : Pour peindre sa Nuit étoilée, Van Gogh n’a pas fait un saut en Afrique.
Sigismond : S’il parle du « sublime dynamique » c’est qu’il a lu Kant. Toute sa culture est convoquée. Nous ne sommes pas des critiques africains. Nous sommes Critiques.
Landry : J’enferme la critique dans l’africanisme ? Maintenant, un critique peut être dans le dilemme culturel. Imaginons que le cubisme de Picasso soit revisité par des Africains.
Christian : la culture abacost…
Sigismond : je peux regarder Picasso selon le prisme africain.
Ruth : La même œuvre mais nous allons nous exprimer différemment.
Sigismond : Imaginons un critique d’art ouest-africain, qui a connu le cheval et le sabre, et un critique d’art d’Afrique centrale qui n’a pas connu ni le cheval ni le sabre, comment vont-ils décrypter Guernica ?

Nous écoutons l’émission de France-Culture, La Dispute, consacrée à Ron Mueck, enregistrée le 1er mai 2013.
Sigismond : C’est la preuve qu’un critique doit avoir une large culture, invoquer plusieurs exemples. Et chacun défend sa position.
Job : je ne suis pas d’accord avec le critique pour qui Mueck c’est le Musée Grévin. Mais c’est une bonne émission.
Landry : oui les avis sont différents, en dispute. On a le devoir d’être vrai par rapport à notre histoire et notre culture. Corinne Rondeau est cultivée par ses références mais semble profane.
Jean-Euloge : elle parle de culte, de nouveau culte pour cette procession de spectateurs qui se pressent au devant des œuvres.
Ruth : Corinne Rondeau se laisse emporter par ses sentiments.
Au Congo, figures surréalistes
Pourquoi le gardien de cette institution porte-t-il des gants en laine parfaitement cocasses ici à Brazzaville ? « Pour me protéger des moustiques. », me répond-il.
Dévoré par les mêmes moustiques (ou d’autres, difficile à dire), l’ami Landry, au verbe facile, trouve refuge dans l’humour : « J’ai le corps tout moustifaillé. »
Dans une rue du centre-ville, je demande à une dame où se trouve la Banque du Congo.
– Traversez, c’est tout droit, puis à gauche.
– Merci madame.
– Le renseignement est payant.
– Combien ?
– 1 000 francs [1,5 euro]
– Votre renseignement n’a pas de prix.
Elle sourit.
Entendu à un carrefour, entre deux conducteurs en colère : « Il n’y a qu’un-seul-chef-ici- c’est-Sassou. »
La grammaire n’est pas qu’une chanson douce, dussions-nous amender un académicien. Serait-elle la clé de l’âme ? En lingala, être se dit « kozala » et avoir « kozalana », c’est-à-dire littéralement « être avec ». Autant d’être est un signe. De quoi ? Poursuivons l’étude du lingala avant de répondre.
Avenue de l’indépendance, la librairie de la Coupole vend peu de livres. Et aucun de la rentrée littéraire.
