Mots schibboleth du Congo

C’est au Congo que mon stock de mots schibboleth s’est accru sensiblement.
[Dans la Bible, « Schibboleth » est un  mot utilisé par les gens de Galaad pour reconnaître ceux d’Ephraïm, qui prononçaient sibbōlet, et qu’ils égorgeaient aussitôt (Juges 12, 6). » TLF]
Dans le registre des mots tests pour coupeurs de routes, de mots « tu-dis-juste-ou-tu-passes-à-la-trappe », on connaissait le tristissime mot espagnol « perejil », en français « persil », mot de reconnaissance de la dictature Trujillo en République Dominicaine en 1937. « Perejil » contient les sons associés en r roulé et j guttural, difficiles à prononcer pour les Haïtiens immigrés, créolophones et francophones. Bilan : entre 10 000 et 20 000 Haïtiens furent victimes de massacres de masse.

À Brazzaville, sur les bords du Djoué, des schibboleth moins fatals apparemment sont la spécialité de ce militaire rencontré lors d’une patrouille, sur les rives du Djoué, affluent du Congo, dont les flots tumultueux viennent grossir les rouleaux du fleuve frontière.

L’homme au béret noir dispose de tout un arsenal de signes pour reconnaître si vous êtes d’ici ou d’en face (Kinshasa). Une hésitation, une démarche, un accent ? Parmi les plus cocasses, le recours aux belgicismes « septante » et « nonante ». Cet héritage colonial de la langue marque à coup sûr un Kinois, en possible resquille. Militaire les appelle « Zaïrois », car il y a Congolais et… Congolais.
Curieuse démonstration… car vu la force du Djoué à cet endroit quand il se jette dans le Congo, aucun risque à trouver un passe-frontière assez téméraire pour le traverser ici.

Un autre schibboleth, m’apprend Jean-Euloge, distingue les Congolais des deux bords. Inclure dans son lingala le mot français « lait » vous identifie résident de Brazza ; si vous dîtes « miliki » (de milk)… vous venez de Kin. CQFD.

Par le passé, le mot lingala « Muĝéti », qui désigne une espèce d’arbuste, était utilisé par les coupeurs de route des années de troubles (1992 et 1998) pour signe de reconnaissance des Sudistes. Les Nordistes, eux, ne passaient pas. Un jour, un groupe sudiste arrête un vieux et lui demande quel est le nom de l’arbuste qu’ils lui montrent. Tel Œdipe résolvant l’énigme du Sphinx, le vieux répond par une question : « Si tu me dis quel est le nom de ses fruits, je te donne le nom de l’arbuste. » Cette histoire de coupeurs de routes coupés dans leur élan et rendus à leur ignorance a fait le tour du Congo.

Jean-Euloge me rajoute un mot schibboleth, un mot coupeur de routes, le mot « koto » (coude, genou), qui selon les différents accents entre la capitale et Pointe-Noire révèle votre région d’origine.

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