Janvier 2018 : la littérature haïtienne fait sa rentrée d’hiver

Cela n’a rien à voir avec le séisme meurtrier de janvier 2010, mais chaque nouvel an fait naître sa floraison de romans haïtiens.

Deux écrivaines d’abord, avec Yanick Lahens et Kettly Mars.

Yanick Lahens (prix Femina 2014 pour « Bain de lune ») publie « Douces déroutes » chez Sabine Wespieser, l’histoire de l’assassinat d’un juge dans la capitale haïtienne et de personnages qui l’environnent « vers l’inévitable déroute de leur condition d’êtres humains ».

Kettly Mars publie « L’ange du patriarche » (Mercure de France), sur la face obscure du vaudou dans les couples de Port-au-Prince, des « histoires de fantômes et d’esprits vengeurs ». Rencontre prévue le 16 janvier 2018 à la librairie Le Divan, Paris 15e, 19h

Une soirée où il sera aussi question d’un roman posthume d’une autre écrivaine haïtienne, Marie Vieux-Chauvet, connue pour son chef d’œuvre « Amour, Colère et Folie ». Les éditions Zellige viennent de rééditer son roman méconnu, « Les Rapaces », titre transparent pour un réquisitoire dressé contre le régime duvaliériste.

Au passage, notons la participation de l’académicien Dany Laferrière à la Nuit de la lecture, le 20 janvier, à 21h30 à Médiathèque musicale de Paris : « La nuit mauve de Dany Laferrière » (avec le musicien Nicolas Repac). « Il y a des gens qui se revoient, dans leur enfance, flânant dans un jardin ou nageant dans une rivière, moi je me retrouve toujours penché sur un livre…  » 

Le 25 janvier, René Depestre publie ses mémoires, « Bonsoir tendresse », chez Odile Jacob, éditeur qui inaugure ainsi sa nouvelle collection « Mondes contemporains » dont le directeur est Marc Augé : « En décembre 1957, à mon premier retour en Haïti, après douze années d’exil, j’ai constaté le déclin de la vie rurale, en commençant par la perte d’influence du vaudou et du catholicisme. Ni l’un ni l’autre ne réglaient plus les travaux et les jours de la paysannerie. Aujourd’hui, Haïti est quadrillé par toutes sortes de bricolages évangéliques qui démontrent la dérive des repères traditionnels. La population confie son sort à n’importe quel faux prophète : on a recensé plus de quatre cents sectes autonomes pour moins de sept millions d’habitants. C’est la révélation d’une crise générale de la société haïtienne. »

 

 

Haïti : quel est le point commun entre le vaudou et Bach ?

#Haiti : quel est le point commun entre le vaudou et Bach ?
Une première réponse par Truman Capote…

« Pour finir, prenant une poignée de farine et de cendres, il se mit en devoir de tracer sur le sol un vèvè. Il existe des centaines de vèvès ; ce sont des dessins très compliqués et quelque peu surréalistes dont chaque détail a sa propre implication ; non seulement leur exécution nécessite la même sorte de mémoire abstraite que celle d’un pianiste capable de jouer par cœur tout un programme de Bach, mais il y faut encore une habileté technique, et un tour de main vraiment exceptionnels. » (1948)
Truman Capote, New York, Haïti, Tanger et autres lieux, trad. Jean Malignon, Folio, 2017.

Bon anniversaire René Depestre !

Écrivain haïtien des Corbières né à Jacmel, au sud d’Haïti, il entretient très tôt, grâce à son père, un « rapport cosmique » à la nature. Étudiant révolutionnaire à 20 ans, avec notamment Gérald Bloncourt, photographe de quelques mois son cadet, exilé à Paris lui aussi puis poète anticolonialiste avec les figures de la Négritude, Césaire, Senghor, Damas, dont il se démarquera plus tard dans Bonjour et adieu la négritude, il devient proche de Che Guevara, ambassadeur du Cuba de Castro pour lequel il ira jusque dans la Chine de Mao-Zedong. Il sera en rupture de Cuba dans les années 70 alors que l’Amérique Latine et le Brésil de Jorge Amado constituent son continent de prédilection.
Ses livres portent des titres empreints du réel merveilleux et de surréalisme : Alleluia pour une femme-jardin (bourse Goncourt de la nouvelle), Eros dans un train chinois, Arc-en-ciel pour un Occident chrétien. Prix Renaudot en 1988 avec Hadriana dans tous mes rêves, il développe dans ses livres des personnages attachants influencés par le vaudou et  l’« érotisme solaire ». Grâce à ce succès, il achète sa maison de Lézignan-Corbières (Aude) qu’il baptiste Hadriana, avec un « H » comme Haïti.
Humaniste, fervent militant du métissage, « non-croyant », après des recueils de poèmes et des essais, il revient au roman en 2016 avec Popa Singer. C’est une réussite littéraire empreinte de surréalisme, de trouvailles de langage (« haïtionades, haïtionâneries et créolades« , selon ses néologismes gourmands). L’intrigue de ce roman autobiographique, située en 1957 à l’aube de la dictature duvaliériste, dresse un éloge de sa mère, surnommée Popa Singer, qui lui a donné le goût de conter des histoires, des « lodyans » haïtiennes. Oncle de Michaëlle Jean, Secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie, celui qui a un très profus chantier d’écriture en cours, et qui projette d’écrire prochainement un livre hommage à Cuba intitulé : « Les aveugles font l’amour à midi », a 90 ans et se nomme René Depestre.

L’ensemble du fonds d’archives de René Depestre est accueilli depuis 2007 à la Bibliothèque francophone multimedia de Limoges.

En 2014, un colloque international a réuni écrivains et universitaires. Les actes sont publiés chez Hermann sous le titre René Depestre, le soleil devant (Marie Joqueviel-Bourjea & Béatrice Bonhomme éd. / « Avant-propos », pages 5-13), actes du colloque de mai 2014 à la Bibliothèque Francophone Multimédia de Limoges, Paris : Hermann, coll. « Vertige de la langue », 418 p. Avec des contributions de : Arnaud Beaujeu, Michael Bishop, Béatrice Bonhomme, Jean-Luc Bonniol, Serge Bourjea, Michael Brophy, Peter Collier, Louis-Philippe Dalembert, Éric Dazzan René Depestre, Odile Gannier, Chantal de Grandpré, Joëlle Guatelli-Tedeschi, Rémi Guittet, James Noël, Michael G. Kelly, Yanick Lahens, Thierry Ozwald, Ronnie Scharfman, Jean-Luc Steinmetz, Ilda Tomas, André Velter, Arnaud Villani.

Le Québec de Dany Laferrière (13′)

Caraïbes, le mensuel

Reportage au Québec chez Dany Laferrière, écrivain québécois d’origine haïtienne membre de l’Académie française où il a été intronisé le 28 mai 2015. Images Jean-Pierre Magnaudet. Diffusé dans le magazine Caraïbes (production Martinique 1ère) en juin 2015. Au sommaire : la province cubaine de l’Oriente, lieu de naissance de Fidel Castro, la Jamaïque et l’économie des studios de musique et enfin, à 42’44 » : le Québec avec Dany Laferrière.

Dany Laferrière est un homme de trois pays, la France pour la langue et l’Académie, Haïti pour la naissance et la jeunesse, le Québec pour le pays où il a écrit son autobiographie américaine, ensemble de dix romans qui l’a fait connaître.
Nous sommes allés le rencontrer à Montréal et à Québec à l’occasion de l’essayage de son habit d’académicien, avec son couturier Jean-Claude Poitras, son tailleur Marc Patrick Chevallier, sa brodeuse Jeanne Bellavance, dans sa bibliothèque personnelle, au salon du livre de Québec.
Parmi ceux qui nous parlent de lui : des Québécois, Bernard Pivot, invité d’honneur du Salon du livre de Québec, l’éditeur Rodney Saint-Éloi et le poète et universitaire spécialiste des « écritures migrantes » Pierre Nepveu.