Mayas décodés

Vu sur Arte, l’excellent documentaire de David Lebrun, Le Code maya enfin déchiffré. Pour ceux qui n’auraient pu s’embarquer pour l’aventure, on ne saurait trop conseiller l’un des rendez-vous pour la rediffusion : le 17/09 à 9h55 ou le 20/09 à 14h. Et sur le site d’Arte pendant 7 jours. A voir par tous, dans les écoles, les lycées, les universités, à la maison, dans les cafés, dans les cloîtres monastiques, dans les avions partant pour le Yucatán (Je revis mon premier vol, destination Merida, arrivée sous des trombes d’eau, un dico dans la poche d’un jean). C’est à vous donner la vocation pour devenir épigraphiste des glyphes mayas, ces traits gravés dans la pierre, logogrammes syllabiques ou idéographiques. Quand les chercheurs ont découvert qu’un même son était représenté par plusieurs dessins, le déchiffrement est devenu un jeu d’enfant (enfin presque).

Les Mayas de l’âge classique avaient une écriture ; elle raconte leur histoire ; leur vision du monde était hautement abstraite, à base de métaphores savantes. Ainsi le mot  » implorer  » est symbolisé par le dessin d’une main saisissant un poisson dans une rivière, ce qui le fait passer d’un monde à un autre…

Le documentaire se termine par la découverte édifiante par les Mayas d’aujourd’hui de l’écriture et de l’histoire de leurs ancêtres. Et une promesse : dans plusieurs siècles on saura tout de la vision du monde des Mayas de l’époque pré-colombienne… Patience.

Deux sites pour aller plus loin : le blog du mayaniste David Stuart, qui à l’âge de 15 ans a découvert une ribambelle de significations, et la maison de production du documentaire de David Lebrun, Night Fire films. Et un livre en français, avec fiches pratiques et historiques, très appétissant :

Exotisme du dimanche

Dimanche, le marché de la Place des Fêtes. L’apiculteur ne propose que du miel saison 2007. Cette année la récolte n’est pas bonne. Il présente un schéma pour s’y retrouver entre les miels liquides, crémeux ou solides, des miels doux à forts. Je goûte l’arbousier, placé à l’extrême : très fort, amer.  » Il peut accompagner une sauce salade « , dit le pitch (comment pitch a-t-il pu entrer au Larousse 2008 ?).

La libraire présente comme à son habitude des petits trésors de poésie. Du classique ce dimanche, mais du bon. Ou Octavio Paz et son discours de Stockholm, La Quête du présent. Ou Le Labyrinthe de la solitude suivi de Critique de la pyramide, traduit de l’espagnol par Jean-Clarence Lambert (Gallimard, 1990).

Ce qui attire mon attention, c’est un livre qu’on feuillette comme on flâne, sans but, pour le plaisir : Grand Inventaire du Génie Français en 365 objets de Jérôme Duhamel, préfacé par Cavanna. Il a été publié la même année que le Labyrinthe de Paz, 1990.

Cet Inventaire c’est Les Miscellanées de Mr. Schott avant la lettre… avec de superbes illustrations de Katell Reymond et une conception graphique de Massin. Et en format beau livre ! Et là, la V.O. est en français…

Selon les âges et les références, on pense au catalogue Manufrance des objets du XXe siècle, aux Mythologies de Barthes ou à la caricature du Français, béret, baguette et les 363 autres objets de son patrimoine… Naturellement, les Arts Premiers n’y sont pas. En 1990, les Arts premiers n’étaient pas à la mode. On peut regretter l’absence des Guignols de l’info, nés justement en 1990… (mais Guignol a son article et ses illustrations).

C’est charmant, drôlement frais. On le parcourt et on le lit sans lassitude.

Extrait de la préface de Cavanna, intitulée  » Furieusement français !  » :

La France est essentiellement exotique. Bien sûr, nous autres, Français, baignés que nous sommes dans cet exotisme, ne le percevons pas comme tel. Il nous est tout naturel, il est la norme. Les exotiques, ce sont les autres. Il y a la France, et il y a, du mauvais côté de la vitre, l’étranger, en vrac. (…)

Beaucoup des objets présentés ici ont un goût de  » plus jamais « . Le célèbre catalogue de la Manufacture Française d’Armes et Cycles de Saint-Etienne, naguère encore bible illustrée de la campagne française, pointe le nez presque à chaque page. Eh oui, la nostalgie coule à ras bords.  »

Les premiers articles illustrés :

L’accordéon, L’affiche de mobilisation, L’agenda Quo Vadis, Les albums d’Astérix, Les albums de Bécassine, Les albums des Pieds Nickelés, L’alccotest, Les allumettes de ménage, L’almanach Vermot, etc.

La tonalité hisorique est dominante. Comme au marché, on flâne, et on tombe sur les rappels ou des surprises, car les poètes sont convoqués.

Exemple à l’article  » fermeture Éclair « , de Jacques Prévert, extrait de Sanguine,  :

La fermeture Éclair

A glissé sur tes reins

Et tout l’orage heureux

De ton corps amoureux

A éclaté soudain.

Jérôme Duhamel précise :  » Mieux vaut l’avouer tout de suite : la fermeture Éclair, cette invention au nom fleurant si bon la France, partie intégrante de notre patrimoine, est une invention… américaine, etc. « 

Grand Inventaire du Génie Français en 365 objets de Jérôme Duhamel, préfacé par Cavanna, publié par Albin Michel, n’est plus en vente que chez les bouquinistes. Mais l’auteur décidément amateur de listes et d’inventaires avait déjà écrit Le Grand méchant dictionnaire (Laffont/Seghers), Encyclopédie de la méchanceté et de la bêtise (Acropole), Le Mémorial martiniquais (Editions du Mémorial, Nouméa). Par la suite, il écrira plusieurs dizaines de titres, dont Vos gueules les femmes (avec Wolinski), ( » Les 500 petites phrases que les hommes aimeraient bien ne plus jamais entendre ! « ), Dictionnaire inattendu de Dieu, Le Dico tout fou des écoliers, La Passion des livres, etc.

L’époque est à l’inventaire, entre banal et scandale. On pense à Guillaume Durand qui présentera en septembre une nouvelle émission sur France 2, justement le dimanche : L’Objet du scandale.  » Des objets présents sur le plateau comme l’urinoir de Duchamp, un 4 x 4, une kalachnikov ou un baril de pétrole nourriront des débats culturels ou de société. « , signale Jean-Luc Bertet dans le Journal du Dimanche.

Le gendarme Citron, un Jean Rouch du Pacifique Sud

Alors qu’en mai 2008, le Centre Tjibaou célèbrera ses dix ans, et les Accords de Nouméa aussi, c’est un moment de grâce et d’émotion ce documentaire qui porte un nom de bande dessinée, Le gendarme Citron. Signé Gilles Dagneau, il raconte la vie d’un gendarme en Nouvelle-Calédonie au mitan du XXe siècle. C’était avant l’affaire d’Ouvéa et des gendarmes. Ce fonctionnaire a passé son temps à filmer l’Autre, c’est-à-dire les Kanak, comme Jean Rouch filma les Dogons de la falaise de Bandiagara, avec intelligence, respect et désir de comprendre. Ses vingt pellicules ont été achetées par le Centre culturel Tjibaou en 2004…

Le gendarme Citron, de Gilles Dagneau, sera diffusé sur RFO, Télé-Pays, le 28 avril, et sur France Ô le 29 avril.

Robert Citron (qui vit aujourd’hui au Sud de Paris) est né en 1920. A l’âge de 35 ans, il fait un premier séjour à l’île des Pins, connue pour son ancien bagne, son lagon turquoise, ses araucarias. En autodidacte, il commence à filmer sa famille. Puis (un gendarme aime l’ordre), il organise des courses à chevaux sur la plage qu’il filme en… 2CV, question de travelling… Il encadre des matchs de foot. Tout cela sent  » le bon temps des colonies « , une espèce de douce ingénuité où les images en couleur, muettes, semblent la décalcomanie du paradis ( » L’île la plus proche du paradis « , est d’ailleurs un slogan pour touristes utilisé pour l’île des Pins). Mais déjà Citron a un regard d’empathie avec les Kanak, dont un historien nous dit qu’ils ont acquis la pleine citoyenneté seulement en 1957 !

Après cinq ans de  » mission  » (jamais ce mot n’est prononcé dans le film), le gendarme Citron rentre en France, est muté en Guadeloupe. En 1964, il revient avec du galon à Canala, sur la côte Est de la Grande Terre. Et là, il devient Jean Rouch. Comme dans les Maîtres fous (1954), documentaire devenu un classique du film d’ethnologie, sur les pratiques rituelles d’une secte religieuse de culte Hauka dans la région du Niger. Même intelligence, même curiosité de l’Autre, même attention à une culture dont il découvre les arcanes.

A Canala, Robert Citron, qui a été agriculteur reconnaît dans ses  » administrés  » les mains de ceux qui vivent de la terre. Il faut écouter son commentaire du cycle de l’igname, le tubercule qui marque la vie et les liens du groupe. Citron est précis. C’est presque du mot à mot, avec un sens de la narration éprouvé. Il vouvoie le maître de l’igname et il ne comprend pas comment les colons peuvent le tutoyer… Citron explique pourquoi il fait durer certains plans :  » pour mieux expliquer « . Il devient le médiateur réalisateur du maire de Canala : les Kanak doivent se contenter de cultiver des parcelles de terres réduites alors que les colons ont de la surface où ils laissent paître leur bétail.

Plus extraordinaire : toute la chefferie de Canala qui passe entre les mains du guérisseur. Citron explique, plan après plan.

Essentielle, cette belle séquence où Emmanuel Kasarherou, le directeur actuel du Centre culturel Tjibaou, souligne en quoi ces images – rares –  » réactivent «  la mémoire des Anciens qui peuvent mieux raconter leurs témoignages. Autant de patrimoine oral d’une culture qui est indéxée par les chercheurs d’aujourd’hui…

Enfin, l’épilogue est très émouvant. Des habitants de Canala et de l’île des Pins s’adressent face caméra au gendarme Citron pour lui dire ce qu’ils lui doivent : un regard d’homme à homme.

L’explorateur, le photographe et le missionnaire

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C’est un livre qui arrête le regard… L’imagerie coloniale a une telle prégnance dans les esprits… Or, là… le traitement des images, leur choix tout d’abord, mais leur colorisation, leur composition, leur mise en cadre sur fond de carte d’Afrique du XIXe siècle, l’impression de  » By ship only  » sur une carte (postale) de Tombouctou… tout concourt à restaurer notre regard.

Opération réussie que celle entreprise par Gwenaëlle Trolez avec les éditions Magellan et Cie . L’auteur, artiste céramiste de son métier nous dit son site , a entrepris plus qu’un patchwork, un véritable tissage des images -les photos du fonds Edmond Fortier (le photographe). Le livre de Gwenaëlle Trolez met en regard en une série de doubles pages, une photo retravaillée et un extrait d’un texte  » humaniste  » précise-t-elle, c’est-à-dire non raciste, comme le discours colonial de l’époque l’était souvent.

Exemple extrait d’Esquisses sénégalaises (1853, éd. Karthala , 1998) de David Boilat (le missionnaire) :

 » Tous les peuples du Sénégal offrent l’hospitalité aux voyageurs avec une grande cordialité. Blanc ou Noir, connu ou inconnu, qui va chez eux, peut entrer librement dans la première case qu’il rencontre : on le salue, on lui demande son nom et celui de sa famille, on le fait manger et on lui donne son lit : on l’entretient pendant ses repas et après. Enfin, lorsqu’il veut partir, il fait ses adieux comme s’il quittait ses meilleurs amis et n’a rien à payer. « 

Cette série est précédée d’un large extrait d’un livre d’Ernest Noirot (l’explorateur), A travers le Fouta-Diallon et le Bambouc. Extrait intitulé  » Une ambassade peulhe au pays des Français  » qui raconte le voyage de quatre découvreurs africains de la France.

 » Partout, ils ont été l’objet de la plus grande déférence. Du reste, s’ils n’ont pas exactement saisi l’emploi de toutes les choses qu’ils ont vues, du moins ils faisaient leur possible pour comprendre et ne tarissaient pas en questions de toute sorte. « 

Texte publié par Flammarion en 1890 !

L’ennui, le banal, la bêtise et le vulgaire

L’ennui aux XIXe et XXe siècles sera le thème d’un colloque international à l’université Paris 1 Sorbonne les 29, 30 novembre et 1er décembre. Le Centre de recherches en histoire du XIXe siècle propose, entre autres, des questions alléchantes : Entre ennui et fatigue : la nostalgie pendant la colonisation de l’Algérie 1830-1851 ; L’ennui à l’atelier et à l’usine : Discours ouvriers sur « ces jours [qui] passent, immenses » ; L’ennui dans les gares ; L’ennui dans les grands ensembles ; Le coaching en entreprise. Une professionnalisation des stratégies d’évitement de l’ennui ; etc.

Le banal ou plutôt Le culte du banal est le titre d’un livre de François Jost. Sous-titré : De Duchamp à la télé-réalité, il est publié par les éditions du CNRS, qui nous écrivent en forme de résumé :

 » La télé-réalité est-elle devenue la réalité ? Et les ultimes avatars de l’art contemporain le degré zéro de la banalité ? Ou plutôt, entre l’un et l’autre, n’y a-t-il pas eu toujours ambiguïté ? Duchamp, Warhol ou Perec, icones de la modernité, n’ont-ils pas été les chantres de l’ordinaire, du quotidien, du banal ? Et n’est-ce pas Barthes en son temps qui a mis à mort la notion d’auteur ? Comment le culte du banal qui fut, jadis, à la pointe du combat contre l’institution s’est-il dilué dans nos petits écrans ? « 

Autre éditeur à s’intéresser à l’envers du décor, Stock publie deux essais dont les auteurs sont réunis le 27 novembre à la Villa Gillet autour de l’affirmation sans ambages :  » Bêtise et vulgarité : symptômes du monde moderne « .

Belinda Cannone écrit La bêtise s’améliore et son éditeur :  » Nous avons tous constaté que bien des gens dont nous respectons l’intelligence s’en servent… bêtement. Camus ne disait-il pas qu’il y a deux sortes d’intelligences, l’intelligence intelligente et l’intelligence bête ? Cette dernière produit une pensée uniformisée dont nous voyons les traces partout. Mais il n’est pas si facile de décrire ce phénomène de conformisme dans sa version actuelle.  »

Limite vulgaire est le titre du livre écrit par Hélène Sirven et Philippe Trétiak, présenté ainsi par leur éditeur :

 » Le spectre de la vulgarité hante le monde. Chaque jour elle étend son pouvoir. Virus moderne, elle contamine et se répand. Médias, sexe, politique, comportements sociaux, art, pub et mode… Tout semble céder à la provocation, à l’outrance, à la confusion, au trash. Plus c’est laid, plus c’est direct, plus c’est violent, plus ça marche. Mieux, ça court. Est-il un jour où l’on ne se répugne pas soi-même d’être de ce monde-là ? Sommes-nous tous condamnés à la vulgarité ?

Philippe Trétiack est grand reporter au magazine Elle et écrivain.

Hélène Sirven est maître de conférences à l’université Paris-I, spécialiste en anthropologie exotique et contemporaine.

L’ennui, le banal, la bêtise, le vulgaire, vus par des universitaires, c’est passionnant ! comme si les déclinologues en économie (Nicolas Baverez, Le France qui tombe, Perrin, 2004) avaient fait des émules.

Papalagui et le carte du monde « upside down »

Papalagui a l’habitude de considérer la carte du monde avec le nord en haut, le sud en bas. C’est tout naturel. Ou plutôt tout culturel. Il n’est pas rare de voir s’afficher dans les rues de Brisbane, Sydney ou Melbourne des cartes « Upside Down » ou « Upide Down Map of the World ». Ces planisphères présentent l’Australie et la Nouvelle-Zélande en haut de la carte et l’Europe en bas. « Le monde vu depuis Adélaïde » ne manque pas de gueule… Ainsi sur l’un des sites les plus visités et les plus référencés The Upsidedown Map Page, où la couleur est annoncée d’emblée: « On n’a pas besoin d’un monde eurocentré, eurocentrique ».

Papalagui a appris que certains se servent de ces cartes pour le plaisir, pour l’enseignement, ou comme manière de voir le monde. Justin Jamail de l’université du Massachusetts a utilisé dans son « exercice de la semaine » une carte muette de l’Afrique inversée, Le Cap en haut, Alger en bas. Intéressante perspective, non?

Les étudiants de première année de l’université Harcum de Philadelphie, eux, ont droit a un séance de bizutage géographique: ils doivent situer leur lieu de naissance sur une carte Upside Down…

Un éditeur de jeux propose même un puzzle de cinq cents pièces du monde sens dessus dessous! Bonne chance: Upside Down World Jigsaw Puzzle.

Il existe des cartes Upside Down d’Amérique du Nord, de la Californie, du Japon, des Caraïbes, etc. Mais existe-t-il des collectionneurs de cartes le nord en bas?

Papalagui s’est procuré une « Upside Down Map of the World » naguère dans un aéroport australien comme souvenir exotique. Depuis, elle s’affiche.