Écritures et pensées en archipel (Édouard Glissant)

« Écritures et pensées en archipel » est le titre du séminaire 2008-2009 de l’Institut du Tout-Monde, dont l’ouverture, est prévue à Paris, Maison d’Amérique latine, le 21 octobre 2008 à 19h.

« Le séminaire portera sur des dispositifs d’écriture favorisant la relation archipélique des langues et des cultures. De Raymond Lulle, Montaigne, Gracian à Nietzsche, Segalen, Perse, Faulkner, Guattari et Deleuze, il tentera de construire des échelles de différence qui contreviennent aux classifications traditionnelles de l’histoire des idées. Au lieu des répartitions par filiations, époques, genres ou écoles, il mettra en valeur la plasticité dynamique des identités relationnelles. », annonce le philosophe François Noudelman, directeur du séminaire.

La première conférence d’une série de douze, sera assurée par Édouard Glissant, avec ce titre : « Personnifications d’une philosophie de la Relation ». 

(voir aussi Papalagui, 10/10/08).

Muqdisho, Somalie, Où c’est toujours la galère

C’est un café à 1,70 euro en salle. A Paris, rue Lassus, près de l’église Jourdain, sans doute l’un des moins cher de la capitale. Assis, on peut faire un tour du monde gratis. Cinq pendules. De gauche à droite :

  • Manaus, Amazonie ses forêts capitales, 5h20
  • Aït Issad (Algérie), c’est la ville du patron, 10h20
  • Villandry (France), ses jardins, un régal ! 11h20
  • Muqdisho, Somalie, Où c’est toujours la galère, 12h20
  • Les îles Crozet (France ?), 500 m² en plein océan Indien, 12h20.

Portail des bibliothèques de 14 pays francophones

Consultez sur son écran les journaux de 14 bibiliothèques francophones ? Ce sera sera  bientôt possible, selon le site de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF).

Bibliothèque et Archives nationales du Québec a présenté au Congrès mondial des bibliothèques de l’information, réuni à Québec en août 2008, le prototype d’un portail du patrimoine des bibliothèques d’au moins 14 pays francophones. À travers ce portail, les bibliothèques du Québec, de France, de Belgique, de Suisse, du Luxembourg, d’Haïti, du Cambodge, de Madagascar, du Maroc, d’Égypte, du Sénégal, de Tunisie, du Mali et du Vietnam mettront en ligne différentes collections de journaux, de revues, de cartes et de livres.

La version finale du portail du Regroupement francophone des bibliothèques nationales numériques (RFBNN) sera mise à la disposition des usagers lors du XIIe Sommet de la Francophonie qui se tiendra dans la ville de Québec du 17 au 19 octobre 2008. Un prototype est déjà consultable sur le site du RFBNN. L’accent est mis sur les journaux. « 

 

L’Acadie fait son Tintamarre

Les Éditions Prise de parole lancent Tintamarre, Chroniques de littérature dans l’Acadie d’aujourd’hui, de David Lonergan.
Cette  » lettre d’amour à la littérature acadienne  » regroupe plus d’une centaine de chroniques publiées pour la plupart dans le quotidien L’Acadie Nouvelle, cet ouvrage propose un panorama de la littérature acadienne des quinze dernières années.

Plus de 120 œuvres d’une soixantaine d’auteurs y sont commentées.

La suite sur Acadie.net

Après l’Australie, le Canada s’excuse auprès de son peuple autochtone

Après l’Australie , le Canada : le Premier ministre Stephen Harper a présenté aujourd’hui des excuses officielles historiques aux anciens élèves des pensionnats indiens et demandé pardon aux élèves pour les souffrances qu’ils ont endurées et les incidences néfastes des pensionnats sur la culture, le patrimoine et la langue autochtones.

Pendant un siècle et jusqu’en 1970, une politique d’assimilation destinée à  » tuer l’Indien dans l’enfant « , a regroupé quelque 150.000  enfants, dont beaucoup ont été maltraités et ont subi des agressions sexuelles.

« Le traitement des enfants dans les pensionnats indiens représente un triste chapitre de notre histoire a déclaré le Premier ministre Harper. Aujourd’hui, nous savons que cette politique d’assimilation était mauvaise, qu’elle a causé énormément de torts et qu’elle n’a pas sa place dans notre pays. Le gouvernement du Canada s’excuse sincèrement et demande pardon aux peuples autochtones du pays pour avoir trahi leur confiance si profondément. »

La suite sur le site officiel du Premier ministre.

Ptolémée enlevé dans l’outre-monde

 

Deux mappemondes de Ptolémée, le célèbre astronome grec de l’Antiquité, ont été volées début août à la Bibliothèque nationale espagnole de Madrid. L’une serait du côté de Sydney. L’autre vient d’être retrouvée à New-York chez un collectionneur. Elle serait évaluée à 140 000 dollars. Ces deux mappemondes ne sont pas des globes terrestres mais des cartes, dessinées en 1482.Le service du patrimoine rend responsable de ce vol un historien uruguayen. Ce chercheur (ou prétendu tel) aurait volé 12 pages de la Géographie de Ptolémée. Il résiderait en Argentine.

Au IIe siècle, Ptolémée donnait le nom d’écoymène au monde habité. Il allait des Canaries, à l’Ouest, jusqu’à la Chine, à l’Est, de l’Arctique aux profondeurs de l’Afrique. Ptolémée était connu pour avoir développé un système qui plaçait la Terre au centre de l’univers. Son système survivra jusqu’à Copernic, puis Galilée. Ptolémée était bien conscient que ses connaissances ne couvraient qu’un quart du globe.De source bien informée, Sydney, New-York, l’Uruguay, l’Argentine, qui n’étaient sur aucune carte de Ptolémée auraient voulu se venger. Cela n’aurait rien à voir avec, en rugby, la raclée infligée par l’équipe argentine à la France, à Paris.

Chamoiseau, entretien (1)

Un dimanche au cachot 

Patrick Chamoiseau répond à la question de la genèse de son dernier roman, Un dimanche au cachot.

– Quelle était l’intention au départ du roman ?

– Il y a plusieurs intentions.

La première : il y a quelques années de cela, j’étais allé au foyer de la Sainte Famille [au Nord de la Martinique]. C’est un foyer qui recueille des enfants en difficulté qui ont subi des maltraitances. Donc, j’avançais dans le jardin. Brusquement, un petit édifice de pierre avec un figuier maudit qui sort des pierres. Les pierres sont complètement tordues, les racines s’entremêlent et le figuier maudit (un tout jeune) commence à fleurir au-dessus de ces pierres. Je m’approche, et comme je m’intéresse beaucoup à l’histoire de l’esclavage, je comprends qu’il s’agit d’un cachot.

J’ai reçu un choc absolument incroyable. Il y a tellement de mémoire absente, de mémoire obscure, de mémoire refoulée en matière d’esclavage que lorsque je me retrouve en face des pierres comme celles-là, je sens monter comme des rumeurs, des cris, des hurlements.

J’avais gardé ça en moi avec l’idée, un jour, d’essayer de traiter la question de ce que nous a laissé l’esclavage en terme de pierres et surtout en terme de cachots. Il y a énormément de cachots répartis sur toute la Martinique mais que tout le monde a oublié, tout le monde s’en fout.

Il y avait cette première idée. L’autre idée est que le dimanche est toujours un moment particulier. Dans nos sociétés de consommation on est pris par plein d’agitations, plein de choses pendant toute la semaine. Mais le dimanche, on se retrouve en face de soi, avec une relative vacuité mais aussi avec une relative disponibilité pour toutes les personnes qui nous habitent et qu’on retrouve brusquement…

Donc j’avais envie de traiter la question du dimanche. D’autant plus que pendant la période esclavagiste, le dimanche les esclaves ne travaillaient pas. Et le dimanche c’étaient des moments où ils se retrouvaient, bien sûr après la messe. Ils pouvaient danser, rencontrer le tambour et surtout avoir des activités. L’activité principale c’était ce qui allait devenir le jardin créole. Ils faisaient leur petit jardin dans les bois pour se nourrir parce que l’alimentation était insuffisante. Quand on rassemble tout cela, on arrive à une construction de roman.

Alors qu’elle était l’intention ?

Une journée d'Ivan Denissovitch 

On a toujours dit, on s’est beaucoup appesanti, ou en tout cas on a beaucoup exploré la réalité psychique des camps d’extermination. Lorsqu’on lit les romans comme Soljenitsyne, Une journée d’Ivan Denissovitch, ou tout ce qu’a pu écrire Primo Levi, ou tous ceux qui ont témoigné sur la réalité des camps d’extermination où on voit un petit peu l’effondrement de l’humain, la douleur psychique qui se constitue, et très rapidement il me semble qu’on a pu évacuer, on a trop rapidement évacué la question de la plantation esclavagiste.

 

On disait que la plantation esclavagiste n’était pas un camp d’extermination. D’ailleurs, les nègres dansent, il y a le jazz, il y a eu le blues, il y a eu les tambours, etc. Donc, ils ont une relative joie. Donc une plantation esclavagiste n’est pas un camp d’extermination. Donc l’horreur n’est pas aussi terrible.

L’autre argument des historiens occidentaux est que de dire que le maître achète ses esclaves. Comme il les achète, il ne va pas les dilapider, c’est-à-dire qu’il préserve son capital. Je dis que c’est une vue un peu courte.

Lorsque je raconte l’histoire de cette jeune fille esclave, cette petite L’Oubliée que l’on met dans un cachot et qui va passer plusieurs jours, je vais m’intéresser à la journée du dimanche qu’elle va passer dans ce cachot.

Je veux montrer déjà que l’on souffre d’un déni d’humanité, la souffrance psychique est terrible. elle est aussi terrible que n’importe quel goulag ou n’importe quel camp d’extermination. Et ce qui se produit chez un être humain à qui on dénie son humanité c’est ça qui m’intéressait.

La jeune fille se retrouve dans un cachot et elle affronte l’obscurité, elle affronte la puissance des murs (parce que les cachots d’esclaves ont des murs très épais, on peut crier là-dedans, on n’entend pas à l’extérieur). Elle affronte une réalité qui se transforme en une sorte d’exploration d’elle-même. Et c’est là que commence la question de l’identité.

Il m’est toujours paru intéressant de prendre la période esclavagiste (indépendamment du pathos, des récriminations), essayer de comprendre ce qui se produit dans la tête d’un être humain, mais surtout essayer de comprendre que ce lieu d’effondrement de l’humain était aussi un lieu d’émergence d’identités nouvelles, d’émergence d’une humanité nouvelle.

Biblique des derniers gestes 

Donc la petite L’Oubliée… Qu’est-ce qui va se produire ? Tous ces moi qu’elle a déployés pour survivre dans la plantation, toutes ces postures, serviles, hypocrites, voleuses, etc., tout ce qui caractérise les esclaves, qui avaient plusieurs personnalités et que les maîtres-békés ne pouvaient pas comprendre, tous ces moi vont commencer par exploser et, progressivement, vont se reconstituer pour donner une personne nouvelle qui va devenir l’ancêtre de Man L’Oubliée, la Man L’Oubliée que l’on retrouve dans Biblique des derniers gestes.

Donc c’est une aventure humaine dans l’obscurité.

Dimanche de pluie sur la Sainte-Famille

Inépuisable le dernier Chamoiseau, livre-gouffre-sans-fond d’émotions et de mots. Le lecteur est pris au piège d’Un Dimanche au cachot (Gallimard). Dans un cachot c’est la mort, le repli, la fermeture, alors que cette littérature dévide son surplus de mots, charroie son immensité d’horizon. De ce cachot, Chamoiseau en fait une bombe à retardement littéraire. Ce cachot est un trou noir, où une énorme énergie s’effondre sur elle-même.

Avec Un Dimanche au cachot, Chamoiseau tente de raconter l’irracontable. La violence d’aujourd’hui convoque l’histoire de l’esclavage. Des vestiges d’aujourd’hui rappellent un quartier de haute sécurité de droit féodal. On ne verrait pas bien quoi en faire. Chamoiseau si. Une improbable matière littéraire ?

Argument…

 » Un dimanche de pluie, une petite chabine se réfugie sous une voûte de pierre, dans le jardin du foyer qui l’a recueillie, sur le site d’une ancienne sucrière. Terrassée par une souffrance indépassable, Caroline reste prostrée dans l’ombre, fixant l’obscur des pierres pour les déchiffrer. Pour renouer le contact avec elle, l’institution sollicite alors Patrick Chamoiseau, écrivain, Marqueur de paroles, mais surtout éducateur en matière de justice.  » 

Ce serait un roman historique ? Non, très contemporain même. Qu’on en juge : son ami Sylvain, éducateur à la Sainte Famille, dans le nord de la Martinique, appelle Chamoiseau. C’est un dimanche, jour où l’écrivain ne fait rien, ni comme éducateur, qu’il est dans le civil, ni dans les divers rôles que lui assigne la société. Non, le dimanche est informe comme informe est l’écrivain sur sa chaise d’écriture, nous dit-il.

Il se trouve qu’une de ses pensionnaires, la dénommée Caroline s’est réfugiée dans les vestiges d’un obscur cachot dont elle ne sort plus. Avec son histoire familiale où se sont succédé viols et violences, elle est dans un état d’autisme, un mot qui n’est pas écrit d’ailleurs dans ce roman où les mots sont comme cascades, étoiles filantes, nébuleuses, feux d’artifices, immenses cataractes de sens et d’émotions. On se dit qu’autour de soi les lecteurs ont dû lâcher prise, tellement on implose dans ce cachot, on se rétracte en soi, en s’immole par l’intérieur, on s’inglutit (au risque du néologisme en écho au texte d’auteur). Caroline s’implose au dedans. L’écrivain convoqué lui invente une histoire, puis l’Histoire, certes romanesque. L’Oubliée revient. Il l’a fait revivre dans cette habitation démoniaque où règne le Maître.

Caroline recluse dans une ruine, L’Oubliée son double en Histoire.

Le cachot de l’Habitation, ferme de la plantation esclavagiste, l’obscur où est recluse l’Oubliée, personnage clé de son précédent roman, Biblique des derniers gestes, publié en 2002. Biblique des derniers gestes

L’argument de Dimanche au cachot… suite :

 » Mais tandis qu’il vient au secours de l’enfant, l’éducateur devine ce qu’elle ignore : cette voûte ténébreuse n’est autre que le plus effrayant des vestiges. C’est un cachot dont les parois balisent  une ténébreuse mémoire, qui dérive loin dans les impensables de l’Histoire, dans l’intransmissible de l’esclavage, ce crime sans châtiment. Dans la beauté du lieu, sous l’éclat de la pluie, je perçois le terrible palimpseste… « 

Ce livre est inépuisable. Il nous épuise, nous simples lecteurs, simples mortels. Il nous digère, nous inclut, nous intègre en son for, là au coeur de ce trou noir où est tombée la lumière, disparue, apesantie de ses milliers de flammes.

Si Biblique était un livre à l’ambition démesurée, que sera ce Dimanche au cachot, sinon son complément en Histoire incréée, dans ce point focal, ce lieu unique, où l’histoire bouillonne, et brouillonne l’humanité tout alentour.

Prolongements :

A lire le précédent texte de Chamoiseau, la préface de La prison vue de l’intérieur (Albin Michel) où il dit la  » poésie secrète d’une curieuse entité «  ou, publié en 1994, Guyane, traces-mémoires du bagne (photos Rodolphe Hammadi), et l’analyse de Véronique Larose à ce propos : http://www.potomitan.info/atelier/pawol/prison.php.

 

 » La poésie secrète d’une curieuse entité « , car là aussi, Un Dimanche au cachot comme Les murs tombent laissent le mot de la fin à la… beauté.

La résistance par la beauté ?

Paris, ce soir-là, se prépare à sa Nuit blanche. On pourrait les croire à l’écart du monde. Alors que 16,6 millions de Français regardent un match de rugby à la télé, ils sont une centaine réunis dans un cinéma, La Clef. Pas de film à l’affiche mais un  » texte d’intervention « , nous dit l’éditrice de Galaade, Emmanuelle Collas. Un livre de 26 pages mis en vente à 10 000 exemplaires. Un titre à la typographie géante, comme un appel à une mobilisation. Un manifeste pour dire  » non  » au ministère de l’immigration, de l’identité nationale, de l’intégration et du codéveloppement. Une version légèrement différente du texte publié par L’Humanité le 4 septembre.

 » Non  » à un  » mur-ministère « , selon le mot-valise des deux écrivains, Glissant et Chamoiseau, avec ce sous-titre :  » L’identité nationale hors-la-loi ? « , et cette dernière phrase, p. 26 :  » Tout le contraire de la beauté « . 

On attend Patrick Chamoiseau venu de Fort-de-France. Les militants de la commission culturelle du Comité d’entreprise de la Caisse d’Epargne Paris/Ile-de-France ont organisé la soirée. Certains lisent les quotidiens du jour. Libération fait son portrait de der sur le ministre du  » mur-ministère « , avec ce titre :  » Où il y a du gène…  » ; Le Monde publie un entretien avec un ancien ministre, Jacques Toubon, président de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. 

Après une lecture du texte par trois comédiens, Marianne Basler, Nicole Dogué, Greg Germain, Chamoiseau confie avec douceur son  » indignation « . Oui… avec douceur.

Au nom de la beauté, les deux intellectuels de Martinique ont voulu rappeler ce qu’est l’identité, dire  » non  » à   » l’identité racine unique « ,  » oui  » à l’identité relation :

Extrait p. 11 :

 » Le côté mur de l’identité peut rassurer. Il peut alors servir à une politique raciste, xénophobe ou populiste jusqu’à consternation. Mais, indépendamment de tout vertueux principe, le mur identitaire ne sait plus rien au monde. Il ne protège plus, n’ouvre à rien sinon à l’involution des régressions, à l’asphyxie insidieuse de l’esprit, à la perte de soi. « 

A la tribune, l’auteur d’Ecrire en pays dominé explique qu’il faut dire  » non « . Même en levant seulement la main, même hors l’action collective. Pour Chamoiseau, l’époque est à l’individu et toute résistance individuelle est bonne à prendre.

De retour en Martinique, il sillonnera son île et ses communes pour appeler à résister  » au nom de la beauté « .