Marie Ndiaye et les mots d’écrivains

Selon Livres-Hebdo du 15/09/09 :   » En marge de l’agitation médiatique que déchaînent Frédéric Beigbeder ou Amélie Nothomb, poids lourds annoncés qui tiennent respectivement les 8e et 4e rang du Top 20 Ipsos/Livres Hebdo, la discrète Marie NDiaye réussit pourtant à s’imposer de façon durable parmi les meilleures ventes de livres de la rentrée.Unanimement salué par la critique, notamment dans la presse écrite, le dixième roman de l’auteure française dont on parle le plus en cette rentrée littéraire, Trois femmes puissantes (Gallimard), paru le 20 août, rejoint cette semaine à la 15e place le Top 20, toutes catégories de livres confondues. Il se hisse à la 5e place du classement des meilleures ventes de romans.Initialement tiré à 15 000 exemplaires, ce recueil de trois histoires de femmes entre la France et le Sénégal atteint aujourd’hui un tirage total de 86 000 exemplaires après cinq réimpressions. « Par ailleurs, on peut lire sur le site des Inrockuptibles du 30/08/09 la critique et l’entretien réalisés par Nelly Kaprielian de  » l’écrivain Marie Ndiaye aux prises avec le monde  » (son roman est dans la première sélection du Goncourt 2009 depuis aujourd’hui), présentés ainsi :Dans Trois femmes puissantes, Marie NDiaye raconte des vies déchirées entre l’Afrique et la France. Une interrogation sur la condition humaine la plus contemporaine : les migrations et les questions d’appartenance. Le livre le plus dérangeant et obsédant de cette rentrée. Decryptage et interview.Sur la construction de son roman, sur ces thèmes de prédiclection, sur ses choix de personnages (où puisez-vous la monstruosité de vos livres ?), sur la France de Sarkozy, sur la Condition noire (livre de son frère Pap Ndiaye, qu’elle avait magnifiquement préfacé par une nouvelle), sur son identité (Afrique ? France ? Berlin ?), lire l’interview.Citons la fin :Marie Ndiaye : En Angleterre ou aux Etats-Unis, beaucoup d’écrivains sont issus d’origines ethniques différentes comme Zadie Smith, Monica Ali, Hari Kunzru, etc.Nelly Kaprielian : En France, nous n’avons pas ce type d’écrivains. Comment l’expliquez-vous ?Marie Ndiaye : En général, les écrivains sont des gens qui ont fait des études, savent manier la langue et peut-être que ça n’est pas encore le cas pour nos minorités, qui se sentent peut-être exclues d’un certain savoir. Lorsqu’on voit d’où viennent les écrivains en France, pour une grande majorité d’entre eux, ils viennent de milieux bourgeois et/ou intellectuels, alors qu’aux Etats-Unis, par exemple, c’est moins le cas, Russell Banks ou Joyce Carol Oates n’ont pas été élevés au milieu de livres. Les parents d’Oates étaient fermiers, le père de Banks était plombier. Bref, il semblerait que les écrivains français viennent tous d’une bourgeoisie éclairée, cultivée, qui est un milieu assez restreint. Ce n’est pas complètement mon milieu : ma mère était prof de sciences naturelles dans un collège, ma famille n’était pas un lieu de livres. Jusqu’à l’âge de 13 ans, j’ai vécu à Fresnes et ensuite ma mère a déménagé à Bourg-la-Reine. C’était une banlieue très modeste, je vivais dans une barre HLM et les HLM dans les années 70 c’était autre chose qu’aujourd’hui. C’était plutôt pas mal, on a eu une enfance dans la rue, d’une liberté totale, sans crainte, ce que les enfants d’aujourd’hui n’ont pas. Quant à mon père, je crois que c’est un homme qui n’a jamais lu un roman de sa vie. Il a fait des études mais il venait d’un milieu misérable au Sénégal. Ma mère lit mes livres. Mon père, je n’en ai aucune idée. J’ai arrêté mes études très jeune pour écrire. Parfois, en interviews, je sens que je n’ai pas les outils pour parler de littérature, n’ayant pas fait Normale sup ou de longues études. Alors je réponds le plus simplement possible. Critique et entretien à rapprocher (sur ce point de l’origine des écrivains de France), des archives de l’INA. L’Institut national de l’audivisuel révèle une sélection de « Mots d’écrivains », classés par auteurs ou par thèmes. Malgré la richesse de ce patrimoine, ô combien délicieux, on ne peut pas s’empêcher de penser aux propos de Marie Ndiaye sur le milieu d’origine des écrivains. Dans la sélection de l’INA, il faut bien chercher pour trouver un Kateb Yacine, un Aimé Césaire, un Amadou Hampatê Bâ, et 19 secondes de Borgès…Alors continuons de fouiller, comme Marie Ndiaye affouille de son style puissant des vies ignorées qui tentent un passage improbable Nord / Sud.

Un classique : Tintin, mais en créole mauricien !

Qu’on nous raconte pas zistoir… Créole et BD font des petits, et tout le monde semble s’y retrouver. Dernier né : Le secret de la Licorne, le onzième de la série des aventures de Tintin (cru 1943, comment pouvait-on sortir un album de BD en 43 ? Hergé travaillait pour le quotidien bruxellois Le Soir qui publia en épisodes La Licorne à partir de l’année précédente). Le secret a maintenant son appellation contrôlée créole : Bato Likorn so sékré, et en créole mauricien s’il vous plaît !

Les collectionneurs ne seront pas les seuls heureux dans cette zistoir…

Les éditions Casterman et les ayants droit d’Hergé font grimper le compteur des traductions des aventures de Tintin à… 91 langues !

A noter, en 2003, la traduction en tahitien du Crabe aux pinces d’or :

Un autre éditeur, réunionnais, Epsilon, lui se frotte les mains. Pas seulement parce qu’un  » Tintin en créole c’est une reconnaissance pour le créole « , comme nous l’avait confié son directeur, Eric Robin, au dernier Festival de la BD d’Angoulême, mais aussi parce que les ventes décollent. Et c’est Tintin qui tire vers le haut l’édition locale. Un Tintin qui s’ajoute aux deux titres d’Epsilon en créole réunionnais, publiés en novembre 2008 (tirage de lancement de 4 000 exemplaires), avec pour figures centrales… Tintin et le kapitène Sounouk ! Tintin au Tibet (1960, 20e album de la série), est traduit par André Payet, Tintin péi Tibé. Les Bijoux de la Castafiore, (1963, 21e de la série) sont devenus sous la plume de Robert Gauvin… Le kofré bijou la Kastafiore. 

La littérature pourrait aussi s’y intéressée. Avec Bato Likorn so sékré, pour la première fois, un écrivain (et pas seulement un créoliste) traduit Tintin.

Hors de l’océan Indien, Shenaz Patel (photo signée Thomas C. Spear, d’Île en île) est moins connue pour ses écrits en créole (Nouvelles de l’étrange,Voyages, Investigations) que pour son dernier et très beau roman, Le silence des Chagos (L’Olivier, 2005). Dans une langue à la poésie mélancolique et mélodieuse, Shenaz Patel épouse la destinée tournentée, humiliée du petit peuple de l’archipel des Chagos, qui depuis 1971 est dévolu à l’errance par déportation, autchtones interdits de séjour dans leur île natale, pour cause de géopoitique entre Britanniques et Américains (mon nom est Diego Garcia, île porte-avions militaires).

Pour Shenaz Patel :  » Cela me semblait aussi important pour faire avancer la langue créole, et il me semble que donner voix en créole à un « classique » aussi populaire que Tintin pouvait contribuer à cela mieux que bien des discours. Et le pari a été de mettre en place une graphie qui offre la plus grande lisibilité tout en respectant l’intégrité du créole en tant que langue à part entière. C’est un peu ma contribution au long débat sur la graphie à être adoptée pour le créole. »

« L’artisanat mauricien pourrait lui aussi en bénéficier. Depuis le début des années 70, une tradition récente s’est affirmée : la fabrication de maquette de bateaux. Et parmi eux, des maquettes de trois-mâts, typique fin de l’Ancien Régime, dont les noms nous rapprochent de la Licorne : le Superbe, l’Audacieux, le Fougueux, etc. Un parallèle que cite La librairie du soleil (La Réunion), à propos de Bato Likorn so sékré :
 » Un album plus que réjouissant, dont le thème principal (les bateaux anciens) rappelle le savoir-faire mauricien dans le domaine des maquettes de bateaux. Pour le reste, gageons que le capitaine Haddock apprécierait la saveur nouvelle qui lui est ici mise en bouche ! « Saveur, saveur, c’est d’ailleurs dans Le Secret… que le capitaine Haddock chante :  » Et Yo ho ho ! Et une bouteille de rhum !  »  D’Epsilon à Steven Spielgerg… On remarquera que la version en créole mauricien du Secret de la Licorne sort l’année au Spielberg a tourné l’adaptation de l’album d’Hergé. Sortie prévue en 2011. Patience !A parier que Tintin au Congo ne sera pas traduit de sitôt. Pour cause de racisme, depuis 2005, les librairies anglaises le déplaçaient au rayon… adulte. « Un bandeau rouge entoure la BD et met en garde le public qu’il s’agit d’une édition destinée aux collectionneurs. Elle prévient en outre que le contenu de la BD date de 1931 et qu’il contient des stéréotypes susceptibles de choquer les lecteurs d’aujourd’hui », précisait la Fondation Hergé.Déplacé en Angleterre, relégué en Enfer à New-York… Tintin vient d’être retiré des rayons de la librairie municipale de New-York. Les mécènes lui reprochent de véhiculer une image dégradante des Noirs, traités de singes, décrits comme paresseaux et idiots. (New-York Times du 29/08/09). Retiré et placé en  » Enfer « , pièce réservée aux livres interdits.

Bonne rentrée !

Léonora Miano, Les aubes écarlates  » Sankofa cry « 

Le roman :

Léonora Miano, Les aubes écarlates  » Sankofa cry « , éditions Plon

L’exergue :

Dans le souvenir de ceux qui soufflent sur ces pages, et dans l’espérance des fraternités.

L’épigraphe :

Voici que j’ouvre vos tombeaux ; je vais vous faire remonter de vos tombeaux, mon peuple […] et je vous installerai sur votre sol. Ézéchiel, 12-14

Or, comprenez, je ne vous donnerai pas quittance de vous-mêmes. Aimé Césaire, La Tragédie du roi Christophe.

L’incipit :

Exhalaisons

Peut-être nous entendras-tu, toi dont la conscience ne cesse de remuer l’intangible. Tu pressens, plus que tu ne saurais l’expliquer, que le sens des choses est également au-delà du visible. Alors peut-être entends-tu. Si tel est le cas, ne crains pas de comprendre, de rapporter notre propos.

Thème : les traites négrières

L‘auteur s’explique sur son site :
 » Les aubes écarlates est l’élément central de la Suite africaine de Léonora Miano, trilogie qui comprend les romans L’intérieur de la nuit et Contours du jour qui vient. Ce texte est central par sa position au sein de l’ensemble — dont il est le deuxième récit —, mais aussi par son propos.

Alors que la traite négrière est simplement évoquée dans les textes précédents, qui tracent un parallèle entre les formes actuelles du trafic humain en Afrique subsaharienne et les razzias opérées dans le cadre du commerce triangulaire, ou qui rappellent le mépris de certains Africains pour les populations issues de l’esclavage colonial, Les aubes écarlates est imprégné de la signification de ce crime pour le continent africain.  »

La critique est à venir.

À l’Ouest, toujours plus à l’Ouest…

Pour la rentrée littéraire, le choix est difficile. Soit aller vers l’Ouest, jusqu’à Ouessant et son Salon du livre insulaire, du 19 au 23 août, avec en invité, un archipel encore plus à l’Ouest : Saint-Pierre et Miquelon ; soit prolonger encore et encore plus à l’Ouest, direction le Pacifique, où la Nouvelle-Calédonie ouvre son SILO (ô grain magique ! conterait Taos Amrouche), le Salon du livre océanien, à Poindimié, du 2 au 7 septembre.

Choix difficile ou grand chelem littéraire ?

Pour la rentrée, sortez les pavés !

Le prix 2008 du roman Fnac largement mérité récompense Jean-Marie Blas de Roblès pour son roman Là ou les tigres sont chez eux, publié par les éditions Zulma . Un roman-monde comme on les aime, un pavé de 775 pages d’émerveillement, entre Brésil et l’Italie, l’histoire mémorable d’Athanase Kircher, jésuite savant du XVIIe siècle et de son double (?) sur terre, aujourd’hui, Eléazard, correpondant de presse dans la bonne ville d’Alcântara, province de Maranhão…

Sur l’auteur, sur l’ouvrage, sur l’éditeur, j’y reviens tantôt. Avec délectation.

(En 2007, le prix avait pour lauréate Nathacha Appanah, auteure de Le Dernier frère, édité par L’Olivier. Papalagui, 27/08/07.)

Partir (3) :  » Empirogué « , dites-vous ?

Dans le flot des livres de la rentrée littéraire, la collection Continents noirs de Gallimard publie un court roman de 83 pages, signé Abasse Ndione, Mbëkë mi, À l’assaut des vagues de l’Atlantique. Dans un élan lyrique incoercible, l’éditeur va jusqu’à écrire en 4e de couverture pour présenter l’ouvrage de l’auteur sénégalais :  » Le lecteur est emporté par l’espoir, l’immense beauté et cruauté de l’océan, la mort, le viol, la faim, la soif, les hallucinations, il est, lui aussi, le cœur au ventre, suspendu sur les abysses entre deux continents, empirogué jusqu’à l’autre rive…  »

 » Empirogué « , dites-vous ? Bon, on ne s’arrête pas à la 4e de couverture, c’est promis… On lit le livre… et on en reparle…

Yambo Ouologuem a aussi un prix

L’ écrivain ivoirien Isaïe Biton Koulibaly a remporté le Prix Yambo Ouologuem 2008 d’une valeur de 5 000 000 Fcfa pour son roman, Et pourtant, elle pleurait , (Frat-Mat édition, 2006). En recevant son prix, lors de la première édition de la Rentrée littéraire au Mali, du 17 au 19 janvier, Koulibaly a affirmé tout joyeux, rapport Afribone : « De tous les prix que j’ai reçu dans ma carrière d’écrivain, celui que je reçois ce soir est de loin le meilleur, parce qu’il porte le nom d’un des plus grands écrivains de ce monde ».

Yambo Ouologuem, écrivain malien qui vit près de Mopti, a été lauréat du prix Renaudot en 1968 pour un roman sulfureux à la plume radicale et tourmentée, Le Devoir de violence (Le Seuil, rééd. Le Serpent à plumes), chronique historique de l’Afrique et de ses esclavages.

Il est assez cocasse de voir récompenser un auteur de romans sentimentaux (Koulibaly est connu en Afrique francophone pour son titre Ah les femmes !) par un prix qui porte le nom de Yambo Ouologuem. C’est sans doute une manière de bénéficier de l’aura symbolique d’un auteur emblématique de la décennie des indépendances, auteur maudit pour un accusation rapide de plagiat et son  » inélégance  » à dénoncer les crimes et tabous de l’Afrique ancestrale. Senghor avait même utilisé l’épithète   » d’affligeant  » à propos du Devoir…

Olivier Adam, prix du roman France Télévisions

C’est donc au 5e tour de scrutin que les 25 jurés télespectateurs ont choisi l’un des 6 romans en compétition pour élire par 14 voix contre 11 à Christophe Donner, auteur de Un roi sans lendemain (Grasset), le livre d’Olivier Adam, A l’abri de rien, publié par L’Olivier, annonce faite par Olivier Barrot, président du jury de présélection. Au 4e tour avait été éliminé Indian Tango d’Ananda Devi, sans qu’on puisse dire qu’il s’est classé 3e, puisque en l’occurence, seul le 1er se voit décerner le prix du roman France Télévisions. Olivier Adam était 2e du Goncourt, derrière Gilles Leroy, auteur d’Alabama Song, roman éliminé assez tôt par les jurés télespectateurs.

A l’abri de rien est le roman intérieur de Marie, mère de famille du Nord de la France. Sa situation personnelle la confronte quotidiennement avec l’ennui -du couple et de la famille. Sa situation géographique l’amène à considérer l’Autre comme une planche de salut possible. L’Autre, c’est-à-dire les Kosovars, ainsi nommés les étrangers par les gens du bourg. Ces étrangers sont réfugiés en instance de départ pour l’Angleterre. Mais essayer de donner un sens à sa vie en morceaux ne va pas de soi.

De cette réalité, Olivier Adam tire prétexte à dessiner le portrait d’une femme à la dérive, comme des  » millions d’hommes et de femmes, invisibles et noyés, d’existences imperceptibles et fondues « .

Plusieurs des jurés ont exprimé une identification possible à cette héroïne, anti-héroïne plutôt :  » J’étais comme morte, une momie qu’on baise dans la nuit froide. » Envie de « se dissoudre dans la route ».

Olivier Adam a écrit le roman de l’exil intérieur, de celle qui vit là, la mal-vie, l’ennui permanent. Ecriture sèche : « c’était ma vie », cet « amour conjugual planqué sous la graisse du quotidien ».

Le décor est fait du « gris de la mer », du « sombre de l’eau et du ciel mélangés », qui laisse entendre le « vacarme de la pluie ». Et l’accalmie est décrite comme un « ciel calmé, déchiré en lambeaux d’acier ». Quand le soleil brille, c’est : « la ville dégoulinait de partout et brillait comme un capot de coiture neuve. »

Beaucoup de ces observations sont faites à travers une vitre, face à la mer.

Exemples de critiques :

Pour : Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur, 13/09/07

A l’abri de rien est écrit à la première personne du singulier féminin. Olivier Adam réussit l’impossible. Il se glisse dans la peau frigorifiée et la tête chavirée de cette suicidée de la société. Pendant 220 pages, pas une fausse note, pas le moindre artifice, pas trace de démagogie. «La graisse du quotidien et des emmerdes» n’est pas factice, elle imprègne vraiment les pages. La dépression, il l’exprime en connaisseur. La solidarité des damnés de la terre, on a l’impression de la toucher du doigt. Marie, c’est lui. J’ai lu dans «le Figaro» qu’on accusait méchamment Olivier Adam d’être «un romancier populiste». C’est bien vite oublier Carco, Guilloux ou Dabit, qui rêvait de vivre assez longtemps pour «assister au triomphe des éternels vaincus». Et c’est ajouter, aux malheurs de Marie, le vain mépris des gens heureux.

Pour : Stéphane Hoffmann, Le Figaro

A l’abri de rien n’est pas un roman social, ni un reportage sur les réfugiés de Sangatte. Dieu merci, Olivier Adam n’est ni Gilbert Cesbron ni Hervé Bazin. Il est bien plus fort que cela. Ce qui touche, ici, c’est la détresse d’une femme qui ne savait pas que rien ne dure, que les rêves s’envolent, et qui lâche prise. Elle raconte son histoire. «J’aime le lyrisme sec, la guitare voix, précise Olivier Adam. J’écris décharné, au plus près du nerf, en serrant tout. Je trouve la gorge serrée plus importante que les larmes. On me reproche les sentiments ? Et alors ? Nos vies sont animées par ça, je suis un sentimental.»

Contre : Josiane Savigneau, Le Monde

Mais qu’est-il arrivé à Olivier Adam ? Qu’est devenu l’observateur aigu et un peu distant des ratages de l’existence, des perdants, des personnes déplacées, celui de Poids léger, de Passer l’hiver, qui avait su faire de Falaises beaucoup plus qu’un catalogue du désespoir ? Aurait-il soudain basculé dans le camp de ceux qui croient que la bien-pensance peut tenir lieu de pensée ? On peine à le croire. Il traverse peut-être seulement une période d’incertitude.

(…)

On lui a bien dit d’emblée, « tu sais, ici, ce n’est pas un centre aéré pour les femmes au foyer qui s’emmerdent. Faut savoir dans quoi tu mets les pieds ». Dans quoi elle s’engage vraiment, elle est incapable de le penser. Mais Olivier Adam lui fait tenir un discours sur ces réfugiés et sur la société qui les malmène. C’est là que le roman bascule et que le lecteur a le sentiment que Marie parle faux. Il y a une sorte de confusion entre ce qu’un narrateur extérieur pourrait expliquer, interpréter, et le discours de ce personnage paumé, qu’on sait inapte à formuler de tels propos, à la première personne. On n’y croit plus. Et tout s’enlise dans les bons sentiments et les faux-semblants.

Contre : Alice Ferney, écrivain, Le Figaro, 30/08/07

À travers ce portrait de femme, Olivier Adam pourrait nous offrir un roman psychologique, réaliste et populiste. Hélas, il n’y réussit pas. Sans doute en fait-il trop, la voix chante faux. Bien sûr on croit parfois être ému. Pour tout dire, on s’y oblige : tant de tragique force la compassion. Le romancier est seul mis en cause : la matière de son texte et l’écriture font « fabriquées » (…)

Quand il frotte sa plume à l’actualité des sans-papiers, c’est un peu de Madame Royal contre Monsieur Sarkozy. C’est généreux et démagogique. Au fond, À l’abri de rien est un roman dans l’air du temps, peu écrit, peu senti, plein de bons plutôt que de vrais sentiments, à l’image de la quatrième de couverture qu’a rédigée son éditeur.

Notre avis : Cette lente dérive en folie est très maïtrisée. Marie va être emportée par la seule solution qu’elle a envisagée (aider les autres). Sa réalité, un moment parallèle à la réalité sociale, va se dissoudre dans la poisse. C’est glauque ? C’est une tragédie moderne : à la frontière infranchissable pour les Kossovars correspond la porosité des garde-fous personnels, qui n’offrent plus aucune protection dans ce monde. Les méchants sont tristement et strictement méchants. Risque de manichéisme. Certes c’est Marie qui voit les flics ainsi : « Ils les gazent un bon coup, ils les tabassent. » Mais pourrait-on dire cette curieuse impression qu’aucun effort littéraire ne leur est appliqué, alors que d’autres personnages secondaires (la famille de Marie) ont une belle présence ?

Cela pourrait donner une bonne pièce de théâtre, alors que l’on apprend qu’une adaptation du roman a été tourné pour la télévision. Diffusion sur France 3 prochainement de Maman est folle (sic). Le personnage de Marie est interprété par Isabelle Carré. Scénario, cosigné par Olivier Adam et Jean-Pierre Améris, également réalisateur.

Le Médicis à Jean Hatzfeld, le Femina à Eric Fottorino

 Le prix Femina  2007 a été attribué à Eric Fottorino pour Baisers de cinéma (Gallimard).    Le prix Médicis  2007 du roman a été attribué à Jean Hatzfeld pour La stratégie des antilopes (Seuil).

Le prix Femina 2007 du roman étranger a été attribué au Britannique Edward Saint Aubyn, pour Le goût de ma mère (Christian Bourgois). Et le Médicis étranger est allé à l’unanimité à l’Américain Daniel Mendelsohn pour Les disparus (Flammarion).
Le Femina et le Médicis de l’essai ont récompensé respectivement Gilles Lapouge pour L’encre du voyageur (Albin Michel) et l’Américaine Joan Didion pour L’année de la pensée magique (Grasset). Cécile Ladjali a reçu un  Femina spécial de la défense de la langue française pour Mauvaise langue (Seuil).  

Le Prix Goncourt des lycéens a été décerné à Philippe Claudel pour Le rapport de Brodeck paru aux éditions Stock. 

Alabama song, le brio d’un écrivain

Alabama song

Il était le favori de François Nourissier. Gilles Leroy vient de remporter le prix Goncourt 2007 pour Alabama song (Mercure de France). Comme rarement un livre n’était autant présent sur les listes des prix littéraires de la rentrée. Cela fait de la place pour les autres candidats au Médicis et au Renaudot (remporté par un écrivain consacré mais pas sur la liste, Daniel Pennac, pour Chagrin d’école [Papalagui, 29/10/07]). Leroy est encore en lice pour le prix roman France Télévisions.

Alabama song est le portrait émouvant et tragique de Zelda Sayre, futur Mrs. Francis Scott Fitzgerald. Elle est fille du Juge, notable du Grand Sud, où courent les préjugés racistes en ce début de siècle, un  » cloaque de chic «  selon Zelda, héroïne magnifique, amoureuse malgré la souffrance de cet amour qu’elle endure… Scott  » sous l’emprise – l’empire – «  duquel elle sombrera.

Le mot qui vient à la lecture du roman : brio de l’auteur qui sait donner de l’épaisseur aux sentiments, comme un écrivain de talent, doué mais travailleur. Il alterne les chapitres où son personnage décrit ses états d’âme, ses tourments, la psychologie fine qu’elle a a des hommes et les chapitres où plus âgée elle se confie à chacun des nombreux psy. qui l’ont suivie  » Il a choisi les plus renommés des psychiatres. Ainsi restons-nous entre célébrités.  » :

 » Vous étiez trop jeune, docteur, vous ne pouvez pas vous imaginer, à nous voir décatis aujourd’hui et tombés dans l’oubli, comme nous étions célèbres, l’idole et moi – « son Idéale », disaient les chroniqueurs mondains.  »

Scott et son homosexualité progressivement révélée. Amour-haine aux liens savamment évoqués, composés d’un usage subtil des dialogues, descriptions, réminiscences, notations sur l’enfance, ses espoirs fous et sans vergogne :

 » Scott aimait sa roulure aristo, sa crottée à l’esprit cinglant, sa meilleure alliée sur la couverture des magazines. Scott, ce qu’il aimait et désirait, c’était sa Southern Belle. pas un travelo dans le miroir.  » 

et, vers la fin d’un roman qu’on sent porté par l’admiration et l’amour de son auteur pour son personnage, qui l’écrit en partie ce roman :

 » On dit que ma folie nous a séparés. Je sais que c’est juste l’inverse : notre folie nous unissait. C’est la lucidité qui sépare. «