que l’on dit au Japon : 良いお年をお迎えください en le prononçant avec plein de « O » et de douceurs : yoï otoshi o omukae kudassaï, et que l’on accompagnera d’un haïku de Gotô Yahan (1895-1976), dans une traduction d’Alain Kervern (lire son magnifique recueil Haïkus des cinq saisons, Géorama Éditions) :
Que du rêve de l’An Neuf puisse l’éventail largement s’ouvrir
Aux amis de langue arabe, du Maghreb, d’Égypte, de Syrie, du Liban, d’Irak, du Yémen, du Golfe, je dis : كل عام وانتم بخير (prononcé : kul ‘ām wa ‘antum bikheir) en compagnie de Nouri Al Jarrah, poète syrien de Londres, auteur d’Une barque pour Lesbos (2016) (lire Le sourire du dormeur, son anthologie poétique traduite par Antoine Jockey pour les éditions Sindbad Actes Sud, de Farouk Mardam Bey) :
J’ai aperçu l’éclair venant de l’Orient Et subrepticement il a illuminé L’Occident J’ai vu le soleil immergé Dans son sang La mer agitée Et l’éclat du passé pillé à l’intérieur des livres.
Aux amis ouïghours, je souhaite : يېڭى يىل مۇبارەك (prononcé : yëngi yil mubarek), avec cet extrait de la poésie de Lutpulla Mutpellip (1922-1945), traduite par Dilnur Reyhan, dans l’anthologie Littérature ouïghoure, Éditions Jentayu :
Peu importe ce que les années offrent de barbe Moi aussi, je serai mûr dans leurs bras. Il y a la marque de mes œuvres, de mes poèmes, Dans le cou de chaque année qui fuit devant moi.
Aux amis haïtiens, aux amis d’Haïti et des Caraïbes, je dis, avec Guy Régis Jr. : « Onè respè 2023 » (Honneur et respect). 🦋
est proféré à l’ouverture d’un discours d’importance. (رەھمەت بەختى)
L’énoncé prévient qu’une « parole » a été mûrement réfléchie et préservée. L’orateur va la délivrer spécialement pour les circonstances. Il pèse ses mots, l’instant est solennel, et ce qu’il va dire l’engage et probablement engage d’autres que lui, une parole qu’il ne va pas ravaler mais qu’il va réveiller.
Pour dire, par exemple, que les deux journées de rencontres universitaires sur la culture et la langue ouighoures, à l’INALCO et à l’EHESS sont utiles. Elles sont la preuve d’une résistance et d’une recherche actives dans la diaspora, solidaires des femmes et des hommes persécutés au Xinjiang chinois. On peut s’inscrire via le site de l’institut ouïghour d’Europe.
Là où le français dit : « Il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. », la langue ouïghoure préfère l’adage : « Mesurer sept fois, couper une fois », soit : « Yette ölchep, bir kes », qui s’écrit : يەتتە ئۆلچەپ، بىر كەس
Xosh xewer (bonne nouvelle) : à partir de cette semaine Dilnur propose trois cours différents : langue, histoire et littérature ouïghoures. La situation faite aux Ouïghours en Chine n’est sans doute pas étrangère à cet engagement de l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales) en faveur de la culture ouïghoure.
Ce lundi, l’ouïghour nous prend de court : le cours de langue a été avancé de 2h30, il commence dorénavant à midi au lieu de 14h30. Shum xewer (mauvaise nouvelle) : personne de mon groupe n’a semble-t-il été prévenu, ou bien le changement d’horaire était impossible à suivre pour certains. Plus rapide que l’Inalco, Facebook relaie l’information par une belle affiche :
Nous n’étions que deux étudiants lors de la première séance, cinq dans la deuxième. Aujourd’hui la salle attribuée est trop petite. Nous sommes environ une vingtaine.
Une étudiante en persan propose un changement de salle au même étage. C’est beaucoup mieux.
D’emblée, Dilnur met les choses au point lorsqu’elle entend un léger chahut en fond de salle : « Si vous êtes turcophone, c’est un devoir pour vous de sauver l’ouïghour car sans le ouïghour il n’y aurait pas de turc. C’est comme si pour un francophone on lui faisait disparaître le grec et le latin. La civilisation ouïghoure est la pierre angulaire de la civilisation turque. »
Cette parole très offensive est redoublée d’un message explicite : « Ce n’est pas la quantité (la taille du groupe) qui m’intéresse mais la qualité ».
Apparemment le message fait mouche.
Ma voisine me réclame une feuille pour prendre des notes, puis une deuxième pour sa voisine, puis une troisième pour la voisine de devant. Ces étudiants s’expriment entre eux en turc et en français.
Puis ce sera une floppée de mots ouïghours : de l’habillement aux mots de salutations. Les premiers à chahuter sont les premiers à poser des questions, à demander comment on dit tel ou tel mot en ouïghour.
Preuve qu’en Asie, l’ouïghour est un des carrefours, Ouzbeks et Ouïghours se comprennent à 90% et la langue emprunte à de nombreuses langues voisines aujourd’hui ou hier. Au russe : « popayka » (pull-over) ; aux langues européennes : « kastum » désigne… le costume, « sharpa » l’écharpe ; de l’arabe vient cette expression « quedir ehwal » pour « ça va aller », alors que qudir signifie « destin » en arabe et el-hal « la situation, l’état » ; d’autres mots proviennent du persan ou du kurde : « xuda » dans les deux langues signifie Dieu. Ces mots écrits en caractères latins ne doivent pas tromper : les 32 lettres de l’alphabet ouïghour sont issues pour 27 d’entre elles de l’arabe et pour 5 du persan. Ainsi ouïghour s’écrit : ئُويغور.
Les étudiants intéressés par l’ouïghour étudient par ailleurs le turc (le turc et l’ouïghour appartiennent à la même famille des langues dites turciques), l’arabe, le persan, le russe, l’ouzbek, le kurde… Ma voisine fait une recherche sur une langue arabe en voie de disparition, l’arabe chypriote, parlée par un petit millier de locuteurs.
La plus belle trouvaille pour aujourd’hui restera ce « paytima », qui désigne une espèce de bandage contre le froid entourant le mollet, une sorte de guêtres. Paytima désigne au sens figuré un « lèche-bottes » et « paytima qilmaq » c’est piétiner quelqu’un alors que « paytima bulmaq », c’est être piétiné par quelqu’un. Très vite on est donc dans le bain.