Bookcrossing latino… « le jour B »

« Lâchers de livres » dans le cadre de cette journée du printemps et de la « bibliodiversité »… une manifestation imaginée par le réseau hispanophone de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants autour de l’éditeur argentin Guido Indij

Des rencontres littéraires, des animations en partenariat avec des librairies indépendantes, des débats et des conférences dans des parcs avec des auteurs ou encore des “lâchers de livres” dans l’espace public devaient marquer, mardi 21 septembre, la première Journée internationale de la bibliodiversité lancée en Amérique latine à l’initiative d’éditeurs d’Argentine, de Bolivie, du Chili, d’Uruguay, du Mexique et de Colombie.

Un bookcrossing latino ?

Voir le site El dia B

Éloge de la lecture, par Hubert Védrine

Hubert Védrine, ancien Secrétaire général de l’Élysée (1991) et ministre des affaires étrangères (1997), interviewé par Marie-Laure Delorme pour Le Journal du dimanche, 20/06/10.

Extrait :

« Les hommes politiques sont aujourd’hui, en moyenne, peu cultivés. Ils ne lisent pas parce qu’ils ne trouvent pas le temps. Mais à quoi passent-ils leur temps ? Ils jugent que ce n’est pas prioritaires, pas utile de lire. Cela légitime une sorte d’acculturation moyenne dont aucun écran ne peut combler le vide. Moins ils lisent, moins ils sont capables de faire passer des messages essentiels. Cela contribue à la perte de sens. Si l’on constate comment marche la fabrique des hommes politiques, on n’est pas étonné du résultat. Il n’est pas indispensable d’être très cultivé pour faire l’ENA, encore moins pour être communiquant ! Cela n’a rien à voir avec Normale sup.(…)

Les nouvelles générations ne lisent pas.

Elles passent de plus en plus de temps devant les écrans, où tout déferle en vrac, et ignorent la littérature, raccourci magique vers les compréhensions de l’âme et le sens de la vie. Paradoxe de la communication : des gens, qui passent leur temps à communiquer partout dans le monde par écrans interposés, ne se saluent pas dans l’ascenseur. C’est plus que de l’acculturation, c’est de la barbarisation. On est hystérisés. La lecture est un antidote à cela. Il existe dans la lecture une lenteur et une densité nécessaires à la construction de l’homme. (…) Je crois sincèrement qu’il faut réintroduire l’éblouissement de la lecture dans les vies d’aujourd’hui.

Porteurs de livres, porteurs de valises

Des hauteurs de Belleville, la vue sur Paris par soleil couchant, en ce samedi d’automne, ciel dégagé, brume de chaleur léchant les toits, a quelque chose de doucement merveilleux. Ô spectacle tranquille ! De ce promontoire les piétons plongent le regard dans le décolleté de la capitale. Son panoramique se déploie au grand angle, quiétude qui révèle une cité chatoyante, aux myriades de lucioles lointaines, pointillés démultipliés à l’envi.

Sous l’emprise d’un Muscadet bio, on pourrait s’abîmer dans la contemplation de ce tableau pour peintre impressionniste. Mais, en-deçà, résonnent les ambiances de la rue des Envierges et de son bar de proue, le bien nommé La Mer à boire. Karlex se prépare pour le concert du soir, organisé par le Collectif 2004 images. Aux murs des photos de Fred Kœnig, des peintures d’Elodie Barthélémy.

Les militantes de l’association Monique Calixte font les comptes. Elles ont vendu pas mal de livres en cette  » journée d’escale haïtienne « . L’argent ira aux bibliothèques de Port-au-Prince.

Elles envoient de l’argent mais des livres aussi. Il y a quelques jours un voyageur bénévole est parti avec plusieurs dizaines d’ouvrages. Pas n’importe lesquels ! Que du nécessaire, du bon et du neuf, pas des papiers empoussiérés, tirés de vide-greniers expéditifs, mais des titres jeunesse ou classiques. Il faudrait plus de livres universitaires. Et comme on fait bien les choses, le curieux ou le sympathisant pourra consulter la liste des titres sur le site de l’association…

 

Qu’on en juge : des romans, tel celui de Chris Abani, Graceland, traduit de l’anglais (Nigéria) par Michelle Albaret-Maatsh, ou les Nouvelles de l’île Maurice signées Shenaz Patel, Vinod Rughoonundun, Anada Devi, Sailesh Ramchurn et Bertrand de Robillard, éditées par Magellan & Cie/Courrier international, ou encore le livre de Mia Couto, Chronique des jours de cendre, traduit du portugais (Mozambique) par Maryvonne Lapouge-Pettorelli, ou encore : Zora Neale Hurston, Une femme noire, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Brodsky, L’Aube poche, ou encore : Ken Saro-Wiwa, Mister B. Millionnaire, traduit de l’anglais (Nigéria) par Kangni Alem, Dapper, coll. Au bout du monde. Même la belle littérature haïtienne vient en Haïti, comme le montre cet envoi : Marie Vieux-Chauvet, La danse sur le volcan, préface de Catherine Hermary-Vieille, Maisonneuve & Larose, coll. Soley.

Entre 2003 et 2008, plus de 900 livres neufs et près de 15 000 euros ont été envoyés à la Bibliothèque Monique Calixte de Port-au-Prince.

Ce travail de fourmi, fait de passon pour le livre, d’attachement pour Haïti et de solidarité par le menu, complète admirablement des appels à  » l’insurrection des imaginaires  » lancés par Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, comme si, après l’époque des porteurs de valises, était venu le temps des porteurs de livres.

Pour voir clair dans le Roman Noir

A signaler pour les futurs amateurs à peine aguerris, à la fois curieux du genre et par avance enthousiastes d’un que-sais-je-qui-serait-écrit-par-un-homme-de-plume, on recommande avec empressement un merveilleux opuscule qui deviendra certainement un véritable opus, publié par L’Oeil Neuf éditions : Une brève histoire du roman noir, du maître Jean-Bernard Pouy…

Papini, une Vie de Personne

J’aime les librairies aux caisses entourées de livres minuscules, de petits formats, petits prix, ou coups de coeur du libraire. La librairie l’Atelier, rue du Jourdain, Paris XXe, dont j’ai vanté les mérites à l’automne, propose en vitrine une collection éditée par FMR/Panama et dont chaque ouvrage est préfacé par José Luis Borgès.

Le Miroir qui fuit de Gioanni Pannini est un de ceux là. Le titre dit bien le fantastique de l’affaire. Passons. A côté, les libraires ont disposé un livre de 47 pages, Le Vie de personne, édité par Allia, dans une collection repérable immédiatement, à 3 euros, qui suscite l’éloge.

Ce Papini écrit tout d’abord quelques pages pour dire à un ami qu’il ne saurait lui dédié son livre, à l’incipit incisif :

Cher Vannicola,

Je n’ai aucunement l’intention de te dédier ce petit livre qui n’est en rien  » exceptionnel « . Je n’ai jamais dédié mes livres à personne [etc.]

Papini serait-il un Diogène vivant de peu ? Un vrai cynique ? Un lucide déplorable ?  Réponse, selon la notice du Larousse :

 » Écrivain italien (Florence 1881 – id. 1956). Fondateur de nombreuses revues parmi lesquelles Leonardo, Lacerba et Rinascita, au centre de la culture futuriste, c’est dans l’autobiographie (Un homme fini, 1912 ; Récits de jeunesse, 1943) et la poésie (Jours de fête, 1918 ; Pain et vin, 1926) que sa philosophie d’autodidacte visionnaire et tourmenté s’exprime avec le plus d’originalité (le Crépuscule des philosophes, 1936).  »

Plus nettement, l’Encyclopaedia Britannica, écrit de Papini :  » l’une des figures littéraires les plus iconoclastes et les plus controversées du début et du milieu de XXe siècle.  »

Dans la bibliographie, on trouve des références qui qualifient d’une part son  » expérience futuriste  » (1913-1914), d’autre part son  » odyssée intellectuelle entre Dieu et Satan « , selon le titre d’une biographie de Lovreglio Janvier.

Et pour confirmer le goût délicieusement nauséeux de l’incipit de La Vie de Personne, le héros de l’un de ses romans, Gog, semble conforme : « Elle ne te paraît pas misérable cette vie, et petit ce monde ? » Pour faire passer son ennui, Gog, homme riche et excentrique, n’hésite pas à acheter un pays, créer des temples, monter une entreprise de poésie, collectionner des géants, des sosies, des squelettes, des cœurs d‘animaux vivants…  résume Tatiana sur son blog.

Pour Le Matricule des Anges :  » Se déploie sous la plume de Papini une vision cynique, agressive et parfois paranoïaque de la réalité sociale et culturelle qui confine souvent à la prophétie. Il faut rappeler que le roman fut traduit en 1932 chez Flammarion dans une version curieusement tronquée de cinq chapitres éloquents, rétablis ici soit avant la Seconde Guerre mondiale et le rugissement industriel, boursier et  » libéral  » du dernier demi-siècle. Le chapitre  » Pédocratie  » est à ce titre éloquent : Papini y dévoile peu ou prou le jeunisme à venir, le culte de la nouveauté, la  » monétisation  » des rapports entre classes d’âge, l’obsession de la vitesse et de l’instantanéité, etc. « 

Les 47 pages de La Vie de Personne ne démentent pas le profil tourmenté de Papini.

Nul autre que lui, semble-t-il, n’aurait pu décrire avec tant de désepérance le point de vue radical d’un foetus sur sa naissance et sa trajectoire toute tendue vers la mort (p.42) :

 » L’homme naît prisonnier dans le ventre maternel ; et il en sort en pleurant, et à peine l’enfance heureuse touche-t-elle à sa fin qu’il redevient prisonnier des lois et des jugements de ses compagnons de servitude ; seul le génie reconquiert au prix du sang et des larmes une douloureuse arrhe de liberté -et à la fin la Mort, qui emprisonne de nouveau le corps entre quatre planches, nous promet l’évasion définitive dans le néant. Chacun de nos efforts, chacune de nos peines réussit à passer d’une cellule à une autre, et c’est dans ces passages que nous respirons assez de ciels pour supporter les hivers infinis de la solitide sans porte de sortie.  »

A la suite de Pierre Bayard, pensant à l’extrême lucidité de Cioran, voire à son nihilisme ontologique, on pourrait évoquer à l’aune de son dernier essai, aux éditions de Minuit, un  » plagiat par anticipation « .

Encore cet extrait sur la vertu du silence (p.14) :  » Le parler au moyen de paroles avec les autres hommes n’est qu’un cas particulier – même s’il est fréquent – de notre bavardage infini.  »

On préfère cette notation :  » Le souvenir, dans le monde, est tout. Le souvenir est la poésie, le souvenir est l’histoire, le souvenir est le bonheur – spécialement le bonheur.  »

[pour la photo de couverture cf. le site de Richard Vantielcke]

Moins de 100 livres par foyer, mais où ?

Côté pile, comme  » positif  » : en France, le nombre moyen de livres par foyer serait de 156 ; le temps moyen de lecture des livres serait de 38 minutes par jour.

Côté face, comme  » négatif  » : 39% des foyers possèdent plus de 100 livres, autrement dit : 6 ménages sur 10 possèdent moins de 100 livres ; et si la moyenne de lecture des livres est de 38′ par jour, cette occupation ne vient qu’en sixième position après regarder la télévision (3h07′), naviguer sur Internet (2h17′), écouter la radio (1h20′), voir ses amis ou sa famille (59′) ou écouter de la musique (54′).

Cette enquête  » Les Français et l’entertainment  » (sic) a été conduite par l’institut GfK. Le site Bibliofrance en donne quelques détails, mais pas tous…

Quels livres sont-ils lus ? Mais où ? Et comment ?

Moins de 100 livres par foyer pourrait paraître peu. Sauf si chacun a su composer sa bibliothèque idéale. Quant au 38′ de lecture quotidiennes, cela paraît -pour une moyenne- beaucoup, non ?

A noter que la dernière étude décennale sur les pratiques culturelles, actuellement en cours de dépouillement par les sociologues du ministère de la culture, devrait être publiée en mars 2009.

En attendant, méditons ce mot d’enfant :  » Où je suis quand je lis ? « , rapporté par Claude Ponti, auteur célèbre d’albums, interpellant son interviewer du Monde 2, Frédéric Potet, le 6 décembre dernier :  » Trouvez-moi un écrivain majeur, mature, reconnu -même moyen à la rigueur – qui soit capable de poser une telle question ! « 

Le Grand Cahier de nouveau dans le collimateur

Littérature et ordre moral, rebelote ! Il y a quelques jours, nous évoquions ici l’émoi de parents d’élèves d’un lycée de La Possession à La Réunion, provoqué par la lecture en classe d’une nouvelle de Jean-Luc Raharimanana, Le Canapé, extraite du recueil Rêves sous le linceul.

Cette affaire en rappelait une autre, littérature prise au feu des questions morales soulevées par des parents d’éleves, avec Le Grand Cahier, d’Agotha Kristof.

Et bien, c’est outre-Atlantique que des parents outrés tirent à boulets rouges sur une oeuvre littéraire, comme s’il s’agissait d’un tract appelant à la débauche.

Le Journal de Montréal, du 26 octobre, sous la plume de Joanie Godin titre sur  » Le grand cahier d’Agota Kristof, un livre qui dérange «  Là aussi, il s’agit de parents réactifs et d’une direction d’école acquiessant devant ce  » classique (…) qui allait rester sur les tablettes. « On respire !

Minorité noire, minorité latino

Témoin du bilinguisme voire du biculturalisme grandissant des Etats-Unis de l’ère Obama, cette Encyclopédie de l’espagnol des Etats-Unis, édité par l’Institut Cervantès et présenté le jour de la Fête nationale espagnole à Madrid (El País du 13/10/08 ).

Dirigé par López Morales, ce livre de 1 200 pages est signé par 40 experts du monde latino (notice détaillée ici).

Aux Etats-Unis, 15% de la population est d’origine hispanique, et en 2050 le pays devrait être le premier pays hispanophone au monde avec quelque 130 millions de locuteurs.

Les bilingues anglais/espagnol gagnent en moyenne 17 000 dollars de plus par an.

A lire, en français, cet essai publié en 2005, de James Cohen, maître de conférences à l’université Paris VIII (Saint-Denis) et à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (Paris) :