Le séminaire du philosophe de l’art Georges Didi-Huberman, à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), est consacré cette année aux « Passés cités (par Jean-Luc Godard) ».
Extrait de la première séance, lundi 18 novembre 2013 :
« Un passé qui passe mal, ça nous rend aveugle au futur. Je pose des hypothèses. Une cécité quant à nos désirs mêmes. On pourrait dire : on peut très bien se passer du passé pour avoir un désir. Je répondrai très brièvement : un désir exige de prendre forme. Un désir doit prendre forme. Et quant à la forme, elle transforme toujours une autre forme qui lui préexiste. La forme, elle, est indissociable d’une mémoire des formes. Donc, configurer un désir c’est fatalement en passer par le passé. En passer par la mémoire en tous cas des formes.
Alors, les poètes, les historiens, les philosophes, les artistes sont des gens qui souvent tentent de faire acte de regard et acte de parole, pour que le passé passe un peu. Passe, ça veut dire deux choses : qu’il nous atteigne, et qu’il puisse nous quitter, du coup, qu’il passe, qu’il passe vraiment, afin que la cécité du présent cesse un peu.
Les artistes, les poètes, les penseurs inventent des formes donc, pour résister à cette fausse normalité du temps qui ne fait que passer. Ça c’est la problématique de Pasolini. La Rabbia de Pasolini [« La Rage », 1963], c’est une protestation contre la normalité du temps qui ne fait soi-disant que passer, qui passe tranquillement. La fausse normalité. Et puis, il faut résister de la même façon contre les faux événements, la société fait parade de beaucoup d’événements, elle s’enivre d’événements, des faux-événements.
L’enjeu c’est de réengager l’histoire dans nos désirs. Et un des gestes les plus simples pour commencer serait de citer le passé, faire une citation. Acte modeste. Et je dirai plus précisément, citer les passés. Il y a beaucoup de passés. On est environné de passés hétérogènes, proches, distants, anachroniques, co-existants. Citer les passés qui s’enchevêtrent et qui s’entrechoquent dans chaque moment de la conscience qu’on peut avoir de ce qui se passe dans le présent.
Godard c’est évidemment un très grand inquiet de toutes ces questions. Un grand inquiet du présent en tout cas… »
etc.
Autre conférence de Didi-Huberban à suivre, sur Pasolini, à la Cinémathèque française, le 28 octobre dernier.
Bonjour,
A tout hasard, vous n’auriez pas des enregistrements audio de ce séminaire ? Ce serait formidable.
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