Haïku en trois langues

雲追人

أسيرُ  خفيفاً   خفيفاً 

ήλιος ο πρώτος

Chasseur de nuages

je marche léger léger

soleil premier

Qui dit haïku, dit trois lignes de 17 syllabes. Alors, pourquoi pas trois langues ? Prenez, par exemple, un ciel de japonais, une pincée d’arabe (emprunté à Mahmoud Darwich), un parfum de grec (emprunté à Odysseas Elytis). Excusez du peu. Le tout donne une forme de poésie rébus, de chant polyphonique pour le voyage, car aisément transportable, au coût carbone dérisoire…

Et si le cœur vous en dit, vous pourrez prolonger par la lecture de Mahmoud Darwich, dans son Anthologie poétique, bilingue (1992-2005), poèmes choisis et présentés par Farouk Mariam Bey, traduits de l’arabe (Palestine) par Elias Sanbar (Actes Sud, 2009) ; ou d’Odysseas Elytis avec Soleil premier, suivi de Soleil soleilleur, traduit du grec par Laetitia Reibaud, édition bilingue, Éditions Unes, 2025.

[C’est la forme réduite (mais plurilingue) de la poésie des titres ou cadavre exquis de titres, jeu qui faisait florès lors du confinement lié au Covid. Prenez une série de titres de livres, quel que soit leur genre. Vous les empilez dans un certain ordre, jusqu’à obtenir une composition poétique. N’oubliez pas de prendre la photo de la pile, dos bien visibles, pour la publier sur les réseaux sociaux. En anglais : Spine poetry.]

seul ce chemin

9 novembre 1930.

« Fa-yen [Maître ch’an (zen) chinois, fondateur de l’école ch’an portant son nom (885-958)] a dit : « chaque pas est une arrivée ». Oublions la marche passée, ne pensons pas à la marche à venir. Un pas, un autre pas, ni hier ni demain, ni est ni ouest, un pas équivaut à la totalité. Parvenu à ce stade vous comprendrez la signification de la marche zen. »

しぐる、や道はーすぢ

[Shiguru, ya michi wa — su dji]

il bruine

  seul ce chemin

à suivre

« Santoka, journal d’une moine zen. Zen, saké, haïku », traduction Cheng Wing fun et Hervé Collet, Moudarren, 2003, 2013, p. 20.

frontières • σύνορα

En voyage

je me joue des frontières 

je confonds les pays

Une fois n’est pas coutume, un haïku traduit du grec moderne. L’original est signé Vasilis Koltoukis (Βασίλη Κολτούκη) [voir son site] qui a écrit :

Στα ταξίδια 

μου σκορπάω τα σύνορα 

μπερδεύω χώρες

Détail du contenu du recueil de haïkus de Vasilis Koltoukis. Source : site photographique iFocus.

Une traduction proposée par goût du… déséquilibre, comme dirait le traducteur de métier, Claro :

« À chaque fois, force est de reconnaître que si l’écrivain se met à la traduction, c’est parce qu’il veut faire l’expérience d’un déséquilibre… » 

À ce jeu de miroirs formant déformant, ce lieu de passage de langue à langue, les traducteurs et traductrices littéraires osent un subtil déséquilibre où l’impossible est possible, l’intraduisible traduisible, le risque payant. 

Il est des traducteurs qui poussent très loin le déséquilibre, sinon par goût du moins par nécessité.

Genre d’auteur traducteur omniscient, André Marcovicz s’est essayé à la figure du traducteur ignorant. Ce qui est une forme de déséquilibre extrême.

Avec « Ombres de Chine », récemment réédité (Actes Sud) il s’est risqué à traduire des poètes de l’époque Tang (entre les VIIe et IXe siècle) en lisant beaucoup beaucoup d’autres… traducteurs, sinisants patentés. Ignorant du chinois mais pas d’autres langues (russe, anglais, allemand, quelques langues latines, etc.), le traducteur ignorant est ici multi-traducteur.

S’inspirant d’authentiques écrivains traducteurs, pourquoi le débutant ne s’y risquerait-il pas ? Il n’est soumis qu’au risque du ridicule.

Après quelques cours de grec, par exemple, poussé par le goût du risque plutôt que du ridicule, essayons-nous à traduire ces deux haïkus de Vasilis Koltoukis, poète et photographe (qu’il nous pardonne !) (ou pas), extrait du recueil de haïkus « Mικρές σταγόνες » [Petites gouttes] aux éditions Eurasia Εκδόσεις Ευρασία, 2021) :

Στα ταξίδια 

μου σκορπάω τα σύνορα 

μπερδεύω χώρες

et :

Λευκό γιασεμί

δρόμο κρυφό βαδίζεις 

μέσα στη νύχτα

Sollicitant plusieurs ressources, surtout amicales, sans toujours adopter intégralement leurs propositions (débutant mais têtu), les travaillant dans une forme de collectif improvisé (je pense aussi aux ateliers de traduction collective du polonais au français d’Agnieszka Zuk), j’ai cheminé avec Benakis Matsas et Nicole Parus-Albinet jusqu’à ces versions :

En voyage

je me joue des frontières 

je confonds les pays

et :

Jasmin blanc

tu avances sur un chemin secret

dans la nuit

Dans la nuit, justement, sur un quai de métro, station Belleville, ligne 11, m’a attiré cette affiche du Printemps des poètes qui propose ces mots d’Anise Koltz (L’avaleur de feu, éditions Phi, au Luxembourg), qui écrivit sa poésie en allemand dans la première moitié de sa vie, puis en français dans la seconde moitié :

Je ne trace pas de cercle 

Je le franchis —

Je veux des mots comme des éperviers 

volant 

fonçant

ivres de soleil.

concombre

Dans la carafe flotte

une rondelle de concombre —

presque l’été

haïku écrit au restaurant Laolao, Paris XXe, inspiré de Takahama Seishi (高浜虚子), traduit par Maurice Coyaud :

水甕に

蟻の浮きたる

影もなし

[Mizume ni / ari no ukitaru / kage monashi]

Dans la jarre d’eau

flotte une fourmi

sans ombre

haïku éponyme du livre très recommandé de Maurice Coyaud, Fourmis sans ombre, le livre du haïku, éditions Libretto, 1999.

Le concombre n’avance pas toujours masqué. Cette rondelle rappelle aussi, Propos sur la racine des légumes, de Zicheng Hong [philosophe chinois (1572–1620)], 2011, chez Philippe Picquier, en 2011, réédité par Zulma en 2025, ouvrage présenté ainsi dans sa première édition : « Au carrefour de trois courants spirituels (confucianisme, taoïsme et bouddhisme), ces propos développent une philosophie issue de la fin de la dynastie des Ming : adhésion à la nature et idéal de liberté, art de vivre et quête d’une maîtrise de soi. »

Halte!Haïku n°13

Poursuivie 
la luciole s’abrite
dans un rayon de lune

Ce haïku d’Ôshima Ryôta, poète japonais du XVIIIe siècle (trad. C. Atlan et Z. Bianu), nous accompagnera lors d’une balade-haïku nocturne en forêt de Fontainebleau, vendredi 13 juin, à partir de 21h. Avec Florian Targa. 

C’est l’une des balades à venir, présentée dans Halte!Haïku nº13, dont une Balade-haïku nature, avec Clotilde Rouanet, près de Sens (Yonne), et autres rubriques, ateliers, florilèges, etc.

Dans les rubriques, voyage en atelier d’écriture avec Hubert Haddad, à l’occasion de la réédition de son Nouveau magasin d’écriture (Zulma) et retour sur deux balades-haïkus, en forêt de Saint-Germain-en-Laye et près de Passy (Yonne) [photo ⬆️].

Pour les détails, consulter Halte!Haïku, mensuel des balades-haïkus :

cliquer ici ⤵️

« Halte ! Haïku » n°12

Halte ! Haïku, « Fantaisie sur les balades-haïkus paraissant quand il est temps », publie ce 1er mars sa 12e édition. 

Au menu : un éloge du haïku par un poète papou ; un poème « le dit du haïku » ; un extrait de Galaxie Chaos-Babel, livre spirale de Frankétienne, artiste et poète haïtien, disparu récemment ; un écho de deux revues de haïkus, L’Ours dansant et L’Estran ; une citation d’Emil Coran sur « l’infime » ; le mot (japonais) du mois : 山笑う (yama warau), qui désigne la floraison des montagnes au printemps ; et quelques autres friandises, signées Jacques Prévert, Patrick Chamoiseau, Mireille Gansel, Géraldine Moreau-Geoffrey, Birima Ba, lauréat d’un concours de haïku au Sénégal.

Consulter :