Le viol, arme de guerre en Syrie : « Ne pas se résigner à l’impunité »

En Syrie, en matière de viol de guerre, cela fait longtemps que « la ligne rouge » a été franchie. Mais, malgré les horreurs entendues ce dimanche 11 mars 2018 à l’Institut du monde arabe (IMA), malgré les violences sexuelles subies, accompagnées d’humiliations, de souillures physiques et psychiques d’un perversité incroyable et, accessoirement d’une langue profondément dégradée, violences quelquefois collectives, même devant la famille, malgré les nombreux rapports qui attestent de ces crimes de masse (de guerre ? contre l’humanité ? génocidaires ?), il se peut que « l’on ne se résigne pas à l’impunité », comme l’ont appelé de leurs voeux les invités de l’éditeur Farouk Mardam-Bey et de la bibliothécaire Racha Abazied.

La question tabou du viol a été levée en France par le documentaire de Manon Loiseau et Annick Cojean, Le cri étouffé. Une pétition qui demande «la libération des milliers de femmes encore en prison en Syrie» a recueilli plus de 98 000 signatures.
À l’IMA de très nombreux sympatisant.e.s et, au-delà, des spécialistes de toutes les disciplines, du psychanalyste au poète, de la militante pour l’éducation des femmes à l’universitaire ainsi qu’un public attentif et bouleversé sont venu.e.s témoigner de leur « solidarité avec les femmes syriennes ».

Un espoir ?

Après sept ans de guerre, après sept ans de « viol, comme arme de destruction massive », on se dit néanmoins que tout espoir n’est pas vain. Un espoir fondé sur le travail de terrain d’associations comme Women Now qui a perdu nombre de militantes dans le bombardement en cours de La Ghouta mais qui continue son inlassable travail d’émancipation comme sur le travail de juristes, d’universitaires, de sympathisant.e.s de la première heure (voir en France l’association Revivre) ou plus récents, telle Catherine Coquio, professeur à Paris 8, adhérente du « Comité Syrie-Europe : Après Alep » .

L’objectif de ce dimanche solidaire était de « mettre sous le feu des projecteurs le calvaire des femmes syriennes » (Racha Abazied) alors que « le viol est pire que la mort » dans une société traditionaliste et patriarcale (témoignage d’une étudiante recueilli pour Libération par Hala Kodmani) dont les victimes seraient « plusieurs dizaines de milliers » (Catherine Coquio).
Or, « les Syriens sont très fatigués de dévoiler leurs plaies pour que le monde bouge ». (Mariah al Abdeh, Women Now for Development). Parmi ces plaies ouvertes, « le viol d’une femme est le viol contre une famille, c’est un message de terreur qui lui est adressé » (Mariah al Abdeh).

Le viol et après…
Conséquences, selon Eric Sandlarz, psychanalyste : « Pour traverser un viol, les personnes (femmes ou hommes) se dissocient comme si elles n’étaient plus là, elles ont donc du mal à le raconter. Elles ne peuvent oublier et, au mieux, elles gardent une blessure ouverte qui ne peut cicatriser ». Pour ce thérapeute du Centre Primo Levi : « Il y a des violences dans le pays d’accueil (des réfugiés) accrues par l’Etat qui sont le prolongement de celles subies dans le pays d’origine, telles que les humiliations. ». Selon le clinicien, « ce qui importe au pervers, au tortionnaire, c’est de détruire la victime et qu’elle retourne dans sa communauté avec ce message. Or si la personne violée est mal accueillie dans sa communauté notre travail ne sert à rien. L’espoir est de changer la parentalité, la conjugalité, les changer c’est lutter contre la dictature. »

Ne pas se résigner à l’impunité

Pour Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty International France : « le viol est utilisé comme une arme de terreur, mais il faut lutter contre l’impunité du viol. »
Une ambition que le juriste Joël Hubrecht conforte en rappelant l’évolution de la jurisprudence internationale : « À Nurenberg, aucun dignitaire nazi n’a été poursuivi pour viol. » En revanche, rappelle ce chercheur associé à l’Institut des Hautes Études sur la justice, « l’utilisation stratégique de la violence sexuelle » a été un motif de condamnation ou d’aggravation des peines prononcées par le tribunal international pour l’ex-Yougoslavie, en 1993, comme par d’autres tribunaux internationaux dans d’autres guerres (Rwanda, Congo).
« La violence de la procédure est très brutale pour les victimes. Le viol des hommes est un tabou dans le tabou. La particularité de la Syrie est la configuration familiale face à la violence du régime. Nous sommes au début d’un long processus, mais il ne faut pas se résigner à l’impunité. »

Des témoignages recueillis par Samar Yazbek

Deux comédiennes (Darina Al-Joundi et Leyla-Claire Rabih) ont lu des extraits du livre de Samar Yazbek,  تسع عشرة امرآةTessa achara Imara ») [Dix-neuf femmes] (en français prochainement).

La poésie de Nouri al-Jarrah

La comédienne Dominique Blanc a lu ce poème de Nouri al-Jarrah, extrait de son recueil Une barque pour Lesbos et autres poèmes (قارِب إلى لسبوس); traduit de l’arabe par Aymen Hacen pour les Éditions Moires.

[O Syriens qui souffrez, ô Syriens qui êtes beaux, ô 
frères Syriens qui fuyez la mort, vous n’arrivez pas à bon
 port à bord des barques mais naissez sur les plages avec
 l’écume.
 Vous êtes de la poussière d’or périssable, de la poussière
 d’or liquéfiée, dépréciée, estompée.
 D’abysse en abysse au creux de la mer des roumis, avec
 l’étoile de mer et son frère le calamar errant, les vagues
 vous envoient à la lumière de la Grande Ourse.
(…)
Syriens mortels, Syriens qui frémissez sur les côtes,

Syriens errants partout sur terre, ne vous remplissez pas
 les poches de terre morte, abandonnez cette terre et ne
mourez pas.

Mourez dans la métaphore, ne mourez pas 
dans la réalité. Laissez la langue vous enterrer dans ses
épithètes, et ne mourez pas pour être mis en terre.

La terre n’a de mémoire que le silence. Naviguez partout et
 gagnez le tumulte de vos âmes. Et derrière la tempête et
les dégâts, levez-vous dans toutes les langues, dans tous 
les livres, dans toutes les causes et l’imagination, agitez-
vous dans chaque terre, levez-vous comme l’éclair dans
 les arbres.]

 

À noter, à Paris : l’association Renaissance des femmes syriennes (RDFS) tient une permanence le premier dimanche du mois de 15h à 18h, à la Maison des femmes.

 

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