Ô Syrie, ô Syriens ! et nous lecteurs oisifs, que sont nos rêves devenus ?

Ô Syrie, ô Syriens ! et nous lecteurs oisifs, que sont nos rêves devenus ?

Plus de 70 migrants retrouvés morts dans un camion en Autriche.
C’est à Vienne, la capitale de ce pays d’Europe centrale, que réside Franz Ritter, musicologue orientaliste et insomniaque, héros du roman Boussole, empreint d’une nostalgie extraordinaire et d’un rêve d’Orient qui façonna des êtres et des vies, longues ou brèves, celles des orientalistes.
Leur désir d’Orient était le moteur d’une quête éperdue qui les consuma tout entier. Ils ont produit des œuvres, de la « carte postale » (le haïku du voyageur en Arabie) à la symphonie, de la traduction grandiose de registre universel (Ah les Nuits que Proust dévorait pour sa Recherche !) aux nuits d’extase dans un « désert glacé d’étoiles », nous raconte avec une empathie sans mesure Mathias Enard dans un roman emporté et encyclopédique. Pour l’auteur de Zone (2013),  roman méditerranéen à la longue phrase de 300 pages, prix du Livre Inter, l’Orient est un sentiment océanique.
Son héros ne se love pas dans sa love story orientale : il souffre d’insomnie et ses tourments nocturnes alimentent sa nostalgie. Pendant sa nuit viennoise il laisse travailler sa mémoire,  amoureux de Sarah (l’amour est un moteur puissant), elle aussi arabisante, une mémoire d’insomniaque qui se déploie comme une machine à remonter le temps, ce temps qui lui fuit entre les doigts comme le sable du désert.
Nous nous sentons plus que jamais « lecteur oisif », comme écrivait déjà Cervantès en préambule de son Quichotte, nous errons avec lui dans sa remémoration infinie, éperdue, qui carbure aux éclats de nostalgie.

Soudain un camion sur cette route. On croise ce camion qui remonte vers le Nord, nous qui partons vers l’Orient. Entouré d’« une terrible odeur de mort », immatriculé en Hongrie, le camion portait encore le logo d’une entreprise de volailles de Slovaquie.
« Parmi les 71 personnes, il y avait 59 hommes, huit femmes et quatre enfants, dont une fillette âgée d’un ou deux ans », a déclaré le porte-parole de la police, Hans Peter Doskozil. Il a précisé que des documents de voyage syriens avaient été retrouvés, et que le groupe étaient « probablement » constitué de réfugiés syriens.

Que peut la littérature devant un camion en bord d’autoroute chargé de cadavres de migrants, que deviennent nos rêves d’Orient ? L’Arabie n’a jamais été aussi malheureuse. Et que deviennent les rêves de ces migrants, ces rêves engloutis non pas en Méditerranée cette fois mais sur une autoroute autrichienne ?
Le magnifique roman de Mathias Enard est dédié (c’est son tout dernier mot après 378 pages, « Aux Syriens »). Après Calais, après cette autoroute autrichienne, comment peut-on laver sa langue de ce mot « beau comme un camion » ?

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