Savant de musiques savantes soufies puisées avec érudition dans le patrimoine syrien d’Alep, Julien Jalâl Eddine Weiss, le fondateur de l’ensemble Al-Kindî, est mort ce vendredi 2 janvier 2015, à l’âge de 62 ans.
« Julien Jalâl Eddine Weiss avec les siens, nous a restitué, a restitué à l’Islam, mais aussi à l’oreille occidentale la plus raffinée, les sons et les chants de la très haute invention musicale qui fut, de Perse en Iraq, d’Iraq en Syrie et de Syrie en Turquie remontant jusqu’à Constantinople, les trésors des siècles inspirés. Il devint le témoin et la référence absolue dans ce domaine », a réagi l’écrivain d’origine libanaise Salah Stétié.
L’ensemble Al-Kindi avait fêté ses 30 ans avec les derviches tourneurs de Damas à Paris au Café de la danse en octobre 2013, autour du maître du qânun (cythare) dont le nom portait la marque de ses origines (père alsacien, mère suisse) et de sa conversion à l’islam en 1986.
Un concert à apprécier à l’aune de la guerre civile qui a aussi frappé les artistes, selon les mots de Julien Jalâl Eddine Weiss : « Ils sont traumatisés. Ils ont tout perdu. Il y a ceux d’Alep, ils n’ont plus leur appartement, ils habitent chez de la famille, les derviches également n’ont plus rien. C’est une situation assez difficile. Pour eux c’est dramatique. Ils ont tout rasés, ils leur ont tout pris. »
« Poussant toujours plus loin son immersion dans cet Orient qui le passionne, l’artiste achètera, en 1995, la maison de ses rêves dans l’ancienne ville de la mythique Alep, raconte Bouthaïna Azami dans le journal en ligne marocain Le 360. Et, dans son manoir du XIVe siècle jouxtant les souks millénaires, défileront des musiciens des quatre coins du monde avec lesquels il partagera son amour de la musique arabe, sacrée comme profane. »
Lire la biographie de Julien Jalâl Eddine Weiss sur le compte FB de Benbabaali Saadane.
Lu dans la revue de presse collectée sur le site de l’ensemble Al-Kindî :
« Le quintette Al-Kindi a non seulement perpétué cette tradition [de la musique savante arabe] mais a introduit quelques subtiles innovations dans son interprétation avec les arrangements judicieux de Julien Weiss. Ce qui reste la manière la plus intelligente de garder vivant un art multiséculaire » (Bouziane Daoudi, Libération, 2004) ;
« Contrairement à la musique occidentale, la musique arabe n’a guère changé dans sa forme depuis l’âge d’or de sa civilisation (entre le XIe et le XIIe siècle). Contre toute attente, la transcription qu’en fait Julien Weiss est accessible à toutes les oreilles, même non initiées. Sur scène, le groupe est absolument fascinant. De ferveur, d’élégance et de musicalité. » (L’Express, 2002)
« Dans des arrangements d’une noblesse et d’une limpidité de pierres précieuses, l’ensemble Al-Kindî évoque cet âge de deuil et de poésie, de splendeur contrariée et de raffinement radieux. » (Bertrand Dicale, 2001)
Dans un entretien passionnant accordé à Sébastien de Courtois pour l’émission Chrétiens d’Orient de France Culture lors de son passage à Paris, Julien Jalâl Eddine Weiss remarquait que dans son interprétation des chants de Saint Ephrem du IV° siècle, « [il avait pu] voir que les modes utilisés à cette époque sont très proches des bases même de toutes les musiques savantes arabo-musulmanes qu’on retrouve depuis l’Azerbaïdjan jusqu’en Tunisie. »
On ne saurait trop conseiller l’écoute de cet entretien, que l’on soit amateur de musique ou curieux de culture arabe. Chacun des mots de Julien Jalâl Eddine Weiss marque une haute sapience et ouvre de nombreuses portes, de hâfiz, pour celui qui connaît le Coran par cœur, au maqâm d’Antioche, cette organisation des échelles mélodiques propre à la musique savante byzantine : « Ma méthodologie consiste à travailler sur la structure des maqams, des oussouls (sources des rythmes), ainsi que le répertoire de la littérature. Les gens ont mis longtemps à comprendre quel était mon rôle, ils pensaient que j’étais un petit accompagnateur derrière mais en fait je fédère les énergies. », comme il l’expliquait ici.
Consulter le très riche site Mondomix.