Zaina Meresse (1940-2014) : ni tricoteuse ni pétroleuse, mais chatouilleuse

Avec la disparition à Mayotte de Zaina Meresse, c’est une figure emblématique du mouvement des chatouilleuses qui s’en va. Ces « commandos » de femmes s’étaient illustrés par un procédé insolite à la fin des années pour que Mayotte reste française. La départementalisation de l’île aujourd’hui officielle s’inscrit dans cette histoire. D’ailleurs le Préfet de Mayotte a salué sa mémoire en ces termes : « Avec elle disparaît une des figures emblématiques et charismatique de Mayotte, personnification de l’engagement pour Mayotte et pour la France. » Un quotidien titre sur la disparition de Zaina Meresse par la formule célèbre : « La France reconnaissante ».
Entre tricoteuses et pétroleuses, quelle est la véritable place des chatouilleuses dans le mouvement féministe ? Un livre en cours apporte quelques éléments de réponse.

CHATOUILLEUSES. n. f. pl. À Mayotte, dans les années 60, des femmes qui ne veulent pas entendre parler d’indépendance, contrairement aux trois autres îles des Comores, manifestent en pratiquant les chatouilles. Leurs « commandos » non-violents ciblent les hommes politiques comoriens en visite qui, morts de rire, interrompent leur discours et doivent rentrer chez eux.
Symbole du pouvoir des femmes dans cette île musulmane et animiste, mais matriarcale depuis l’époque des sultans des Comores, le mouvement des chatouilleuses a duré une décennie, pour s’interrompre à l’indépendance des Comores et à la réalisation de leur rêve en 1976 : « Mayotte française ».
Exit ce mouvement d’activistes féministes bien moins connu que les militantes seins nues ukrainiennes des Femen ou que les Pussy Riot, groupe de punk-rock russe. Dans le cas des Chatouilleuses de quel féminisme s’agit-il ?
Au départ, c’est une lutte des femmes contre la faim. En 1961, l’Etat français décide de transférer la capitale du territoire des Comores de Djaoudzi (île de Mayotte) à Moroni (île de Grande-Comore). Le déménagement devient effectif en 1966 et déclenche les premières protestations des chatouilleuses.
Les ministres et hauts fonctionnaires étant partis, leur personnel aussi (tous des hommes), les femmes se retrouvent sans ressources. C’est une Comorienne de Madagascar, Zéna M’Déré (1917-1999) qui va les aider à s’organiser et leur transmettre une pratique malgache selon la légende, la chatouille.
La démarche pragmatique de survie se double d’une démarche politique.
La colère des chatouilleuses sera exploitée par le Mouvement populaire mahorais (MPM) qui enrôle ces femmes, gardiennes du foyer, gardiennes de la terre. Elles sont une soixantaine. Parmi elles, Zaïna Meresse (1940-2014), adjointe de Zéna M’Déré : « On s’est dit : ‘On va être esclave des Anjouanais et des Grands Comoriens, vaut mieux être esclaves des Français!’ On a décidé de se mettre debout, se souvenait-elle. Dès qu’un avion approche de l’aéroport, à Petite Terre, avec à son bord un leader indépendantiste, l’action s’organise : «  On avait notre signal ‘Yououou, Yououou…’ et tout le monde arrivait. »
« La première victime des Chatouilleuses est le ministre comorien Mohamed Dahalane, relate Le Quotidien de la Réunion (13/04/2014) « On était une cinquantaine de bonnes femmes, on s’est mis à le chatouiller pour le faire partir », se confie-t-elle. Le ministre titillé, taquiné, gratouillé jusqu’à perdre sa veste, reprend l’avion, humilié. De retour à Grande-Comore, il raconte sa mésaventure. L’entourage s’en amuse. « Un autre dit : “ Moi, je vais y aller ”. Et, on le chatouillait aussi » ! Ce qui valut à cette grande dame un jour deux mois de détention pour « fait de rébellion ».

« Nous voulons rester Français pour être libre », affichaient les banderoles des manifestants. Martial Henry, l’un des fondateurs du MPM, chapitrait ses troupes avant de descendre dans la rue : « Attention, nous disait-il, raconte Echat Sidi, l’une des chatouilleuses, ne bloquez pas les routes, la France n’aime pas ceux qui empêchent la libre circulation. »
Ce procédé insolite a l’avantage d’être légal (aucune loi n’a jamais réprimé les chatouilles) mais éloigne les chatouilleuses des pétroleuses de la Commune de Paris en 1871. Les amazones de l’océan Indien n’étaient pas révolutionnaires et ne maniaient pas l’allumette.
Légalistes, les chatouilleuses se rapprochent davantage des tricoteuses de la Révolution française de 1789, ces femmes qui assistaient aux assemblées populaires, spectatrices privilégiées du supplice de la guillotine, invention révolutionnaire.
À deux siècles de distance, ces féministes activistes ont pour point commun d’être sorties des rôles sociaux fixés par la société. Elles ont investi l’espace public dominé par les hommes. Sans doute est-ce l’une des raisons de l’ingratitude de la société à leur égard : les chatouilleuses deviennent des héroïnes après le référendum de 1976 mais resteront des icônes du passé, sans rôle politique important, faute de parler français. Comme les sultans batailleurs, expression de l’histoire coloniale, l’imagerie semble apprécier les mots aux sonorités et à la grâce mignonne pour désigner ces réalités historiques insolites et très éloignées.
Comme les tricoteuses avaient été célébrées par Chateaubriand dans Mémoires d’outre-tombe, un dramaturge mahorais de talent, Alain-Kamal Martial, a fait de l’une de ses compatriotes son égérie, dans Zakia Madi, la chatouilleuse, tuée lors d’une manifestation le 13 octobre 1969. Le fantôme de son héroïne investit le corps des femmes d’aujourd’hui pour inspirer leur révolte et leurs chatouilles : « Vous vous laissez acheter, vous vendez votre terre et sa mémoire et vous osez parler de progrès et de développement là où les inégalités génèrent le paupérisme, la misérable vie de vos administrés. » (p. 87)
Pourtant le mouvement contre la vie chère qui a bloqué l’île de Mayotte pendant 44 jours fin 2011 n’a pas, semble-t-il l’accord des chatouilleuses de l’époque, si l’on en croit Echat Sidi : « Votre vie chère d’aujourd’hui, n’est pas comparable à la situation d’hier, ce n’est pas une raison suffisante pour mettre à mal la départementalisation. Faites attention mes enfants, les indépendantistes sont toujours parmi nous !  »
© Extrait Du ralé-poussé dans la coutume, Les mots-pays de l’Outre-mer, Christian Tortel (à paraître).

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