Avant la dernière ce dimanche 13 janvier 2013 à la Maison de la Poésie, puis une prochaine tournée, on ne saurait trop recommander aux Parisiens, tristes d’être absents de Marseille pour le lancement des festivités de la capitale européenne de la culture, d’aller passer deux heures avec Philippe Caubère, seul en scène pour interpréter le texte admirable d’André Suarès, Marsiho (Marseille en provençal). C’est de la langue française de haute tenue, « un objet de trop pure lumière et de trop haute beauté », pour citer le texte lui-même [voir l’extrait infra], de la prose qui résonne comme alexandrin, à la précision sidérante, écrite en 1931, d’une actualité manifeste, servie par un Caubère époustouflant, alliant avec éclat tous les registres, complice, poétique, lyrique, coléreux, majuscule, joueur, jouissif, pensif. Jamais portrait d’une ville n’a mérité une si belle intention. Marseille a son portrait dressé sans complaisance mais avec quel amour !
Divers tableaux se succèdent nous offrant le meilleur d’un texte et d’un grand diseur, qu’il soit aux prises avec le mistral, dans un lupanar, dominant la cité de son verbe chaleureux et moqueur, ou s’insinuant dans les parlers des bouges.
Le texte est disponible aux éditions Jeanne Laffitte, « un bloc de soleil » a écrit l’auteur de Boudu sauvé des eaux, René Fauchois à sa sortie. Ainsi pp. 40-41 :
« De toutes les villes illustres, Marseille la plus calomniée. Et d’abord, Marseille calomnie Marseille. Chaque fois qu’elle tâche à n’être plus elle-même, elle grimace, elle se gâte au miroir de sa lie. Elle n’est jamais si laide que dans la louange de ses farceurs, les gens de lettres qui ont quitté Paris ou Lyon, pour passer l’hiver entre le Vieux-Port et la Plaine.
Ces bouffons ont naturellement fait de Marseille l’image la plus bouffonne : Marius et la bouillabaisse, bagasse et té mon bon, l’ail et pechère, qu’ils prononcent péchère, César Coin de Reboul et Misé Favouille. Les histoires marseillaises valent les histoires juives, et à peine si elles sont moins basses. Les fesses de l’homme-singe et le bas ventre de ses guenons, les derniers échos de la digestion, l’ignoble indécence et le rire fécal en font presque tous les frais. Et les excès ridicules de la parole, l’énormité des propos ne sont guère moins loin de l’excrément. Le théâtre de cette gaîté est un égout. Qu’on est loin de l’heureuse galéjade : le français la dénature. La langue française est un objet de trop pure lumière et de trop haute beauté pour les saillies d’une allégresse presque enfantine. »