À Ouessant, le bivouac littéraire d’Anne Bihan

Elle butine les îles entre sa Bretagne native et sa Calédonie d’adoption. Pour quatre mois, de  janvier à avril, Anne Bihan a décidé d’installer son bivouac littéraire dans le sémaphore du phare du Créac’h, sur l’île d’Ouessant, auquel Papalagui s’était intéressé en relatant le travail du précédent résident, le poète Alexis Gloaguen.

A peine arrivée, Anne Bihan doit répondre à sa première interview. Nous ferons le point dans un mois.

De vos écrits, le dernier titre en date est un recueil de poésie, Ton ventre est l’océan (éditions Bruno Doucey). Correspond-t-il à un moment particulier de votre vie, entre Bretagne et Calédonie ? Pour votre bivouac littéraire en Finistère insulaire, avez-vous emporté quelques vivres ?

“Ton Ventre est l’océan” témoigne plutôt de cette traversée de plus de vingt ans qui est la mienne, avec pour port de départ la Bretagne où s’ancre mon enfance, ma généalogie, et avec pour port d’attache la Nouvelle-Calédonie sans laquelle il m’est devenu impossible d’être.
Il est juste de parler de bivouac si l’on se réfère à l’étymologie du mot. Elle intègre le geste de guetter, et le situe au temps présent. Pour faire face à ce geste, à ce temps vécu au présent en attendant la relève, il faut à la fois des vivres qui tiennent au corps, et de la légèreté pour demeurer mobile. Mais pas facile de trancher entre ce qu’on emporte et ce qu’on laisse. Pour la première fois j’ai rêvé qu’on m’offre une liseuse.
Finalement j’ai amené avec moi deux livres que je fréquente assidûment depuis fort longtemps : “Armen”, de Jean-Pierre Abraham, qui n’est pas pour rien dans le désir qui m’a conduite ici, et “Dialogues avec l’ange”, un texte puissant et mystérieux. Quatre livres à relire : “Bartleby”, de Melville, “Une Chambre à soi” de Virginia Woolf et, paradoxalement peut-être, “La Forme d’une ville” de Julien Gracq, mais aussi “Les Solidarités mystérieuses”, de Pascal Quignard. Deux livres enfin que je souhaitais lire ici, le dernier du même Pascal Quignard, “Les Désarçonnés” ; et “Tâdo Tâdo wéé” de Déwé Gorodé.
Dans mon paquetage, de la musique également, et le choix était encore plus cruel. Disons une dizaine de CD, allant des “Leçons de ténèbres” de Couperin à Patricia Kaas chantant Piaf, en passant par Bach, Mozart, Rachmaninov, Amstrong, Billy Holiday, Janis Joplin, Neil Young, Charlie MacMahon, Colette Magny et la somptueuse bande originale de Philip Glass pour le film ”The Hours”.
Enfin, parce que c’est un outil dont je ne saurais me passer pour conduire le projet qui est le mien, un gros ouvrage, le tome 3 des “Chroniques du pays kanak”. Et puis du thé qui doit m’arriver, cadeau de mon amie malgache Lalao pour affronter les jours et les nuits.

Vous vous retrouvez en résidence d’écriture à Ouessant, au phare du Créac’h, pour quatre mois d’hiver. Pour quelle raison ?

Phare, monastère, silence, une moitié de moi a toujours eu ce désir chevillé au corps, l’autre, beaucoup plus séculaire et bruyante l’emportant en général, avec ses joies mais aussi tous les risques de dilution, de dispersion que cela recouvre. J’ai voulu cette résidence, à Ouessant, dans ce lieu perché au-dessus de la mer, et en hiver, donc fait acte de candidature bien entendu, avec un projet précis. Que cela me soit accordé n’en finit pas de me surprendre. Disons que je fais une novice d’encore bien peu de foi.

Dans quel état d’esprit êtes-vous après une semaine passée à la pointe Ouest de l’île ?

Avec l’étrange sensation, physique, d’avoir toujours habité là, même si dans le même temps je continue de me pincer pour y croire. Impression également, contre laquelle je lutte, que ces quatre mois vont me filer entre les doigts à une vitesse sidérale. Pour le reste, j’essaie de me faire aussi creuse que possible, laisser place à ce qui vient, quel qu’il soit.

Entre écriture et rencontre des Ouessantins, allez-vous organiser votre temps de manière ordonnée, aurez-vous un emploi du temps ?

Je vais m’y efforcer en tout cas, mais avec des mailles souples pour accueillir l’inattendu. C’est que travaillant depuis de longues années à mon corps défendant sur la base de statuts éminemment précaires, sans lieu de travail partagé, je connais assez bien le revers de cette vacance qui a les traits de la liberté, mais où l’on peut se perdre.
Comme il est difficile de se discipliner seule, et qu’Internet est un bel outil, je m’aperçois que, tacitement, deux anges gardiens avec lesquels j’ai commencé de correspondre ont déjà frappé à ma porte, deux amis dont la bienveillante exigeance me sera comme toujours précieuse : Philippe Boisserand en Nouvelle-Calédonie, et Jean-Claude Bourdais à Thiron Gardais. À eux deux compte tenu du décalage horaire, ils couvrent l’intégralité du cadran, comme j’ai besoin de peu de sommeil, c’est plutôt pas mal.
Il me semble aussi que ce lieu qu’est le sémaphore, imprégné par les nuits de veille des guetteurs sémaphoriques – un nom de métier bien réel mais aussi étonnant que les essuyeurs de tempête d’Hardellet -, puis par celles des cinq auteurs qui m’ont précédée, a le travail noué à sa structure même.

Pour allez plus loin, les amis Facebook d’Anne Bihan peuvent lire son journal quotidien, le site Île en île vous donne sa bio et sa bibliographie, et la Maison des îles et des livres vous dit tout de son projet pour cette résidence d’écriture.

Glanés dans le dernier recueil d’Anne Bihan, Ton ventre est l’océan, ces quelques essences de poésie, dont l’espacement typographique marque une forme de pause, mentale ou géographique :

« L’île n’en finit pas

d’ouvrir ses impasses à d’autres horizons

où de longs doigts de lierre écartèlent

les murs

 

de son corps ponctué de sel et de brisants

tu guettes des nuées

la partance têtue. »

ou encore :

« Regarder

étrangère le soleil kanak

 

les sentiers les cases

sans porte      ni fenêtres

 

sourire aux enfants      lumineux

dévastés

 

trou noir quand mes yeux

le quittent. »

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