Le bonheur de Laurent Hasse et l’énigme du sphinx marcheur

Le documentaire de Laurent Hasse est infiniment contemplatif, infiniment mélancolique, infiniment attachant. Après un accident de voiture, il perd l’usage de l’odorat mais surtout constate que le coma ne l’a pas laissé sans jambes. En plein hiver, il décide d’éprouver sa marche, du sud au nord de la France, des Pyrénées à la Mer du Nord, une marche pour rencontrer l’Autre, celui qu’il croise au bord de la route.
De ces deux désirs (la marche et l’Autre) nait un film dont la forme ne surprend pas quand alternent paysages et entretiens.
Les paysages sont magnifiques, vidés d’humains, autochtones ou touristes, plans fixes à la solitude renforcée par un cadrage photographique ; lors des entretiens de gens de hasard, Laurent Hasse leur pose la question, mais pas de but en blanc : « C’est quoi pour vous le bonheur ? » Question qu’il n’élude pas pour lui-même, et que le commentaire off enfonce un peu trop dans les graves…

Sa démarche nous renvoie à… la mythologie grecque et à la légende du Sphinx, protecteur de Thèbes, qui pose à chaque visiteur la même question : « Quel est l’être qui marche sur quatre pattes au matin, sur deux à midi et sur trois le soir ? ». Sans réponse juste le visiteur est dévoré. Œdipe trouve la réponse et entre dans Thèbes.
Étant posée cette question du bonheur, pour bac philo ou pour dictionnaire, définissant — expéditif —  « l’état de plénitude  », le nomade du bonheur n’obtient pas que des réponses convenues, qu’elles soient personnelles, souvent émues et émouvantes, philosophiques, auto-examinatrices ou embarrassées. On pense un instant à la France filmée par Raymond Depardon dans Journal de France, mais pas que…

Le principal attrait du film, Le bonheur… terre promise (production La Bascule), provient de ces instants d’avant la réponse, quand chacun plonge au-dedans de soi à la recherche d’une réponse. On devine que le sphinx sur sa ligne de vie tracée en France-Profonde est le premier à leur poser la question. Le montage de Matthieu Augustin a l’intelligence de laisser planer cet instant, cette recherche visible, cette « incertain », mot qui revient à plusieurs reprises.
Ainsi, ce boulanger taiseux, interviewé en plein travail de la pâte :
— Le bonheur, c’est quoi pour vous ?
— Je ne sais pas.
— Quand vos enfants vous posent la question, que leur répondez-vous ?
— Je ne sais pas. Je leur dis de regarder le paysage.
S’ensuit un plan de petites montagnes entaillées d’une brume de coton, plan qu’on aimerait contempler quelque temps, aussi longtemps que dure ce petit film magnifique.

Lire l’entretien de Laurent Hasse dans Criticat.com.

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