Le gendarme Citron, un Jean Rouch du Pacifique Sud

Alors qu’en mai 2008, le Centre Tjibaou célèbrera ses dix ans, et les Accords de Nouméa aussi, c’est un moment de grâce et d’émotion ce documentaire qui porte un nom de bande dessinée, Le gendarme Citron. Signé Gilles Dagneau, il raconte la vie d’un gendarme en Nouvelle-Calédonie au mitan du XXe siècle. C’était avant l’affaire d’Ouvéa et des gendarmes. Ce fonctionnaire a passé son temps à filmer l’Autre, c’est-à-dire les Kanak, comme Jean Rouch filma les Dogons de la falaise de Bandiagara, avec intelligence, respect et désir de comprendre. Ses vingt pellicules ont été achetées par le Centre culturel Tjibaou en 2004…

Le gendarme Citron, de Gilles Dagneau, sera diffusé sur RFO, Télé-Pays, le 28 avril, et sur France Ô le 29 avril.

Robert Citron (qui vit aujourd’hui au Sud de Paris) est né en 1920. A l’âge de 35 ans, il fait un premier séjour à l’île des Pins, connue pour son ancien bagne, son lagon turquoise, ses araucarias. En autodidacte, il commence à filmer sa famille. Puis (un gendarme aime l’ordre), il organise des courses à chevaux sur la plage qu’il filme en… 2CV, question de travelling… Il encadre des matchs de foot. Tout cela sent  » le bon temps des colonies « , une espèce de douce ingénuité où les images en couleur, muettes, semblent la décalcomanie du paradis ( » L’île la plus proche du paradis « , est d’ailleurs un slogan pour touristes utilisé pour l’île des Pins). Mais déjà Citron a un regard d’empathie avec les Kanak, dont un historien nous dit qu’ils ont acquis la pleine citoyenneté seulement en 1957 !

Après cinq ans de  » mission  » (jamais ce mot n’est prononcé dans le film), le gendarme Citron rentre en France, est muté en Guadeloupe. En 1964, il revient avec du galon à Canala, sur la côte Est de la Grande Terre. Et là, il devient Jean Rouch. Comme dans les Maîtres fous (1954), documentaire devenu un classique du film d’ethnologie, sur les pratiques rituelles d’une secte religieuse de culte Hauka dans la région du Niger. Même intelligence, même curiosité de l’Autre, même attention à une culture dont il découvre les arcanes.

A Canala, Robert Citron, qui a été agriculteur reconnaît dans ses  » administrés  » les mains de ceux qui vivent de la terre. Il faut écouter son commentaire du cycle de l’igname, le tubercule qui marque la vie et les liens du groupe. Citron est précis. C’est presque du mot à mot, avec un sens de la narration éprouvé. Il vouvoie le maître de l’igname et il ne comprend pas comment les colons peuvent le tutoyer… Citron explique pourquoi il fait durer certains plans :  » pour mieux expliquer « . Il devient le médiateur réalisateur du maire de Canala : les Kanak doivent se contenter de cultiver des parcelles de terres réduites alors que les colons ont de la surface où ils laissent paître leur bétail.

Plus extraordinaire : toute la chefferie de Canala qui passe entre les mains du guérisseur. Citron explique, plan après plan.

Essentielle, cette belle séquence où Emmanuel Kasarherou, le directeur actuel du Centre culturel Tjibaou, souligne en quoi ces images – rares –  » réactivent «  la mémoire des Anciens qui peuvent mieux raconter leurs témoignages. Autant de patrimoine oral d’une culture qui est indéxée par les chercheurs d’aujourd’hui…

Enfin, l’épilogue est très émouvant. Des habitants de Canala et de l’île des Pins s’adressent face caméra au gendarme Citron pour lui dire ce qu’ils lui doivent : un regard d’homme à homme.

3 commentaires

  1. Avatar de Inconnu

    Cette photographie de la région de Canala du contexte est émouvante et me donne aujourdh’hui des eclaircissements en partie sur des intérrogations personnelles sur les gens Canala: Comment expliquer l’implication des gens de Canal comme ceux de Houailou dans les repressions Kanakes mais le role actif des Canala pendant les évenements?.
    Je travaille à l’ADRAF sur la question foncière et Canala est resté d’une complexité coutumière.
    A bientot.

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  2. Avatar de Inconnu

    […] Le gendarme Citron a été  le seul homme qui filma la vie des kanaks entre les années 50 et 60. Robert Citron vivait dans la région parisienne, il est décédé à l’age de 88 ans. Je suis tombé sur un blog qui parle avec coeur de cet homme, je vous propose de le découvrir. Et en complément puisque le film a été un succès, je vous propose de redécouvrir ce documentaire diffusé l’année dernière sur RFO. Paix à son âme, quel homme de qualité…. […]

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  3. Avatar de Inconnu

    J’ai découvert l’existence du gendarme Citron lors d’une réunion à l’ambassade de Nouvelle Zélande fin janvier 2009. Je suis consterné de constater qu’aucune diffusion n’ait été faite au sein de la gendarmerie. Personne ne connait cet homme au sein de l’institution malgré l’immense travail qu’il a réalisé. Il nous a quitté sans les honneurs et cela me contrarie infiniment. Je vais tout mettre en œuvre afin que les jeunes puissent découvrir ce témoignage poignant sur la Nouvelle Calédonie.
    Un grand merci à AAA Production, à Matthieu Lamotte, Gilles Dagneau, Pierre Vachet, Paul Evrard, Valérie Pasteau et tous ceux qui ont permis que ce film voit le jour….

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