Abdellatif Laâbi, Prix Goncourt de la poésie 2009

Le Goncourt de la poésie 2009 a été attribué à l’écrivain et poète marocain Abdellatif Laâbi pour l’ensemble de son oeuvre.

Extrait de Écris la vie (La Différence, 2005) :

C’est une maison
où nous avons reçu à profusion
la saveur et l’odeur des êtres
les couleurs tactiles des éléments
la beauté pudique des arbres
Nous y avons mangé de préférence
avec l’étranger
bu avec le commensal le plus désespéré
et veillé de nuit comme de jour
avec nos fantômes avisés
Nous y avons conçu les enfants libres
de nos rêves
Tout cela
en gardant une oreille suspendue à la porte
pour capter les pas hésitants
de l’inespéré.

Abdelkebir Khatibi ? une orchidée…

 
 
 
 

 » Sociologue, politologue, chercheur universitaire et écrivain, l’homme à plusieurs casquettes a rendu l’âme, lundi tôt le matin, dans un hôpital à Rabat. Selon son épouse, son cœur a lâché suite à de graves complications. Il vient ainsi de clore 71 ans de vie, de réflexion, de création et de carrière littéraire. Son histoire commence un certain jour en 1938, à El Jadida où Khatibi voit le jour. Quelques années plus tard, le jeune homme, avide de savoir, part en France pour rejoindre la Sorbonne. Il y étudie la sociologie pour soutenir la première thèse sur le roman maghrébin en 1969. Ayant pris goût à l’écriture, il sort son premier roman autobiographique «La mémoire tatouée» en 1971, sous l’impulsion de Maurice Nadeau…  »

La suite dans Le Matin.

La disparition de Khatibi a suscité cet hommage de Patrick Chamoiseau :

 » Frère, tu savais les abîmes de la langue, ce qu’elle dérobe et qu’elle offre aux déroutes des langages, ce qu’elle nourrit de vertiges dans le désir des autres langues, tu savais aussi que raconter c’était saisir l’obscur, fréquenter l’indicible, la difficulté d’être avec tous mais au plus singulier, dans le partage sans concessions mais au plus différent, et trouver dans les tumultes du monde l’effervescence secrète, essentielle, où l’esprit vit le monde, en Guerrier, invente des peuples et des manières, va le mystère de la chose tissée et des calligraphies, et nous invente des horizons encore vifs d’être tatoués, portés haut à même la poussière du Maroc… Tu savais aussi l’amour, qui ouvre tant, toujours, et dont sait se nourrir cette orchidée à qui je donne ton nom…  »

Driss Chraïbi et la Civilisation…

 

Driss Chraïbi est mort à l’âge de 81 ans dans la Drôme où il résidait. Il avait écrit, entre Maroc et France, une vingtaine de romans, du Passé simple (1954) à L’Homme qui venait du passé (2004), en passant par La Civilisation, ma Mère!… (1972).

La Civilisation, ma Mère !... - Cliquer pour agrandir

On lira avec profit ses livres comme les blogs qui lui sont consacré, comme celui-ci , où l’auteur lui-même répondait à ses admirateurs.

A lire aussi cet entretien avec Abdelsalm Kadiri, du journal marocain Tel Quel :

« Quelles sont les relations que le Maroc entretient avec moi, le vieux Driss, Ba Driss ? Suis-je une sorte d’alibi ? Un espoir ? Un réveilleur de consciences ? Je n’en sais rien. En aucun cas, je ne voudrais être un conformiste, un parvenu, quelqu’un d’arrivé. à la question : Est-il arrivé ? Bernard Shaw répondait : oui, mais dans quel état ! Cette question appelle un certain développement hors contexte. Tout homme est appelé à mourir. Où souhaiterais-je être enterré ? La réponse vient d’elle-même : au Maroc. C’est une question extrêmement émotionnelle qui est là : le rattachement au pays. Pas le pays aux montagnes, au sable chaud, et au beau désert. Ce sont les gens qui me bouleversent. Je suis dépositaire de tous les espoirs et de toutes les désillusions de mes ancêtres. Ils ont tous déposé leurs rêves dans mon sang. La langue française, quant à elle, a été un réactif, une distanciation par rapport à mon pays et à moi-même. Cela a élargi mon horizon mais je reste très attaché à mon pays. Ce qui me touche le plus, ce sont ces jeunes, dial el médina, qui m’accueillent, comme à Oujda, il y a deux ans. Ils m’interrogent, les yeux pleins d’attentes et avec un appétit de croire qui tourne à vide. Parfois, je suis pris à la gorge. Que leur répondre ? »