Un lieu pour ceux qui n’ont plus de lieu. Un homme pour ceux qui n’ont plus personne à qui confier leur détresse.
Au Japon, les falaises de Tojinbo, cité touristique de bord de mer, attirent les candidats au suicide. Lors de sa ronde quotidienne, Yukio Shigue, un policier à la retraite, les recherche pour essayer de les convaincre de ne pas sauter.
En chemin, il rencontre un homme de 58 ans, seul, venu d’Osaka pour franchir le seuil.
En parlant peu, il le convainc de le suivre. En 13 ans d’activité, dit-il, il a sauvé du suicide 586 personnes . Tâche difficile face à une activité touristique qui vit de cet attrait.
La caméra de Blaise Perrin est dans le juste tempo.
Au début du film, c’est un long travelling au bord d’un chemin côtier. En off, une voix de femme lit une lettre d’un couple de retraités qui venaient sauter à Tojinbo. Yukio Shige les dissuada un temps. Les services sociaux ne leur furent d’aucun secours. Pire, on leur conseilla de mettre leur geste à exécution.
Pendant quelques secondes la caméra filme Yukio Shige de face. Il est attablé et fume une cigarette avant d’entamer sa ronde. Puis un long travelling le suit. De dos, le spectateur épouse avec lui les sentiers côtiers, les coins cachés ou les candidats attendent la nuit. Il nous dit comment il engage la conversation quand il a un doute.
C’est tranquille comme une balade du poète Bashô, propice à la rêverie, si le sujet n’était aussi grave.
La lumière décline, la ronde va vers sa fin.
Les dépressifs hésitent avant de passer à l’acte. C’est difficile cette dernière nuit avant de sauter. Et, croient-ils, s’évaporer. Comme l’éléphant de Murakami ?
Yukio, hanté par la lettre des deux retraités, continuera tant que ses jambes le porteront.
Dans Le Cœur régulier, en 2010, l’écrivain français Olivier Adam mettait en scène ce thème où l’héroïne, Sarah, dévastée par la mort de son frère Nathan, rencontrait le policier des falaises. Lire une critique, journal Le Monde.
Dix ans après, le documentaire de Blaise Perrin, avec ses moyens et sa grammaire propres, éprouve la même fascination pour un lieu, un personnage de Juste et ce Japon sans limite.
A noter que l’on se suicide de moins en moins au pays de Mishima depuis dix ans, et c’est officiel : le nombre de suicides en 2019 est passé sous la barre des 20 000, avec 19 959 cas, le taux le plus bas depuis que les autorités les comptent, selon The Japan Times, 17/01/2020.
A voir sur le site de Médiapart (pour les abonnés) «La Ronde»: au Japon, un policier seul face à la détresse | Documentaires | Mediapart