Pour ne pas sombrer dans le ridicule de l‘écriture d’une critique aussi longue que le livre [l’opuscule de Christian Bobin fait en tout et pour tout… 15 pages et répond au titre de « Le plâtrier siffleur » (Poesis, 2018)], limitons-nous à l’essentiel : achetez ce livret et envoyez-le par la poste à vos amis et ennemis, à votre percepteur et à toute âme naissante, pas à ces êtres fatigués de lire, pour qui les mots contemplation, frugalité, écoute, promenade seraient une torture.
Comme si nous n’étions par dans l’euphorie des temps accélérés, l’auteur fait un éloge des contemplatifs :
« Les contemplatifs, quels qu’ils soient, peuvent être des poètes connus comme tels, mais ça peut être aussi un plâtrier en train de siffler comme un merle dans une pièce vide, ou une jeune femme qui pense à autre chose tout en repassant du linge. », suivi d’un éloge des bébés, de leur sagesse, et de leur mère :
« Habiter poétiquement un monde malheureux c’est très difficile, mais c’est faisable. Et c’est d’autant plus nécessaire que le monde se perd, s’abîme, se déchire. C’est d’autant plus nécessaire que s’ouvrent ici ou là des puits de lumière. Ce n’est pas l’apanage de ce qu’on appelle les artistes. C’est une mère qui remet l’ourlet du drap au bord du visage de son enfant endormi, et c’est comme si elle prenait soin de toute la voie étoilée. À la même seconde, le geste de cette mère se double. De la même main, elle couvre son enfant pour qu’il n’ait pas froid et apaise tout le noir qu’il y a entre les étoiles dans le ciel. Ce geste est tellement simple qu’il a des résonances infinies. Je crois que, au fond, c’est ça la poésie, c’est juste un art de la vie. Cette femme est poète à son propre insu. »
De sa mère, Christian Bobin dressait cet éloge, en 1994, dans une interview au Matricule des Anges :
« Pour m’amener des dizaines d’années après, à parler des mères comme ça, elle a dû être complètement démente. Démente d’amour. M’envelopper, me baigner dans une affection, un attachement insensés. »
Au risque de confondre poésie et tendresse, reconnaissons en Christian Bobin cette part d’âme qui savoure l’errance, le presque-rien, l’esprit zen à la manière de ce sage japonais pour qui « l’univers entier est la pensée des fleurs« .
Dénonçant la technique ogresse et déhumanisante, Christian Bobin met ainsi l’attitude poétique à portée de tous. Son texte est la version intégrale d’une contribution pour l’ouvrage « Habiter poétiquement le monde », « anthologie manifeste » de textes d’une centaine d’auteurs réunis en 2016 par Frédéric Brun pour les éditions Poesis, nées de ce recueil au titre emprunté à Friedrich Hölderlin :
Riches en mérites, mais poétiquement toujours,
Sur terre habite l’homme.