Randa Maddah : Quand le manque devient geste de patiente beauté

Randa Maddah : Quand le manque devient geste de patiente beauté. Dans cet atelier de l’École des Beaux-arts de Paris, le vide est occupé par des images, fixes ou en mouvement. C’est une plongée dans la mémoire. L’espace est troué d’une présence. C’est immédiatement palpable. Titre : Restauration. En arabe : tarmim ترميم. Un mot utilisé pour la restauration d’une œuvre d’art, du patrimoine.

À l’Ecole des Beaux-Arts, Randa Maddah, artiste syrienne du Golan, en exil en France, présente son travail de fin d’études. Elle avait déjà été remarquée pour ses sculptures ou ses vidéos, tel ce film,  Horizon lumineux, avec une maison en ruine aux fenêtres vides, rideaux flottant au vent, cadrée en un plan séquence fixe et dans laquelle une femme s’affaire à des tâches ménagères. Une mise en scène théâtralisée, sans parole, belle et dénuée. Une maison en ruine d’un village du Golan.

À l’Ecole des Beaux-Arts, posées au sol comme sur un damier, des photos représentent des portions de sols pierreux, herbeux, des terres qui ont vu passer des hommes ou des femmes. Ces sols semblent abandonnés. Des traces de passages. Autour desquelles nous déambulons, nous spectateurs.

Les photos sont disposées de façon éparse, comme les pièces distantes d’un puzzle géant.

Chaque cliché est évidé d’un objet. On devine la forme d’un clou, d’une chaussure, peut-être un ustensile de cuisine ou une prise électrique. La place vide laissée par l’objet ôté est grisée. Donc, il manque une pièce, un objet, un morceau de la terre habitée.

Levant les yeux au mur, un tableau composé de vingt rectangles de béton nous fait face. Chacun d’eux contient un objet, l’une des pièces ôtées de la terre.

Ainsi, le spectateur met en correspondance immédiate les pièces manquantes du sol et les pièces retrouvées sur le mur. Peut-être le résultat d’une explosion qui a fait sauter les pièces du sol au mur, en une forme de déflagration esthétique. Et silencieuse.

En face de l’entrée, deux écrans proches, placés côté-à-côté. À droite, une maison aux murs troués laisse apparaître l’horizon. Des rideaux flottent au vent. C’était déjà le motif d’ Horizon lumineux.

À gauche, l’écran présente Les hauteurs du Golan occupé, un paysage vu à travers des miroirs brisés suspendus comme mobiles.

Sur le mur voisin, un écran seul avec un mur et son trou. L’artiste, filmée de dos en un cadre fixe et plan séquence, dépoussière les contours du trou puis colle des bandes blanches pour combler le trou. Enfin, elle peint l’ensemble. Le geste artistique comme geste de reconstruction.

À l’entrée, au mur est affiché la page 3 du Monde du 11-12 juin 1967 sur la Guerre des Six jours, une guerre éclair qui a vu le triomphe d’Israël, l’anéantissement des armées arabes et la conquête et l’occupation du Sinaï, de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est, de la bande de Gaza et du plateau du Golan.

Randa Maddah est née il y a 35 ans dans le Golan syrien aujourd’hui occupé par Israël.

Son installation, Restauration, est d’une grande force et d’une grande pureté formelle. C’est une plongée dans une mémoire meurtrie, aux objets dispersés, aux miroirs tranchants. Cette mémoire est diffractée en de multiples mobiles, des miroirs aux arêtes coupantes comme les projections dans l’espace des fenêtres explosées de la maison en ruine voisine.

Le jeu des correspondances est très maîtrisé. D’une part, des objets portés disparus se retrouvent dans une autre dimension, verticale, coulés dans le béton. D’autre part, une maison en ruine, que troue l’espace, a pour corollaire des vitres brisées devenues miroirs.

Enfin, l’artiste colmate un trou par des bandes à la solidité dérisoire mais qui seront peintes en un geste placide, obstiné et d’une grande et patiente beauté.

Dans le domaine littéraire, on pense à la très belle Matière de l’absence, de Patrick Chamoiseau, qui fait du travail patient du deuil une conquête de l’imaginaire sur la violence du monde.

À noter : le travail de Randa Maddah ayant été présenté dans le cadre d’un diplôme de l’École des Beaux-Arts de Paris, il n’a été exposé qu’une journée. La beauté de l’éphémère…

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