Introduction à la « Musique d’accompagnement pour une scène de film » de Arnold Schoenberg », réalisé en 1972 par Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (DVD aux éditions Montparnasse), installe dans ses 15’ la lecture angoissante de deux lettres de Schoenberg à Kandinsky, deux lettres implacables qui dénoncent l’antisémitisme, année du putsch raté d’Hitler, en 1923, dix ans avant son arrivée au pouvoir. « Aux Cahiers [du cinéma], on l’appelait « le petit Schoenberg » se souvient Narboni, corédacteur en chef de la revue avec Jean-Louis Comolli en 1968.
Pour ce dimanche des ateliers Varan, intitulé « Musiques en de sombres temps », Jean Narboni a présenté Richard Strauss, les Quatre derniers lieder (1989, 90′), de Claude Ventura et un « film vu un nombre incalculable de fois, d’une force et d’une densité extraordinaire », densité due à la violence des lettres, à la littéralité des traductions en sous-titres, au dispositif de lecture dans un appareil dominant (un studio de radio allemand).
« Danger menaçant, peur, catastrophe », telles sont les indications données par Schoenberg sur sa musique d’accompagnement pour une scène de film. « N’est-ce pas ce que le compositeur ressentait de l’Allemagne ? », se demande Narboni.
Les deux tenants de l’abstraction – en musique comme en peinture – marquent ainsi leur rupture en amitié, Schoenberg, compositeur, inventeur de l’atonalisme et du système dodécaphonique, Kandinsky, peintre russe, l’un des fondateurs de l’art abstrait.
« Danger menaçant, peur, catastrophe » : sans soute est-ce là ce qu’il éprouvait en 1923 lorsqu’il écrivit une lettre à Kandinsky pour refuser d’aller au Bauhaus car, comme juif, il ne se sentait accepté nulle part. Narboni note la conscience politique de Schoenberg qui dès 1923 pressentait qu’Hitler était une menace pour la démocratie.
Au cœur du film, Danièle Huillet apparaît caressant son chat et citant Brecht en 1935 « rectifiant » les propos de Kandisky en critiquant le capitalisme. « Dans le film, c’est une critique de la critique marxiste de la société qui faisait passer la lutte des classes avant tout, avant même le racialisme des nazis. »
Après la lecture de ces deux lettres, le film se clôt sur le compte rendu de journaux à propos du procès contre les architectes d’Auschwitz qui ont construit les chambres à gaz et les fours crématoires. N’étant pas jugés directement responsables de l’extermination, le tribunal les acquitte.
Jean Narboni note les temps séquencés de la construction du film : en 1923, Schoenberg dit la radicalité de l’antisémitisme, en 1935, Brecht « rectifie cette radicalité au nom de la lutte des classes », puis viennent les Communards et le la guerre du Vietnam avec ses bombes au napalm. Au final Auschwitz est le thème qui s’impose.
Un film d’où émane la musique. Scandée en rapport avec son découpage, comme le duo piano / forte, elle nous propose » une dilatation à l’image de la diastole du cœur et de sa systole… »
Prochains dimanches de Varan, les 14 et 21 décembre 2014 avec le cycle « Les innovations musicales et sonores du cinéma documentaire », avec François Porcile, auteur de « Vive le son ! Un florilège sonore du film documentaire ».