Dans Qu’est-ce qu’un dispositif ? (traduit de l’italien par Martin Rueff) Giorgio Agamben écrit en 2006 (Payot & Rivages, 2007, p. 31) : «… j’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. Pas seulement les prisons donc, les asiles, le panoptikon, les écoles, la confession, les usines, les disciplines, les mesures juridiques, dont l’articulation avec le pouvoir est un sens évidente, mais aussi, le stylo, l’écriture, la littérature, la philosophie, l’agriculture, la cigarette, la navigation, les ordinateurs, les téléphones portables, et pourquoi pas, le langage lui-même, peut-être le plus ancien dispositif dans lequel, plusieurs milliers d’année déjà, un primate, probablement incapable de se rendre compte des conséquences qui l’attendaient, eut l’inconscience de se faire prendre. »
Dans la lignée biopolitique de Michel Foucault, le philosophe italien semble aussi emboîter le pas à Roland Barthes qui écrivait trente ans plus tôt dans sa Leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France (Seuil, 1977) : « La langue est […] tout simplement : fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. » L’auteur du plaisir du texte reviendra sur cette affirmation radicale à la fin de sa vie, selon Hélène Merlin-Kajman (revue Labyrinthe) : « la langue – classique – ne lui paraît plus fasciste, mais « essentielle ». La formule provocatrice de 1977 n’était ainsi qu’une étape, dans un cheminement qui l’a conduit à reconnaître mélancoliquement la finitude du sujet et les failles du langage, le plaisir et la jouissance des textes. »
Lire : Hélène Merlin-Kajman, La Langue est-elle fasciste ? Langue, pouvoir, enseignement, Paris, Seuil, 2003