[Congo, J-18] : La pensée en rébus de Wolfgang Tillmans

À quelques jours d’une Rencontre internationale d’art contemporain, organisée aux Ateliers Sahm de Brazzaville et avant de s’embarquer le 4 septembre, donc dans 18 jours, que faire du rébus du monde photographié ? Question au photographe allemand Wolfgang Tillmans.

Aux rencontres photographiques d’Arles (jusqu’au 22 septembre), l’exposition de Wolfgang Tillmans suscite la controverse. Les visiteurs ont laissé sur le livre d’or des appréciations expéditives : « une vieille daube » vs « c’est génial ». Leur font écho les critiques de professionnels. Pour Le Monde : « Il serait dommage de bouder son plaisir lorsqu’une exposition tient la route – c’est le cas avec celle de Tillmans » ou (encore) Le Monde : « Ces immenses formats aux couleurs éclatantes, soigneusement mis en scène, finissent pourtant par raconter une histoire, celle d’un voyageur séduit et étonné par l’absurdité du monde » ou enfin AD magazine : « Drôle et étonnant… le photographe allemand s’interroge sur l’évolution du numérique et prouve que cette technique peut encore nous étonner par sa précision. » vs. Ouvre tes yeux : « Il multiplie les accrochages et les supports. Une exposition présomptueuse et décevante. »
Aux Ateliers, dans cet espace grandiose de friche industrielle abandonnée… à une dizaine d’expositions, l’intention du photographe allemand est ainsi affichée : « Vingt ans après sa première image du monde Wolfgang Tillmans se demande si le monde peut-être regardé avec un œil neuf à une époque saturée d’images, et s’il est possible d’en dégager une vue d’ensemble. »
Dans l’espace n°16 de l’Atelier de chaudronnerie, attardons-nous dans la deuxième salle où sont exposées treize photos. Leur énumération situe le propos du photographe.

  1. Argent 112, 2013, « C-Print sur Dibond dans un cadre d’artiste » (une abstraction monochrome) ;
  2. Photographie Varanasi, 2003 (en surplomb, rue animée de Bénarès, Inde) ;
  3. Hutte masaï, 2003 (un magnifique gros plan de tentures indigo) ;
  4. Ombre de mouton, 2012 (banal profil naturaliste) ;
  5. Étoile guide, ESO, 2012 (simple plan d’écran d’ordinateur) ;
  6. Paranal Eso, Ciel et océan, 2012 (la nuit, un immense ciel étoilé écrase un relief terrestre à peine deviné) ;
  7. Défauts de capteur et pixels morts, Eso, 2012 (complexe plan d’écran d’ordinateur) ;
  8. Galaxies nommées et innomées, Eso, 2012 (plan d’écran d’ordinateur, un autre ou le même dans sa complexité spectrale) ;
  9. Pile d’œufs, 2009 (pile d’œufs sous néon qui les « couve ») ;
  10. Police financière (Lampedusa), 2008 (noir et blanc portuaire et documentaire) ;
  11. Soupe primordiale, B, 2010 (rive d’étang aux feuilles mortes de belle facture poétique malgré le titre) ;
  12. Dames de bibliothèque (São Paulo), 2010 (le silence omnipotent de la lecture) ;
  13. Iguaçu, 2010 (bouillonnement d’écume gigantesque en vue aérienne).

Tillmans passe du microcosme au cosmos, d’un écran d’ordinateur à la mesure de la lumière, d’un monochrome à un noir et blanc, d’un phare de bagnole profilé façon requin à un homme portant bidon, portable à l’oreille, de l’abstrait au documentaire. Il traduit la saturation du monde des images par un éclectisme déroutant, un rébus planétaire, un « nouveau monde »« la vie est astronomique » comme titre une monographie, Neue Welt, [Nouveau monde], Wolfgang Tillmans, éditions Taschen, trilingue allemand, anglais, français, dont on extrait les propos suivants :
« Quel est l’état des choses ? Dès le début, mon propos a été de tenter de répondre à cette question dans sa totalité. J’ai toujours été conscient que je n’y parviendrais qu’à l’appui de motifs choisis et de fragments significatifs du monde (…) la densité de l’information est aujourd’hui très élevée. Du coup, seuls des fragments peuvent être traités (…)
À la fin de la dernière décennie, j’en suis venu à me demander à quoi ressemblait le monde hors de mes sentiers battus. Pourquoi ne pas aller dans des endroits où je ne suis qu’un simple voyageur ? Peut-il y avoir un « nouveau » regard sur le monde ? (…)

La vraie question est plutôt : « Qu’est-ce qui est normal ? » Qui décide où commence l’esthétisation et où commence l’étude, ce qui est familier et ce qui est exotique ? Les images sont toujours la transposition d’une expérience du monde, et idéalement, elles posent la question d’une autre expérience possible du monde. Ce qui est dans l’image n’est pas le monde, l’image est une traduction. Un tableau figuratif formule la réalité devant nos yeux, ni plus ni moins. Même si c’est un lieu commun, il est bon de le rappeler de temps en temps. » Parole qui nous rappelle Édouard Glissant : « Notre seule ambition est de découvrir les lieux communs qui unissent les cultures et les hommes. Le chaos-monde, c’est le seul espace où les cultures occidentales peuvent rencontrer les cultures qui ne le sont pas. » (BibliObs)
La visite de l’exposition de Wolfgang Tillmans dégage un malaise. Hors le texte qui accompagne sa démarche, il est difficile d’éprouver dans le rébus de ses photos une émotion partagée. En revanche, le visiteur ne peut être que sensible aux questions posées par le photographe. Elles renvoient à de belles interrogations philosophiques d’un être au monde, être au monde lui-même fragmenté, dans une mondialisation qui le désempare. Tillmans ne réenchante pas le monde, il le déplie et tente d’en redistribuer les images glanées dans ses fragments diffractés.


En écho lointain, une exposition voisine, celle du photographe turc Halil résidant à Stockholm, toujours dans l’ensemble de hangars des Ateliers, propose une réflexion politique sur les « images manquantes » des années 68 en Turquie.

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