Au festival d’Avignon, Illumination(s) du Val Fourré

À l’entrée du Théâtre des Halles, l’une des scènes phares de ce festival d’Avignon Off, un coupeur de billets arrête un « coupeur de routes », comme dirait Kossi Efoui. Ça discute, ça s’envenime. L’un demande à convoquer un responsable. L’autre résume la situation :    « Je ne suis qu’un coupeur de billets. »

La banlieue, c’est chaud, avant même le spectacle annoncé : Illumination(s), texte et mise en scène d’Ahmed Madani (« un récit choral où 9 jeunes d’un quartier populaire nous invitent à passer de l’autre côté du miroir »).
À peine assis, nous avons droit à une altercation dont le chahut vient justement de l’entrée, côté jardin. Ça castagne, ça envahit le plateau où l’intrus s’étale de tout son long. Des mastards le secouent. Il reste immobile. Spectacle ou fait-divers ? Le public échange des avis. Se poser la question, c’est déjà témoigner de la réussite du scénario. Entre réel et mise en scène, la banlieue, c’est show.

Photo François Louis Athenas

Illumination(s) vient du Val Fourré, quartier star de la banlieue, côté Mantes-la-Jolie. Neuf comédiens non professionnels, qui ont du bagout et du talent : « Trois jeunes hommes vivant à trois époques différentes qui se retrouvent par-delà la vie et la mort. Ils portent le même nom : Lakhdar, qui veut dire « vert », ils symbolisent l’espoir. Ahmed Madani nous invite à voyager « au pays des zones sensibles de (sa) mémoire ». Beau détournement de mots qui rend grâce aux « zones sensibles » des bons vieux clichés.

La famille d’Ahmed Madani est arrivée à Mantes-la-Jolie en 1959. Nous avions apprécié, c’était aux Francophonies en Limousin en 2009, sa mise en scène de Paradis blues, texte de l’écrivaine mauricienne Shenaz Patel, interprété par Miselaine Duval. Illumination(s) en est le symétrique. L’un était dans la force de l’intériorité, le tout dernier est dans la tchatche chorégraphiée.
Dans Illumination(s) une suite de tableaux et de récits de vie donnent l’occasion aux comédiens de jouer leur propre rôle, du moins des personnages qui leur sont visiblement proches.
Le « Je-me-souviens » façon Georges Perec est un grand moment. Loin d’être un simple exercice de style, la scène devient parole multiple, en rebonds d’un personnage à l’autre. Les neuf comédiens occupent magistralement le plateau qui devient espace mental partagé aux thématiques familières aux spectateurs (l’immigration, le lien entre les générations, le choc des cultures).
Et cet ensemble où est anticipé un contrôle de police. Groupe de profil, regards tendus, les mastards-en-costard sont devenus des capuches-qui-sentent-l’embûche. On mime le lancer de projectiles façon Intifada de banlieue. Fumée des lacrymos, belle création sonore de Christophe Séchet. L’espace semble se démultiplier. Belle chorégraphie là encore, soutenue par le vidéaste Nicolas Clauss. La force de cette « performance spectacle » (le public ne s’y trompe pas : c’est un triomphe) tient dans la belle présence des comédiens, qu’Ahmed Madani a su porter haut comme si la banlieue était une chorégraphie, la danse vivante d’une mémoire à vif.

À noter la diffusion de la pièce Illumination(s) en exclusivité et en direct le 26 juillet, 19h sur Culturebox et son dossier de presse.

Un commentaire

  1. tres beau, tres puissant. madani nous etonnera toujours avec ces creations, ca vit, ca grouille, ca respire, ca demenage. au moment ou trappes est a feu a sang, une piece d une actualite criante.

    chapeau ahmed lakhdar madani,

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