Difficile de tomber d’accord avec Dany Laferrière que cite son ami Alain Mabanckou sur Twitter dans son conseil n°8 à un jeune écrivain : « Si tu n’arrives pas à décrire la pluie qui tombe, écris tout simplement : « Il pleut »…
Non que les déluges sur Paris, la France et les zones inondées nous trempent jusqu’aux os… Écrire « Il pleut », n’est-ce pas le degré zéro de l’écriture ?
Qu’en diraient les grands poètes du XIXe, qui ont fait de l’angoisse et de la souffrance intérieure une esthétique, à commencer par Baudelaire, auteur en 1857 de Spleen :
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
S’en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D’une vaste prison imite les barreaux,
Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
– Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l’Espoir,
Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
Ou encore Verlaine, dans Romances sans paroles en 1874 :
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville,
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur?O bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits!
Pour un cœur qui s’ennuie
O le chant de la pluie!Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écœure.
Quoi ! nulle trahison ?
Ce deuil est sans raison.C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine,
Mon cœur a tant de peine !
Quelques années sont passées quand Émile Zola publie La Terre (1887), où le mot « pluie » apparaît 41 fois. Citons ce passage :
« Lente, douce, interminable, la pluie ruisselait toujours ; et il entendait la Beauce boire, cette Beauce sans rivières et sans sources, si altérée. C’était un grand murmure, un bruit de gorge universel, où il y avait du bien-être. Tout absorbait, se trempait, tout reverdissait dans l’averse. Le blé reprenait une santé de jeunesse, ferme et droit, portant haut l’épi, qui allait se gonfler, énorme, crevant de farine. Et lui, comme la terre, comme le blé, buvait par tous ses pores, détendu, rafraîchi, guéri, revenant se planter devant la fenêtre, pour crier :
– Allez, allez donc !… C’est des pièces de cent sous qui tombent ! »
Plus près de nous, le lauréat du Prix Goncourt 1976, Patrick Grainville, commence son roman au baroque accompli, Les Flamboyants, par une ouverture prodigieuse d’un orage qui vient. C’est en Afrique. Ce n’est plus la pluie, c’est un orage majuscule, tropical et démesuré. Et un somptueux exercice d’écriture.
Nous trouvons de tout sur les forums en ligne, jusques et y compris la question de cet amateur de littérature :
« Je suis depuis plusieurs années à la recherche de ce qui pour moi fait partie d’une sorte de quête du Graal, et qui consisterait à trouver l’expression parfaite pour décrire quelque chose, en l’occurrence ici la pluie, de telle sorte qu’on arriverait à ressentir ce phénomène météorologique non seulement en tant que phénomène météorologique, mais plus encore en y insistant sur toute la partie perception et rattachement sentimentales : les odeurs, les bruits, les impressions mouillés, etc…
Donc voila si vous connaissez un passage de livre dont l’auteur vous a vraiment ravie en vous décrivant, en vous faisant partager les ravissement d’une ondée matinale ou nocturne, dans un jardin ou même sur les pavés d’une ville, vous me rendriez un grand service…
Demande qui donne lieu à cette contribution :
« Il ne s’agit pas de pluie à proprement parler, mais dans Le Chant de Kali, de Dan Simmons, il décrit un ensemble, une atmosphère, lourde, pesante, glauque, la pluie y joue un rôle mais n’est qu’un des éléments. Dans cette description de Calcutta, si je me souviens, tu sens la ville, tu sens les odeurs, tu sens les gens, tu sens la sueur et la crasse, tu sens la misère, tu sens les relents de peur prenant à la gorge, tu sens la mort rôdant à chaque recoin.
Je garde un souvenir de cette description de l’atmosphère des bas-fonds d’une grande cité comme une des meilleures que j’ai lues. »
Les amateurs pourront se reporter aux contributions des universitaires sur la La pluie et le beau temps dans la littérature française, que présente le site de référence Fabula.
« Il pleut » ? Non, les mots nous mitraillent ou nous caressent… Nommer demeure le propre de l’écrivain nous rappelle Sony Labou Tansi :
« J’ai l’ambition horrible de chausser un verbe qui nomme notre époque », disait Sony Labou Tansi (1947-1995) à l’éditeur Bernard Magnier. Car « L’art de nommer est d’abord avant tout art de ton », a-t-il écrit dans Les Sept solitudes de Lorsa Lopez, Le Seuil, 1985, p. 27.