
L’Intraitable beauté du monde, d’Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau pourrait se résumer ainsi :
Fils du gouffre [la Traite], Barack Obama a entendu le cri du monde, sa diversité, la complexité insondable du Tout-monde, celle qui engendre le vertige. Loin d’ériger un contre-racisme, cette dynamique est une créolisation, énergie de la Relation, seule puissance bénéfique, qui lie et relie, en plénitude de la vie, donc de la beauté, intraitable.
A un pamphlet succède un éloge : cette lettre ouverte de 57 pages est publiée par l’Institut du Tout-monde et les éditions Galaade, qui avaient déjà édité, en 2007, le pamphlet des deux complices en créolisation contre le ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement, et intitulé : Quand les murs tombent. L’identité nationale hors-la-loi ?
De larges extraits de ce premier texte sont cités, sans que les écrivains de la Caraïbe rappellent la position d’Obama sur le » mur » entre Mexique et Etats-Unis. Or, Obama a voté la loi du 26 octobre 2006, Secure Fence Act, en faveur de l’érection d’un mur à la frontière américano-mexicaine. Ce mur, d’une longueur totale de 1100 kilomètres, est censé lutter contre l’immigration clandestine. Il est vrai que dans son discours de Berlin, en juillet 2008, le candidat avait plaidé pour détruire les murs entre les civilisations, entre Chrétiens, Juifs et Musulmans.
Interrogé dimanche dernier lors d’une soirée au New Morning, célèbre salle de concert parisienne, Edouard Glissant n’est pas désarçonné par la question du » mur » entre Mexique et Amérique du Nord. Pour l’écrivain du Tout-Monde, seule la parole d’Obama à Berlin compte. » C’est une poétique, dit-il, c’est un politique qui fait de la poétique. «
Bon, d’accord, sachons lui gré de développer sa belle utopie de la Relation dans L’intraitable beauté du monde.
Cette adresse reprend les notes des deux auteurs depuis l’élection américaine du 4 novembre 2008. Le texte dispose en alternance des parties en italique, d’autres en typographie droite, les unes relevant de la plume de Glissant, les autres de la main de Chamoiseau.
Dans son acception traditionnelle, une adresse est, selon le dictionnaire Le Robert, » l’expression des vœux et des sentiments d’une assemblée politique, adressée au souverain « . Au pied de la lettre, Obama serait-il ce nouveau souverain ?
L’intraitable beauté du monde est composé de quatre chapitres :
1. Ce qui remonte du gouffre
2. Ce que la complexité engendre de vertige
3. Le cri du monde
4. En Relation, force n’est pas puissance

1. Ce qui remonte du gouffre
Extraits :
« M. Barack Obama est le résultat à peu près miraculeux, mais si vivant, d’un processus dont les diverses opinions publiques et les consciences du monde ont jusqu’ici refusé de tenir compte : la créolisation des sociétés modernes, qui s’oppose aux traditionnelles poussées de l’exclusive ethnique, raciale, religieuse et étatique des communautés actuellement connues dans le monde. (…) nous pensons vraiment qu’il a entendu le cri du monde, la voix des peuples et le chant joyeux ou meurtri des pays.
(…)
Et ce n’est pas seulement pour les américains du Nord que cet improbable espoir a levé, mais pour les Nègres de la planète, quelle que soit leur race. Eux aussi fils du gouffre, de tous les gouffres épars au fond de tous les océans ou de toutes les terres ravagées, populations qui gardent ces blessures on dirait ontologiques inscrites à vif dans leur présence et leur survie. Ils vous attendent. Ils vous aiment,ils vous vénèrent et vous voient, hélas, comme une revanche vivante à la tragédie noire et autres inépuisables apocalypses et damnations des peuples.
2. Ce que la complexité engendre de vertige
Extrait :
Les Africains-américains ne vous ont d’abord pas reconnu. Ils ne pouvaient pas prendre la mesure de cette complexité. Fils du gouffre, ils avaient gardé du limon des abysses atlantiques et de la glaise des Plantations la douleur initiale, ils en étaient restés des archives souffrantes, qui refusaient d’être effacées. (…) S’ils se retrouvent en vous, dans ce vertige, dans ces audiences du limon remontées du gouffre et dans ces complexités insondables du Tout-monde, c’est qu’ils ont maintenant mille chances de transformer leur adhésion en une énergie ouverte qui ne pourra qu’être bénéfique aux Etats-Unis.
3. Le cri du monde
Extrait :
Aujourd’hui, en France comme en beaucoup de pays favorisés, chacun cherche son Nègre, les administrations arborent des préfets, les télévisions chargent leurs plateauxet les gradins de leurs forums de ces spécimens devenus (pour un temps) très précieux, et bientôt les partis politiques exhiberont sans doute leurs oriflammes en » diversité » sombre.(…) Nous n’avons pas à dresser face aux racismes un contre-racisme ou un modèle de vertueuse racialisation, nous les invalidons par la fréquentation d’un autre imaginaire : un imaginaire du pur chatoiement des différences, de leurs chocs, de leurs oppositions, et de leurs alliances pour commencer.
4. En Relation, force n’est pas puissance
Extrait :
C’est la diversité seule qui triomphe des Empires. (…) Le monde a besoin des dynamiques de Relation (de change) qui sont à l’oeuvre partout, par delà les concurrences mortelles et les appétits du profit.(…) Le Tout-monde est sensible à la chaleur des utopies, à l’oxygène d’un rêve, aux belles errances d’une poétique. (…) Tout-monde est un champ de forces instables où l’effervescence d’un seul imaginaire peut engendrer au loin des ondes déterminantes. le gouffre de l’Océan nous a ouverts à la Relation. (…) La puissance vit dans l’éclat du lien, dans ce qui lie, rallie, relie, relaye ces possibles, individus et mondes. (…) Votre équation singulière, monsieur, offre une chance à cette belle autre utopie. Il n’y a de puissance que dans la Relation, et cette puissance est celle de tous. (…) Puissance est Relation. C’est dire que toute-puissance se trouve du côté de la vie, des plénitudes de la beauté. C’est dire aussi que toute beauté est Relation. »

Pourquoi un texte aussi poétique, aussi puissant, est-il affligé d’une première de couverture banale, voire rébarbative ? Heureusement que plusieurs sites (dont le votre) parle de cette « intraitable beauté du monde » (avec explication de textes !). Merci.
Cordialement,
Barco Marie Paule
http://barcomariepaule.blogspot.com
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C’est justement un travail graphique trés beau de la part des éditions Gaalade laissant la part belle au mot dans toute sa poésie, dans une tradition de Faucheux pour les éditions Pauvert dans les 60.
Ces couvertures ne sont pas banales, celle-ci n’est peut-être pas la meilleure mais les collections sont notables sur les étalages de libraires.
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