Le phrasé du marché

A la librairie l’Atelier, 2 bis rue du Jourdain, Paris XXe, les étals du trottoir donnent le ton. L’intérieur est à l’avenant.

Que des livres aux propositions alléchantes. Ne pas s’arrêter à la libraire qui, ce matin, manifeste un commerce expéditif, libraire plus pressée que ses clients.

Marché du jour : Georges Perec, Jeux intéressants, édité par Zulma ; Tony Duvert, L’île atlantique, édité en poche par Minuit ; Antoine Bello, Éloge de la pièce manquante, chez Folio ; et Ailleurs d’Henri Michaux, qui réunit Voyage en Grand Garabagne, Au pays de la Magie, Ici, Poddema, dans la collection de poche Poésie de Gallimard.

Qu’est-ce qui nous fait acheter compulsivement des titres comme pour étancher une soif qui vient avec la lecture, pas avant, mais avec la lecture ?

Pourquoi George Perec ?  » L’écriture est un jeu qui se joue à deux « , aimait-il à dire. Quelquefois une aide supplémentaire serait nécessaire. Jeux intéressants réunit les contributions de l’auteur oulipien à la revue Ça m’intéresse pendant plus d’un an, au début des années 80. On y lit ce genre de devinette : Quel est l’intrus ? (p.45) :

Dans la liste suivante, un mot ne devrait pas logiquement figurer. Lequel, et pourquoi ? écrit, lisible, polysyllabique, court, singulier, masculin, adverbe, orthographiable, intrus, français, substantif, mot, traduisible, prononçable.

Pourquoi Tony Duvert ? Jean-Noël Pancrazi écrivait dans la nécro du Monde qu’il lui consacrait :  » L‘écrivain Tony Duvert, 63 ans, a été découvert mort, le mercredi 20 août, chez lui, dans le petit village de Thoré-la-Rochelle (Loir-et-Cher). Sa mort remonte à environ un mois. Une enquête a été ouverte, mais il s’agit probablement d’une mort naturelle. Tony Duvert n’avait pas publié de livres depuis 1989. On l’avait presque oublié, et pourtant, il a marqué son époque – les années 1970 – par l’extrême liberté qu’il manifestait dans son écriture comme dans sa vie, par un ton unique, fait de crudité et de grâce, par le rythme de sa phrase, sans ponctuation souvent, emportée par le seul mouvement du désir, capable, comme on l’imaginait alors, de changer le monde.  »

En 4e de couv. de L’île atlantique, je lis cet éloge de François Nourissier, extrait du Figaro Magazine du 17 mars 1979 :  » C’est énorme, irrespirable et d’un réalisme à faire peur. « 

Pourquoi Antoine Bello ? Une énigme et un puzzle littéraire en cinquante pièces (dans le désordre), dont la première commence ainsi :

 » Ma victoire n’est pas celle d’un homme, mais celle du continent africain tout entier. certains voudront y voir une revanche, mais ils ont tort : la fonction du puzzle est de rassembler, non de diviser. « 

Pourquoi Henri Michaux ? La réponse est simple : Henri Michaux, c’est la phrase parfaite. Prenez le premier paragraphe, juste après le titre de la nouvelle Chez les Hacs, dans Voyage en Grande Garabagne :

Comme j’entrais dans ce village, je fus conduit par un bruit étrange vers une place pleine de monde au milieu de laquelle, sur une estrade, deux hommes presque nus, chaussés de lourds sabots, solidement fixés, se battaient à mort. « 

 

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