Le roi absent de Moetai Brotherson est édité par Au vent des îles (Tahiti). Il est diffusé depuis juin en Polynésie. Il sort ces jours-ci à Paris… et participera donc à la rentrée littéraire au côté de quelque 700 romans… Malgré son épaisseur (500 pages), il semble comme inachevé.

Le mot de l’éditeur :
» Roman du quotidien polynésien plein d’ironie, de fureur, de douleur, de tristesse et de quelques joies aussi… L’histoire d’une vie extraordinaire, celle de Moanam — de Nuku Hiva (Marquises) à Papeete en passant par Huahine et Paris — qui passe du choc culturel à la réussite sociale et, de là, au pire des déclassements. Médusé le lecteur suit le personnage — un muet surdoué d’une vallée marquisienne — le long d’un récit tissé de drames : de la mort de la mère à l’accident mythique du père et au meurtre de la fiancée. Ces 500 pages très romanesques décrivent le quotidien avec trivialité mais aussi avec onirisme —rêves ou cauchemars, faille peuplée de messages mystérieux venus d’un autre temps, de chamans et d’une malédiction vieille de plusieurs générations lancée à travers le temps et les continents…
Moetai Brotherson se définit comme conteur. Il aime inscrire les histoires dans l’Histoire, et tresser les fils du réel à ceux des légendes. Enfant de Huahine (archipel des îles Sous-le-Vent), il écrit depuis l’âge de quatorze ans.
Passionné par son pays et sa culture, il part pourtant s’installer et travailler à New York. Là, il vivra directement les événements du 11 septembre 2001 qui le feront revenir au fenua [pays]. Paradoxalement, il écrit par amour de l’oralité, considérant que le livre n’est que la partition d’une mélodie que chaque lecteur est libre d’interpréter. »
Un extrait (p.95) :
Ce matin ma mère me tend des feuilles, un encrier et une plume. Mon tour est venu. Je connais bien les signes maintenant et comme pour elle, les oiseaux du large son mes yeux au-delà de moi. Au soir de mon récit j’ai vu mourir ma grand-mère et ma mère. L’ancienne eut la force de s’arracher elle-même les yeux vant sa mort, la précipitant du même coup. Ma mère n’eut pas ce courage et il m’incomba la lourde tâche de le faire. Qu’en sera-t-il pour moi ? Je ne sais pas.
Un extrait (p.301) :
Je me suis lancé dans la construction d’un marae. Les souvenirs d’Henri et John, les rires, les discussions, tout ça me donnait de l’energie. Ici, la technique était différente : je construisais un marae de montagne. Mes souvenirs du marae Ofata, sur les auteurs de Maeva étaient troubles. Mais ici, personne ne m’en voudrait si telle pierre levée n’était pas à la bonne place. Après tout, il s’agissait plus de disposer d’un autel, sur lequel je pourrais faire des sacrifices pour remercier les dieux de m’avoir guidé jusqu’ici.
La critique :
La lecture du roman de Moetai Brotherson est à la fois éprouvante et enrichissante.
Eprouvante, car le lecteur souffre à lire ces 500 pages. C’est trop ! Raconter la vie de Vaki, surdoué des échecs, étudiant d’une grande école de l’aéronautique, aussi à l’aise avec les chiffres qu’il est trourmenté devant la gente féminine, est une noble ambition. Mais sa vie chaotique devient narration tourmentée. Formules creuses, fades ou naïves, accompagnent une intrigue échevelée.
Ce roman est à deux voix. Celle du narrateur dans la vie réelle. Le roi absent est-il une forme d’autobiographie d’un auteur que l’on ne connait pas, directeur des Télécommunications dans son pays, la Polynésie ? La seconde voix est celle d’une petite voix intérieure, celle d’une femme écoutée quand Vaki est dans un état second, conte provoqué par l’absorbtion de champignons hallucinogènes…
Mais le procédé est systématique : il lui faut absorber ces champignons, quelquefois d’autres substances et le récit onirique survient. Roman du double donc, entre réalité et délire. Cette seconde voix pourrait nous enchanter. Hélas, on se perd dans la quête de ce roi absent… Le recours au glossaire en fin de volume, l’abondance de détails au détriment des épreuves sensées traverser la vie du héros, l’abondance de personnages sans lien apparent ou clairement identifié, autant d’épreuves… pour le lecteur.
Malgré ces réserves de fond et de forme, la lecture est enrichissante. Jolie contradiction ? Sans doute l’absence même de roman polynésien sur la scène éditoriale internationale (et ce n’est pas faire injure aux quelques tentatives contemporaines que de le constater) rend nécessaire ce type de roman. Après tout, il est bon de ne pas laisser aux seuls Gauguin ou Loti une certaine façon d’enchanter les » mers du sud « .
L’écriture de Moetai Brotherson réussit néanmoins à maintenir un suspense sur la vie chaotique de cet enfant des Marquises. Après tout, Vaki est aussi le révélateur de la société qui l’entoure, soucieuse de héros qui réussissent à l’école et dans leur vie professionnelle. Une société qui abandonne aussi vite les héros qu’elle a créés quand ils ne marchent pas dans le droit chemin.
Prolongements théoriques :
Dans la forme encore… L’écriture de Brotherson nous fait penser à l’oraliture créole, où l’oral vient s’imposer comme contre-culture dans le système littéraire, que ce soit sous forme enrichie en apparents régionalismes désuets chez Confiant (désuetude très moderne en réalité) ou sous la forme d’un récit total chez Chamoiseau (lire Biblique des derniers gestes) ou encore sous l’emprise de la spirale de la parole centrifuge de Frankétienne. Mais chez Moetai Brotherson l’oral et l’écrit semblent cohabiter douloureusement… Son roman Le roi absent devrait permettre d’alimenter les études sur l’oralité dans le monde littéraire…

Le contexte éditorial :
Au Vent des îles est un éditeur au catalogue impressionnant. Sa politique de traduction des auteurs anglophones du Pacifique l’a fait participer en 2006 aux Belles étrangères consacrées à la Nouvelle-Zélande. C’est l’éditeur français de l’écrivain kiwi d’origine samoane Albert Wendt, Le Baiser de la mangue (traduction Jean-Pierre Durix). 

je suis en train de lire « Le roi absent » et je trouve votre critique des plus pertinentes. Ce livre est tour à tour fascinant et déroutant. Parfois, il tombe des mains – cette accumulation de naïvetés, cette obsession des chiffres, des heures, tout un salmigondis de précisions triviales qui n’amènent rien… mais on ne peut s’empêcher de le rouvrir et de poursuivre cette lecture. Je me dis que l’auteur est peut-être légèrement autistique. Ce livre intrigue!
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