Exit le Salon du livre de l’outre-mer

Dans trois semaines, Lire en fête, organisé par le ministère de la culture et de la communication, rassemblera 4 000 manifestations dans 150 pays. Enfin ! quatre mille moins une : la 15e édition du salon du livre de l’outre-mer n’aura pas lieu. Son secrétaire d’état, Yves Jégo, vient d’envoyer aujourd’hui même une lettre aux éditeurs qui confirme ce que l’on pressentait.

 » Dans le cadre de « Lire en Fête », le Secrétariat d’Etat à l’Outre-Mer organisait chaque année le Salon du livre de l’Outre-Mer, où éditeurs, auteurs, mais aussi artistes ultramarins se donnaient rendez-vous dans les salons et jardins de l’Hôtel de Montmorin à Paris.

Devant le succès de cette opération, qui chaque année, réunit plusieurs milliers de personnes, j’ai été contraint de décaler cette manifestation au Salon du livre de Paris à la porte de Versailles du 13 au 18 mars 2009.

Un Espace Outre-Mer d’envergure sera mis en place, où les éditeurs pourront présenter leur catalogue, organiser leurs rendez-vous professionnels et inviter leurs auteurs à promouvoir leurs livres lors de signatures et de rencontres littéraires. « 

 » Devant le succès de cette opération « , est paradoxalement la raison invoquée pour cette annulation. [ » Report pas annulation « , préfère rectifier le secrétariat d’état.]

Ce  » succès  » est-il la raison ? Ou serait-ce un argument spécieux ? Les salons et jardins de l’Hôtel de Montmorin seraient jugés incommodes pour recevoir le public. Et les 100 000 euros de budget, élevés… En 2007, quelque 4 000 visiteurs avaient fréquenté ses pelouses. En revanche, le nouvel emplacement de l’Outre-mer au Salon du livre de Paris en 2007 n’avait pas séduit les lecteurs. Il faut aussi préciser qu’en octobre, le Salon du livre de l’outre-mer était d’accès gratuit, ce qui n’est pas le cas pour le Salon de la porte de Versailles, en mars. Outre la différence d’échelle, l’état d’esprit n’est pas le même : les éditeurs d’outre-mer comme des auteurs peu connus semblaient apprécier de se retrouver entre eux. Pourquoi ne pas avoir maintenu les deux rendez-vous, en octobre et en mars ? Certains pourront toujours objecter que le Salon du livre de Paris, en mars, est le grand rendez-vous de l’année… on a quand même le sentiment que cette annulation à trois semaines de Lire en fête relève de l’improvisation.

Pour sa vingtième édition, Lire en fête, dont le site n’a pas effacé ce 22 septembre, le partenariat engagé avec l’Outre-mer,  met l’accent sur la littérature jeunesse. Forts de cette directive (à un mois du rendez-vous de Montreuil), certains éditeurs d’outre-mer avaient spécialement préparé leur rentrée… Certains avaient reçu leurs invitations au mois d’août…

Premières réactions :

Editions Lafontaine :  » Pour une fois, nous avions des auteurs invités et même une demande de spectacle de marionnettes. La littérature de jeunesse est la spécialité des éditions Lafontaine. C’est la faute à pas de chance ? C’était également un lieu ou beaucoup d’auteurs ultramarins pouvaient se rencontrer. « 

Editions Jasor :  » J’espère que cela n’annonce pas la disparition d’une manifestation de plus autour du livre. « 

Editions Desnel :  » L’annulation du salon du livre du Ministère de l’Outre-mer — espace de visibilité non négligeable de la production éditoriale de la rentrée littéraire pour les éditeurs de la France ultra-marine — nous est très préjudiciable à plusieurs titres. Cette année, ayant fait l’impasse sur des salons majeurs de la rentrée littéraire comme  » La Forêt des livres  » en Touraine du Sud et le Salon du livre de Nancy,  » Livre sur Place « , il ne nous reste plus rien à Paris, jusqu’à mars 2008 (autre que les médias) pour communiquer sur nos titres en nouveautés (…)

Pour l’avenir, si cette position du Secrétariat de l’Outre-mer se confirmait, c’est-à-dire faire l’impasse totalement sur le salon de l’hôtel Montmorin pour se consacrer au Salon du livre de Paris pour des raisons budgétaires, à notre avis cela ne serait nullement une solution économique des plus judicieuses, pour diverses raisons, car à la Porte de Versailles l’espace est payant et beaucoup moins important en termes de surface, de visibilité et de portée stratégique pour l’édition ultramarine.

Malgré les 5 jours au Salon international du livre de Paris, en termes de résultats économiques, de visibilité et de couverture médiatique le but n’est pas atteint autant qu’il l’était rue Oudinot ! La faute au manque de fréquentation de la part des Domiens, dû à l’entrée payante et au côté élitiste de l’événement, perçu comme tel par les ultra-marins. « 

Des manifestations sont adossées à Lire en fête et au Salon du livre de l’outre-mer. Auront-elles lieu ? Pour sa part, le Salon de la Plume noire est maintenu pour sa 13e édition. Et les éditions Au Vent des îles de Papeete nous promettent un récit aborigène sur la  » génération volée « , disponible pour… Lire en fête.

Version outre-mer n° 14

Autant de monde que l’an dernier mais achats en baisse, telles étaient les estimations de la fréquentation et du chiffre d’affaires des éditeurs exposants, hier à la fin de la nocturne. Aujourd’hui dernier jour du Salon.

 « Chân Dàng », c’est-à-dire « engagé sous contrat » en vietnamien, est le titre d’un roman de l’écrivain calédonien Jean Vanmaï, publié en 1980. Imaginez sa tête quand il a découvert aujourd’hui le livre d’un compatriote publié par Dualpha, qui se présentent comme « éditions non-conformistes » et portant le même titre, « Chân Dàng ». « Plagiat ! », s’est-il écrié en français, scandalisé.

Teahupoo, livre sur le surf polynésien, déjà vendu à 7000 exemplaires sera prochainement traduit en japonais. Son éditeur, Au Vent des îles, annonce la sortie prochaine d’un Va’a (pirogue polynésienne) dans la catégorie « Beaux livres ».

L’écrivain haïtien Gary Victor a été récompensé du prix littéraire des Caraïbes 2008 pour son roman Les Cloches de la Brésilienne. Ce prix devrait consoler son éditeur, Vent d’ailleurs, qui n’a pas supporté la fausse alerte à la bombe de dimanche : à l’heure dite, il a dû bazarder les agapes prévues pour 300 invités !

 « Que la critique ait l’intelligence du cœur », mot entendu dans un débat au Salon, de Joseph Macé-Scaron, directeur du Magazine littéraire, dont le dernier numéro (nouvelle formule) publie un portrait de Toni Morrison signé Léonora Miano.

En 2009, l’invité du Salon du livre sera le Mexique. A lire donc, Carlos Fuentes, Octavio Paz (Prix Nobel) et l’auteur libertaire de polars Paco Ignacio TAIBO II. On connaît un écrivain franco-togolais qui a du nez : Sami Tchak vient de sortir au Mercure de France, Filles de Mexico.

 

Version outre-mer n° 13

Mardi c’est nocturne. Ouverture du Salon jusqu’à 22h.

Combien ça coûte ? Pour le stand du Pacifique, la seule location du stand coûte 16 760 €. Avec une baisse de 30% des ventes, ça fait cher payée la participation. Sur le bilan, on y revient demain, dernier jour du Salon.

Koffi Kwahulé est un écrivain, dramaturge et comédien né en Côte d’Ivoire, lauréat 2006 du Prix Ahmadou Kourouma pour son très beau roman Babyface (Gallimard, Continents noirs). En résidence dans le quartier parisien cosmopolite de la Goutte d’Or, son écriture est fêtée pendant les deux mois d’avril et de mai. C’est mérité, très largement mérité, entre colloque, théâtre et concerts de jazz. Le must : il anime avec les femmes du quartier (en foulard ou pas) un atelier d’écriture sur le thème de la joie. Ça ne s’invente pas et c’est présenté au public le 10 avril au Lavoir Moderne Parisien… Un conseil : réservez !

Un atelier d’écriture collective sur les nouvelles formes d’écriture est animé par Arnaud Cathrine au Salon à 17h30.

Version outre-mer n° 12

Dimanche : alerte à la bombe et évacuation pour une heure du Salon du livre. 

Lundi : journée professionnelle (mardi on se rattrapera avec la nocturne).

Les scolaires du 9-3 en profitent : à 9 h 30 ils rencontrent l’écrivain israélien Aharon Appelfeld.

à 10h, stand de Radio-France, un débat affiche la question provocatrice : « 80 000 titres par an, l’édition française est-elle en train de se creuser une tombe de papier ? »

à 11h30, Les premiers auteurs de la nouvelle collection d’Actes Sud junior : Ceux qui ont dit « non ». Dont le brillant et très recommandable Nimrod avec Rosa Parks : Non à la discrimination raciale [et un prochain Victor Schœlcher, annoncé pour septembre].

Les 60 ans du manga ont été célébrés samedi par un colloque à la Maison de la culture du Japon. Ce colloque se poursuit aujourd’hui au Centre d’études et de recherches internationales, 56 rue Jacob à Paris. Thèmes : 1.La réception du manga en Europe, 2.Style et narration, 3.L’avenir du manga.

L’avenir du manga a de l’avenir. Sur le programme du Salon, à 14h30, on peut lire : L’avenir du manga ! L’auteur de Je suis un écrivain japonais, Dany Laferrière, s’est fait porter pâle.

Lors de la rencontre Enseigner l’histoire de l’esclavage et la Shoah, hier sur le stand de France Télévisions, on a appris la publication (probablement pour le 10 mai) du livre de Sophie Ernst, Quand les mémoires déstabilisent l’école.  

Version outre-mer n° 11

« Juifs et Noirs en miroir ». Entendues ces paroles sur le stand de France Télévisions, samedi entre 18h et 19h30, lors de la rencontre qui a réuni trois historiens et un cinéaste. Frédéric Régent, historien de la démographie (Guadeloupe) : « Parmi mes ancêtres je compte des colons juifs et des esclaves. » ; Patrick Weil, historien de la nationalité : « Le concept de crime contre l’humanité est bien de facto présent dans le décret du 27 avril 1848 abolissant l’esclavage. » ; Pap Ndiaye, historien des minorités aux Etats-Unis : « Via Internet le discours antisémite sur la traite a influencé des groupes et des personnes en dehors des Etats-Unis, en particulier dans le monde caraïbe.» ; François Margolin, cinéaste : « En Afrique, plusieurs groupes ethniques qui se sentent discriminés se déclarent ʺ juifs ʺ. »

Jeune Afrique consacre un dossier de 10 pages à la littérature subsaharienne francophone, avec une bibliothèque idéale de 50 titres.

L’écrivain algérien de talent Boualem Sansal est lauréat du Grand Prix RTL-Lire 2008 pour Le village de l’Allemand. Son roman raconte l’histoire de deux frères d’origine algérienne, élevés dans une banlieue française par un oncle, qui vont découvrir le passé terrible de leur père. Officiellement ancien combattant du FLN, il était en réalité allemand, ancien officier SS réfugié en Algérie.

La romancière Véronique Ovaldé est lauréate du prix France-Culture/Télérama pour Et mon cœur transparent (L’Olivier).

Version Outre-mer n°7


Eclaté l’Outre-mer ? Trois espaces distincts accueilleront les visiteurs du Salon : l’un est loué par le Ministère de l’Outre-mer, un autre regroupe les éditeurs océaniens (loué par les gouvernements polynésiens et calédoniens), d’autres enfin s’affichent sous leur propre bannière : Ibis Rouge et Orphie.

N’ayons pas peur des mots (suite). Sur le stand France Télévisions, outre « Juifs et Noirs en miroir », samedi 15 à 18h, nous organiserons le débat « Enseigner l’histoire de l’esclavage et la Shoah », dimanche 16 à midi, avec Eric Mesnard, professeur d’histoire-géographie, nouveau membre du Comité pour la mémoire de l’esclavage, auteur avec Aude Désiré d’Enseigner l’histoire des traites et de l’esclavage, et Sophie Ernst, philosophe de l’éducation, auteur du livre (à paraître) : Quand les mémoires déstabilisent l’école : commémorations négatives et enseignements difficiles.

Par ailleurs, le CNL propose la rencontre « La Shoah dans la littérature contemporaine israélienne », dimanche 16 mars à 13h30.

Quels seront les mots de la rencontre ? Les deux écrivains sénégalais Ken Bugul et Boubacar Boris Diop nous donnent rendez-vous dans le cadre de la Biennale des littératures d’Afrique noire, aujourd’hui à 20h30, à Saint-Médard en Jalles (Gironde).

Le mot du jour : « indigo ». L’île de Marie-Galante a envoûté Michèle Gazier, ancienne critique à Télérama, qui signe avec Un soupçon d’indigo (Le Seuil) un suspense intimiste réussi.

Le mot du mois : « en ligne », selon le tout nouveau site FranceTerme , du ministère de la Culture et de la Communication, consacré aux termes recommandés au Journal officiel de la République française.

Version outre-mer n°6

Ibis Rouge, l’éditeur de Matoury (Guyane), vient au Salon du livre avec un auteur cubain, Pedro Pérez Sarduy, pour un roman publié en français en 2007, Les Bonnes de La Havane. « Oubliez Jean Genet » nous conseille la préface. On y reviendra.

Orphie, l’éditeur réunionnais annonce pour aujourd’hui un nouveau livre de l’historien réunionnais Daniel Vaxelaire : Ile Maurice en 200 questions réponses. Et un nouveau venu de Guyane, qui répond au nom de plume de Nic Pero avec le livre Corvus Corone au pays des noirs marron.

Mots de passe. La Semaine de la langue française est placée, à partir du 14 mars, sous le signe des dix mots de la « rencontre » (lancement hier au ministère de la Culture et de la Communication) : Apprivoiser, Boussole, Jubilatoire, Palabre, Passerelle, Rhizome, S’attabler, Tact, Toi, Visage.

« Métisserie » est le joli mot, inventé par Alain Rey pour qualifier la créolisation de la langue française depuis le Moyen Âge.

Son essai, L’Amour du français, est publié chez Denoël. Sous-titre : « Contre les puristes et autres censeurs de la langue ».

Un dernier mot : A l’unanimité, Le Club des Cinq a distingué hier à l’issue de l’une des émissions les plus courues de la place de Paris-sur-Mer, le roman de Patrick Chamoiseau, Un Dimanche au cachot (Gallimard). Diffusion sur RFO-Radio en fin de semaine aux heures habituelles.

 

Version outre-mer n°5

Il est des mots polémiques. Pour voir, essayez le mot « Israël », invité du 28e Salon du livre de Paris, du 14 au 19 mars.

« Boycott », ont répondu le Liban, l’Egypte, l’Algérie, le Maroc. Pas le boycott des J.O. de Pékin mais du Salon de Paris.

Auront-ils des mots ? ces lecteurs professionnels réunis aujourd’hui par Dominique Roederer, directeur de la rédaction Radio de RFO. Pour Paris-sur-Mer, cinq romans passés au crible de la critique : Coupeurs de têtes, de Abdou Mambo Baco (Orphie), Le Discours profane, de Miguel Duplan (Éditions des Équateurs), Un Dimanche au cachot, de Patrick Chamoiseau (Gallimard), Un rêve d’éternité, de Jean-Claude Fignolé (Sabine Wespieser), Le Témoin des Salomon, de Marc de Gouvenain (Au Vent des îles). C’est l’une des émissions les plus courues de la place de Paris. On l’entend outre-mer et on l’écoute en ligne en fin de semaine.

N’ayons pas peur des mots : « Juifs et Noirs en miroir », est l’une des rencontres organisées au Salon du livre, samedi à 18h, stand France Télévisions.

Mot du jour : « japonais ». Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer était le roman qui a fait connaître Dany Laferrière, en 1985. L’écrivain montréalais, qui a grandi à Petit-Goâve (Haïti), récidive dans la provoc. foutraque avec Je suis un écrivain japonais. Pour passer une heure avec Dany Laferrière, il suffit d’écouter Éclectik , émission de France-Inter, diffusée le 8 mars, et disponible à l’écoute.

Chamoiseau, entretien (1)

Un dimanche au cachot 

Patrick Chamoiseau répond à la question de la genèse de son dernier roman, Un dimanche au cachot.

– Quelle était l’intention au départ du roman ?

– Il y a plusieurs intentions.

La première : il y a quelques années de cela, j’étais allé au foyer de la Sainte Famille [au Nord de la Martinique]. C’est un foyer qui recueille des enfants en difficulté qui ont subi des maltraitances. Donc, j’avançais dans le jardin. Brusquement, un petit édifice de pierre avec un figuier maudit qui sort des pierres. Les pierres sont complètement tordues, les racines s’entremêlent et le figuier maudit (un tout jeune) commence à fleurir au-dessus de ces pierres. Je m’approche, et comme je m’intéresse beaucoup à l’histoire de l’esclavage, je comprends qu’il s’agit d’un cachot.

J’ai reçu un choc absolument incroyable. Il y a tellement de mémoire absente, de mémoire obscure, de mémoire refoulée en matière d’esclavage que lorsque je me retrouve en face des pierres comme celles-là, je sens monter comme des rumeurs, des cris, des hurlements.

J’avais gardé ça en moi avec l’idée, un jour, d’essayer de traiter la question de ce que nous a laissé l’esclavage en terme de pierres et surtout en terme de cachots. Il y a énormément de cachots répartis sur toute la Martinique mais que tout le monde a oublié, tout le monde s’en fout.

Il y avait cette première idée. L’autre idée est que le dimanche est toujours un moment particulier. Dans nos sociétés de consommation on est pris par plein d’agitations, plein de choses pendant toute la semaine. Mais le dimanche, on se retrouve en face de soi, avec une relative vacuité mais aussi avec une relative disponibilité pour toutes les personnes qui nous habitent et qu’on retrouve brusquement…

Donc j’avais envie de traiter la question du dimanche. D’autant plus que pendant la période esclavagiste, le dimanche les esclaves ne travaillaient pas. Et le dimanche c’étaient des moments où ils se retrouvaient, bien sûr après la messe. Ils pouvaient danser, rencontrer le tambour et surtout avoir des activités. L’activité principale c’était ce qui allait devenir le jardin créole. Ils faisaient leur petit jardin dans les bois pour se nourrir parce que l’alimentation était insuffisante. Quand on rassemble tout cela, on arrive à une construction de roman.

Alors qu’elle était l’intention ?

Une journée d'Ivan Denissovitch 

On a toujours dit, on s’est beaucoup appesanti, ou en tout cas on a beaucoup exploré la réalité psychique des camps d’extermination. Lorsqu’on lit les romans comme Soljenitsyne, Une journée d’Ivan Denissovitch, ou tout ce qu’a pu écrire Primo Levi, ou tous ceux qui ont témoigné sur la réalité des camps d’extermination où on voit un petit peu l’effondrement de l’humain, la douleur psychique qui se constitue, et très rapidement il me semble qu’on a pu évacuer, on a trop rapidement évacué la question de la plantation esclavagiste.

 

On disait que la plantation esclavagiste n’était pas un camp d’extermination. D’ailleurs, les nègres dansent, il y a le jazz, il y a eu le blues, il y a eu les tambours, etc. Donc, ils ont une relative joie. Donc une plantation esclavagiste n’est pas un camp d’extermination. Donc l’horreur n’est pas aussi terrible.

L’autre argument des historiens occidentaux est que de dire que le maître achète ses esclaves. Comme il les achète, il ne va pas les dilapider, c’est-à-dire qu’il préserve son capital. Je dis que c’est une vue un peu courte.

Lorsque je raconte l’histoire de cette jeune fille esclave, cette petite L’Oubliée que l’on met dans un cachot et qui va passer plusieurs jours, je vais m’intéresser à la journée du dimanche qu’elle va passer dans ce cachot.

Je veux montrer déjà que l’on souffre d’un déni d’humanité, la souffrance psychique est terrible. elle est aussi terrible que n’importe quel goulag ou n’importe quel camp d’extermination. Et ce qui se produit chez un être humain à qui on dénie son humanité c’est ça qui m’intéressait.

La jeune fille se retrouve dans un cachot et elle affronte l’obscurité, elle affronte la puissance des murs (parce que les cachots d’esclaves ont des murs très épais, on peut crier là-dedans, on n’entend pas à l’extérieur). Elle affronte une réalité qui se transforme en une sorte d’exploration d’elle-même. Et c’est là que commence la question de l’identité.

Il m’est toujours paru intéressant de prendre la période esclavagiste (indépendamment du pathos, des récriminations), essayer de comprendre ce qui se produit dans la tête d’un être humain, mais surtout essayer de comprendre que ce lieu d’effondrement de l’humain était aussi un lieu d’émergence d’identités nouvelles, d’émergence d’une humanité nouvelle.

Biblique des derniers gestes 

Donc la petite L’Oubliée… Qu’est-ce qui va se produire ? Tous ces moi qu’elle a déployés pour survivre dans la plantation, toutes ces postures, serviles, hypocrites, voleuses, etc., tout ce qui caractérise les esclaves, qui avaient plusieurs personnalités et que les maîtres-békés ne pouvaient pas comprendre, tous ces moi vont commencer par exploser et, progressivement, vont se reconstituer pour donner une personne nouvelle qui va devenir l’ancêtre de Man L’Oubliée, la Man L’Oubliée que l’on retrouve dans Biblique des derniers gestes.

Donc c’est une aventure humaine dans l’obscurité.

Prix RFO : 17 lauréats en 12 ans

Fabienne Kanor, auteur de Humus (Gallimard, collection Continents noirs), est la lauréate du prix du livre RFO 2007. Le palmarès de ce prix littéraire s’établit ainsi :

1995 : Nelly Schmidt, Victor Schœlcher (Fayard) ;

1996 : Gisèle Pineau, L’Espérance Macadam (Stock) ;

1997 : Ernest Pépin, Tambour Babel (Gallimard) ;

1998 : Raphaël Confiant, Le Meurtre du Samedi-Gloria (Le Mercure de France) ;

1999 : Louis-Philippe Dalembert, L’Autre face de la mer (Stock) ; Denyse-Anne Pentecost, prix spécial du jury pour L’Appel de la mer (Robert Laffont) ;

2000 : Roland Brival, Biguine Blues (Phébus) ;

2001 : Anouar Benmalek, L’Enfant du peuple ancien (Pauvert) ;

2002 : Dany Laferrière, Cette grenade dans la main du jeune nègre est-elle une arme ou un fruit ? (Le Serpent à plumes) ; Patrick Chamoiseau, prix spécial du jury pour Biblique des derniers gestes (Gallimard) ;

2003 : Nathacha Appanah, Les Rochers de Poudre d’Or (Gallimard, collection Continents noirs) ;

2004 : Gary Victor, Je sais quand Dieu vient se promener dans mon jardin (Vents d’ailleurs) ; Jean-Marie G. Le Clézio, prix spécial du jury pour L’Africain (Mercure de France) ;

2005 : Alain Mabanckou, Verre cassé (Seuil) ; Lyonel Trouillot, prix spécial du jury pour Bicentenaire, (Actes Sud) ; 

2006 : Ananda Devi, Eve de ses décombres (Gallimard) ;

2007 : Fabienne Kanor, Humus (Gallimard, collection Continents noirs, 2006).