Vivant illettré (2)

« Comprendre le chant des oiseaux » 

Continuant ma réflexion sur le thème « Vivant illettré » (lire Papalagui, 02/05/2025), je tombe sur un texte, longtemps laissé de côté, de Kenzaburô ÔÉ, son Discours du prix Nobel, dont il a été lauréat, en 1994.

Kenzaburô Ôé, au Salon du livre de Paris, en 2012.

Voici un extrait de ce discours, intitulé Moi, d’un Japon ambigu, traduit par René de Ceccaty et Ryôji Nakamura pour les éditions Gallimard, en 2001, pp. 11, 12 :

« Il y a un demi-siècle, l’enfant de la forêt que j’étais lisait dans Nils Holgersson [Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède] deux prophéties. La première était que moi aussi, un jour, je comprendrais le langage des oiseaux. La seconde était que je me lierais d’amitié avec une oie sauvage, que je m’envolerais avec elle très loin, si possible jusqu’à la péninsule scandinave.

ニルスのふしぎな旅, édition japonaise des années 1980 de « Nils Holgersson »

Notre premier enfant présentait un handicap dans son développement intellectuel — je l’ai appelé Hikari, ce qui signifie « lumière ». Dans son enfance, il ne réagissait qu’au chant des oiseaux sauvages, restant indifférent à la voix et au langage humains. Durant l’été de ses six ans, dans un chalet de montagne, lorsqu’il entendit le chant de deux marouettes venant d’un lac au-delà d’un bosquet, il dit, en prenant l’accent du commentateur d’un disque d’enregistrements de chants d’oiseaux sauvages : « Voici le chant de la marouette. » C’était la première fois qu’il s’exprimait dans un langage humain. C’est à partir de là que la communication entre lui et nous s’est établie.

Aujourd’hui Hikari compose de la musique, tout en travaillant dans un atelier pour handicapés, conçu sur un modèle suédois. C’est en premier lieu le chant des oiseaux qui lui a servi de relais pour accéder à la musique des hommes. N’a-t-il pas ainsi accompli, à la place de son père, la prophétie concernant la faculté de comprendre le chant des oiseaux ? »

On peut lire en ligne l’intégralité du Discours du prix Nobel de Kenzaburô Ôé.

Il est publié avec trois autres textes courts sur la culture et la littérature japonaises dans Moi, d’un Japon ambigu, Gallimard, 2001.

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