Japon 声 11. Tanino, dystopie théâtrale

Dans Maître obscur, Kurō Tanino, a écrit et mis en scène un huis-clos de cinq  personnages et leur relation à l’Intelligence artificielle qui épouse leurs désirs avec plus ou moins de facilité, d’erreurs et de confusion. Une pièce présentée au Théâtre de Gennevilliers dans le cadre du Festival d’Automne 2024.

[Maître obscur, photo © Jean-Louis Fernandez]

Dans un décor, ils apparaissent depuis un long couloir invisible, marqués par le son de leur pas. Serait-ce l’influence de Jacques Tati, apprécié par le metteur en scène ?

Une voix dans un casque porté par chacun d’entre nous, spectateurs, nous incite à estimer le profil, l’âge, la taille de l’arrivant. Comme si la pièce était elle-même un lieu expérimental. Chaque pensionnaire est dans l’attente du suivant, comme si une mystérieuse convocation les réunissait.

« RIONS »

L’expérience semble se confirmer lorsque, une fois dans la pièce, ils répondent aux instructions d’une voix neutre, enveloppante comme celle d’un instructeur qui s’efforcerait de paraître bienveillant. La voix leur dit comment préparer un repas, boire un café, danser… jusqu’au summum à la fin de la pièce lors d’un repas fait d’une soupe aux composés improbables, organiques ou matériels, quand s’affichera sur l’écran géant de la pièce : « RIONS ».

Les questions posées par Kurō Tanino reflètent les inquiétudes de l’époque sur l’emprise, son thème de prédilection, la voix mystérieuse incarnant l’Intelligence Artificelle, selon les termes aux initiales majuscules du dossier de presse (DP).

 numériser l’inconscient ?

Cet ancien psychiatre a ainsi repris avec le Théâtre de Gennevilliers, dont il est artiste associé (les acteurs de Maître obscur sont francophones) ce qui travaillait sa pièce Dark Master, la domination entre humains, le lavage des cerveaux au cœur de l’activité économique « menée par des hommes dépendant du travail ».

Avec Maître obscur, Kurō Tanino annonce une belle ambition : « Mon but n’est pas de montrer comment les IA vont remplacer les humains sur des tâches relativement simples, puisque c’est déjà en train d’arriver. Ce qui m’intéresse, pour aller plus loin, c’est comment les IA vont avoir une influence à un niveau psychologique, sur des aspects plus profonds de nos âmes. Il est probable que la prochaine frontière que franchira la technologie sera celle de l’inconscient. Qu’est-ce que cela signifierait concrètement que de numériser l’inconscient ? » (DP).

La forteresse du sourire, en 2021, un autre huis-clos, s’intéressait aux liens entre les occupants de deux appartements voisins. C’était une réussite. Lire « L’effet papillon du théâtre de Tanino », Papalagui, 25/11/2021 :

Maître obscur est moins convaincant. Tanino nous avait prévenu : « C’est une œuvre dans laquelle il y aura beaucoup de grands malentendus, de confusion, je vais créer de la confusion chez les acteurs, c’est tout cela qui fera l’œuvre. » Une pièce où l’IA n’est pas l’ennemie, elle est « neutre ». 

Hélas, la confusion voulue entre les personnages nous a gagné. Et ce n’est pas un trouble stimulant. 

Rien à voir avec le trouble véritable ressenti à la projection du film dystopique japonais, Sayonara, de Koji Fukada (2015), par exemple, où une survivante à la bombe dialogue avec sa seule « compagne »… un robot féminin.

Dans Maître obscur, l’ennui vient d’un dispositif lourd et de dialogues au burlesque faux. On reste au bord du plateau, comme s’il manquait l’étourdissement propre aux questions métaphysiques posées par Tanino.

Maître obscur, (durée : 1h30), écrit et mis en scène par Kurō Tanino (traduction du japonais par Miyako Slocombe), est à l’affiche du Festival d’Automne 2024, joué au Théâtre de Gennevilliers jusqu’au 7 octobre.

Interview (3’14) de Kurō Tanino ici.

En partenariat, France Culture propose une série de trois podcasts L’intelligence artificielle, objet philosophique.

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